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Régine Bercot, Sophie Divay, Charles Gadea (dir.), Les groupes professionnels en tension. Frontières, tournants, régulations

Sébastien Bauvet
Les groupes professionnels en tension
Régine Bercot, Sophie Divay, Charles Gadéa (dir.), Les groupes professionnels en tension. Frontières, tournants, régulations, Octarès éditions, 2012, 300 p., ISBN : 9782366300000.
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Texte intégral

  • 1  Didier Demazière, Charles Gadéa (dir.), Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et n (...)

1L’ouvrage collectif dirigé par les sociologues Régine Bercot, Sophie Divay et Charles Gadea, se présente comme une nouvelle contribution au champ de la « sociologie des groupes professionnels », et adopte la démarche inductive préconisée dans de précédents recueils1. Il réunit ainsi un ensemble de travaux (quinze chapitres, divisés en trois parties, chacune introduite par un membre de la direction d’ouvrage) qui « peuvent être considérés comme partie prenante et même comme des productions emblématiques d’un mouvement général qui transforme progressivement l’approche sociologique des groupes professionnels » (p. 265).

2Dans une première partie, il s’agit de discuter, plutôt que des « frontières » du travail, de celles entre les groupes sociaux impliqués dans la définition des activités. Des nouvelles « compétences » développées en tant que conjoint d’une personne souffrant de la maladie d’Alzheimer, à celles imposées aux joueurs de rugby à XV par la professionnalisation de ce sport, la question des trajectoires individuelles dans le passage des frontières entre amateurs/bénévoles/profanes et professionnels, aide à reconsidérer des démarcations à la fixité encore tenace dans les représentations. En particulier, trois contributions centrées sur les champs culturel et artistique viennent montrer la pluralité des frontières (par exemple, en distinguant formation et professionnalisme chez les comédiens intermittents), et introduisent la nécessité de tenir compte des facteurs externes d’institutionnalisation (formalisation statutaire chez les musiciens, reconfiguration des relations entre les représentants de la société culturelle locale et les conservateurs de musées suite à la professionnalisation de ces derniers). Un dernier chapitre plus théorique présente les concepts de « carrières invisibles » d’Arlene Kaplan Daniels et de serious leisure de Robert A. Stebbins, afin de prolonger cette fois-ci la réflexion sur la notion de « travail » et ses délimitations.

3Le deuxième temps du livre aborde les « tournants dans le cours de l’histoire des groupes professionnels », s’attachant plus particulièrement à décrire leurs actions ou réactions face à de nouveaux impératifs, qui peuvent prendre la forme de menaces ou de mises en concurrence : les médiateurs tentent de trouver une légitimité face aux travailleurs sociaux, les Conseillers solidarité énergie « inventent » leur activité, la médecine pénitentiaire et l’ostéopathie cherchent à conquérir un « segment » spécifique dans le monde social de la médecine (et rencontrent un succès relatif), tandis que les inséminateurs de bovins reconfigurent leurs relations avec les éleveurs, frappés par de nouvelles injonctions commerciales. Les bifurcations que connaissent les groupes professionnels rappellent alors l’importance pour l’analyse des propriétés sociales des agents – sur lesquelles les auteurs insistent plus ou moins fortement selon les contextes étudiés –, ce qui amène à souligner l’hétérogénéité des conduites, mais également à aborder la « résistance » au travail sous l’angle de la construction identitaire du groupe professionnel.

4Enfin, les contributions de la troisième partie ont la charge de restituer la valeur causale de la régulation dans la construction et de l’évolution des groupes professionnels. Si dans les deux premières parties, les références aux sociologues de la tradition de Chicago étaient nombreuses, ici surgissent celles aux travaux d’Andrew Abbott et d’Eliot Freidson, et une volonté de prise de position théorique présente dès l’introduction. Les présentations insistent ainsi sur différentes facettes de la notion de « régulation ». L’histoire des visites guidées des musées est d’abord l’occasion de l’aborder en tant que processus et non plus seulement comme un outil ou un résultat. Ensuite, la prise d’importance des problèmes liés aux maladies chroniques, révèle les luttes entre les différents métiers face au choix du mode de régulation par « universitarisation ». Une autre lutte entre restaurateurs d’arts et conservateurs de musées est donnée à voir de manière très claire dans une contribution qui met l’accent sur la dimension relationnelle de la régulation. Le dernier chapitre porte sur les « logiques régulatrices » de la carrière en boxe anglaise, où l’engagement doit être analysé en tenant compte du fonctionnement « politico-économique » d’un monde loin d’être dominé par les seules logiques « sportives ».

  • 2  Les groupes professionnels étaient notamment caractérisés comme des « ensembles de travailleurs ex (...)

5Toutes les contributions n’offrent pas le même niveau de lisibilité et ne s’articulent pas nécessairement bien autour des trois niveaux d’analyse de l’ouvrage, mais ce pour la (bonne) raison que la problématique générale des « groupes professionnels » reste en construction. Il est d’ailleurs révélateur que, dans une conclusion vigoureuse, Ch. Gadea fasse appel à une série d’autres travaux empiriques pour poser quelques repères théoriques importants et présenter un programme de recherche. Il s’agit d’achever de transformer l’expression descriptive « groupes professionnels », en théorie basée sur l’articulation de logiques et la prise en compte de dynamiques. Ceci explique sans doute pourquoi on trouve une définition minimaliste des « groupes professionnels » – « êtres collectifs rassemblant des individus liés par la proximité de la place qu’ils occupent au sein de la division du travail et par la similitude des activités de travail qu’ils exercent » (p. 269) – en comparaison à celle présentée dans l’ouvrage de 20092. En revanche, se voient distinguées différentes « catégories » : « professions établies », « métiers formalisés », « métiers de fait » et « situations-limites » (ou « quasi-métiers ») (pp. 271-272), dont les contours semblent définis par le niveau de formalisation des frontières sur plusieurs plans (monopole, formation, institutions, mais également histoire ou culture du métier).

  • 3  Dans son ouvrage précédent, le sociologue distinguait les « professions à pratique prudentielle », (...)

6Une comparaison s’engagera probablement prochainement entre cette catégorisation et par exemple la « typologie générale des activités professionnelles » avancée par Florent Champy3 – dont les propositions théoriques ne sont jamais évoquées explicitement dans l’ouvrage. Pour l’instant, on s’en tiendra à souligner l’intérêt de certains rappels fertiles proposés dans une discussion de la notion de « profession » pour un décloisonnement de son usage, comme le phénomène de hausse générale de la qualification, ou encore l’usage managérial dans le monde du travail de la rhétorique du « professionnalisme ». Surtout, c’est avec la notion d’« historicité » – « capacité des groupes professionnels de transformer le lien social et de faire advenir des configurations nouvelles d’acteurs » (p. 276) –, et sa lecture sur plusieurs niveaux, que cette sociologie présente les plus grandes ambitions. Si certains points méritent encore d’être déconstruits, notamment l’identification d’un groupe professionnel par un nom – une « identité narrative » (p. 274) –, affirmation un peu naturaliste au regard des discussions et luttes que soulèvent la catégorisation au sens large, ces dernières propositions, adjointes aux outils d’analyses disséminés au fil des contributions, font de cet ouvrage une sérieuse ressource pour l’analyse des espaces professionnels.

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Notes

1  Didier Demazière, Charles Gadéa (dir.), Sociologie des groupes professionnels. Acquis récents et nouveaux défis, Paris, La Découverte, 2009 ; Valérie Boussard, Didier Demazière, Philip Milburn (dir.), L’injonction au professionnalisme. Analyses d’une dynamique plurielle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2010.

2  Les groupes professionnels étaient notamment caractérisés comme des « ensembles de travailleurs exerçant une activité ayant le même nom, et par conséquent dotés d’une visibilité sociale, bénéficiant d’une identification et d’une reconnaissance, occupant une place différenciée dans la division sociale du travail, et caractérisés par une légitimité symbolique […] » (Didier Demazière, Charles Gadéa (dir.), Sociologie des groupes professionnels, op. cit., p. 20.).

3  Dans son ouvrage précédent, le sociologue distinguait les « professions à pratique prudentielle », les « marchés fermés », les « professions assermentées » et les « petits métiers » (Florent Champy, La sociologie des professions, Paris, PUF, 2009, pp. 185-190). Dans le chapitre mentionné, il ne revient pas sur tous les termes de la typologie, mais insiste sur celui des « professions à pratique prudentielle », avec la volonté explicite de dépasser « l’opposition entre fonctionnalisme et interactionnisme » (Florent Champy, Nouvelle théorie sociologique des professions, Paris, PUF, 2011, pp. 145-165).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Sébastien Bauvet, « Régine Bercot, Sophie Divay, Charles Gadea (dir.), Les groupes professionnels en tension. Frontières, tournants, régulations », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 21 août 2012, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8990 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8990

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Rédacteur

Sébastien Bauvet

ATER à l'Université de Cergy-Pontoise, doctorant à l'EHESS, rattaché à l'ERIS-CMH (UMR 8097)

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