André Gueslin, Henri-Jacques Stiker (dir.), Les maux et les mots. De la précarité et de l'exclusion en France au XXe siècle
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- 1 Les maux et les mots de la précarité et de l’exclusion en France au XXe siècle/ Organisation : And (...)
- 2 Dominique Kalifa, André Gueslin, Les exclus en Europe (1830-1930), Paris, Atelier, 1999
1Placé sous le signe de l’homonymie, le livre coordonné par André Gueslin et Henri Jacques Stiker, nous invite à un voyage dans le monde des maux et des expressions - les mots - qui les ont décrits à travers le XXe siècle en France. Issu des journées d’étude organisées en mai 2011 à l’université Paris Descartes1, le recueil fait suite à d’autres livres précédemment publiés2 qui traitent à la fois de l’exclusion, de la précarité et du handicap et tout cela dans une perspective historique. Ces précédentes publications retiennent notamment le XIXe siècle.
2Trois grandes parties reprennent la manière dont les journées d’étude ont été organisées en 2011, incluant treize contributions au total.
- 3 On est ainsi toujours exclu de quelque chose, du travail, du logement, etc.
3Ainsi, la première partie traite deux sujets connexes : la précarité et l’exclusion. Les contributions sont très hétérogènes du point de vue thématique mais, comme l’explique Henri Jacques Stiker, dans la conclusion du recueil, elles ont cette spécificité de traiter l’exclusion soit de l’intérieur, telle qu’elle est vécue par les acteurs eux-mêmes, soit de l’extérieur, telle qu’elle se manifeste dans les différents rapports sociaux3. Deux premières contributions attribuent donc la précarité à des difficultés d’accès au travail. Etienne Thévenin nous fait ainsi découvrir les difficultés d’accès aux soins médicaux des jeunes en situation de précarité. Sans éducation et sans un premier emploi, ils sont dépourvus de toute prise en charge médicale. Pour Benjamin Jung, « les précaires » constituent une catégorie d’ouvriers situés au plus bas de l’échelle de l’employabilité au début du XXe siècle, de par leur statut de « journaliers », embauchés in situ, sans aucun droit ou protection sociale et médicale. Cette précarité due au manque de travail exclut ceux qui en souffrent de la vie en société, mais il existe d’autres formes d’exclusion liées en général à la maladie ou au handicap. Sans pour autant mettre en évidence l’importance des mouvements des tuberculeux pour la reconnaissance des droits des personnes handicapées, la contribution de Pascal Bousseyroux tourne une page de l’histoire des « malades de Berck ». Ces malades s’organisent ainsi dans des associations afin de répondre à l’exclusion de/par la société. Une réponse similaire peut aussi être remarquée dans l’excellente contribution de Maxime Boucher sur le chemin parcouru par les prisonniers de l’automutilation au suicide, tous deux vus comme des formes plus ou moins abouties soit de protestation, soit de demande de réintégration à la société. Exclure c’est nier ou cacher, c’est également le message que nous transmet Henri Jacques Stiker en réalisant une archéologie des discours sur la sexualité des personnes en situation de handicap, sujet plutôt « récent » et « délicat » dans le champ de la recherche en sciences humaines et sociales.
- 4 Tout cela va dans le sens d’une des idées principales de la conférence tenue par Robert Castel lor (...)
4Après avoir montré différentes formes prises par l’exclusion à travers le XXe siècle en France, l’ouvrage s’arrête sur les « mots ». Et il ne s’agit en aucun sens d’un travail de dictionnaire. L’idée qui relie les quatre présentations de cette partie est celle que les mots reflètent des changements intervenus à un certain moment dans la conception que la société a d’un phénomène donné. En étudiant le cas de la constitution du paysage associatif lyonnais, Axelle Brodiez-Dolino nous montre comment la vulnérabilité sociale n’est pas la même au début et à la fin du siècle et comment la société change son regard sur celui et ceux qu’elle considère digne(s) de son aide. Le « bon pauvre » sera remplacé ainsi par les « nouveaux pauvres » ou les « exclus », la composante économique jouant un rôle très important dans la redéfinition des individus sujets à la vulnérabilité. En même temps, les mots ne sont jamais neutres. Tout en étudiant le cas des « vagabonds » et de leur désignation, André Gueslin suggère qu’ils apportent tous avec eux la stigmatisation, malgré une bonne intention qui leur est reliée au moment de leur utilisation initiale. C’est une idée que le lecteur pourra retrouver dans la contribution d’Isabelle Ville qui étudie la manière dont l’ « expérience du handicap » forge les mots qui vont définir des populations avec des déficiences spécifiques. A son tour, Jean-Christophe Coffin se penchera sur le rôle du mot en psychiatrie, pour parler ensuite plus en détail de l’apparition et de l’utilisation de plus en plus fréquente de l’expression « souffrance psychique » à la fin des années 1990. Si initialement associée à des populations précaires et exclues, l’expression verra son sens transformé une fois attribué, dans le contexte général, aux expériences vécues par les professionnels4.
5Après avoir évoqué les exclus et les mots utilisés pour les désigner au XXe siècle, la place est laissée à deux dernières interventions qui montrent le rôle de l’État dans la protection de ces populations. Le « care » se trouve ainsi au centre de la présentation de Yolande Cohen, qui se distance géographiquement de la France pour présenter le cas des associations, principalement et initialement constituées à l’initiative des femmes, au Canada. L’histoire canadienne du « care » connaîtra ainsi plusieurs étapes qui vont mettre en évidence des rapports entre les associations et l’État en pleine transformation. « L’État Providence » canadien est un État « fortement genré » (p. 200), car État « faible » (selon une distinction faite entre États forts et États faibles dont le principal critère de comparaison est le degré d’intervention sociale) dans lequel les associations de femmes occupent un rôle important y compris notamment dans la gestion et la résolution des problèmes sociaux. L’État français, au contraire du canadien, serait un État fort. C’est dans la continuité de cette idée que se positionne l’intervention d’André Gueslin qui dessine un modèle à trois composantes spécifiques au 20e siècle. Ces composantes sont l’État, le marché et les exclus et elles sont loin d’être compatibles, l’État pouvant faire pourtant office d’intermédiaire entre les deux autres.
- 5 Comme symptôme de la nouvelle donne sociale, nous découvrons le brouillage de frontières entre tra (...)
6Cette dernière partie du livre se trouve sous le signe de la sociologie et de l’analyse politique, comme le rappelle Henri Jacques Stiker dans une conclusion synthétique des interventions. C’est dans cette perspective qu’on a essayé de définir l’exclusion et la précarité, comme questions de société auxquelles l’État, tel qu’il est conçu au XXe siècle, essaie de répondre5. Et c’est une fonction qui est loin d’être facile au vu de la multiplicité des situations d’exclusion et de précarité. L’exclusion connaît donc des formes multiples. Ainsi, si le livre débute sous le titre de l’homonymie, il s’achève sous celui de la polysémie.
Notas
1 Les maux et les mots de la précarité et de l’exclusion en France au XXe siècle/ Organisation : André Gueslin et Henri-Jacques Stiker, 12-13 mai 2011, Université Denis Diderot, Paris.
2 Dominique Kalifa, André Gueslin, Les exclus en Europe (1830-1930), Paris, Atelier, 1999
André Guesline, Henri Jacques Stiker, Handicaps, pauvreté et exclusion dans la France du XIXe siècle, Atelier, 2003.
3 On est ainsi toujours exclu de quelque chose, du travail, du logement, etc.
4 Tout cela va dans le sens d’une des idées principales de la conférence tenue par Robert Castel lors des mêmes journées d’étude du mai 2011. Selon Robert Castel, le nombre des populations en difficulté financière et sociale s’étend de plus en plus et les frontières entre conditions sociales totalement différentes s’estompent.
5 Comme symptôme de la nouvelle donne sociale, nous découvrons le brouillage de frontières entre travail et assistance. Il existe ainsi des individus qui peuvent à la fois travailler et être assistés.
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Referencia electrónica
Cristina Popescu, « André Gueslin, Henri-Jacques Stiker (dir.), Les maux et les mots. De la précarité et de l'exclusion en France au XXe siècle », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 16 septiembre 2012, consultado el 06 octubre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/9187 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.9187
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