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Ronan Le Velly, Sociologie du marché

Benoît Ladouceur
Sociologie du marché
Ronan Le Velly, Sociologie du marché, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2012, 125 p., ISBN : 978-2-7071-7124-5.
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Texte intégral

  • 1  « Les développements récents de l’économie face à la sociologie : fécondation mutuelle ou nouvel i (...)

1En sociologie, le marché correspond davantage à une métaphore qu’à une émanation naturelle et autonome. Depuis les années 1970 et la fin de la « pax parsonia »1, les sociologues et les ethnologues se sont de nouveau penchés sur les relations marchandes. Cet ouvrage propose donc d’en rendre compte.

2Le décor est planté dès le premier chapitre qui s’ouvre sur cette phrase : « Le marché n’est pas le seul mode d’échange des économies ». Ce point de départ permet à l’auteur de rentrer directement dans le vif du sujet : montrer en quoi la sociologie complète l’analyse économique qui ne s’intéresse qu’aux relations reposant sur un échange d’argent. Si utile qu’elle soit, cette répartition ne cache pas moins la difficulté de se donner une frontière nette entre les échanges marchands et les autres types d’échanges. Pour ce faire, Ronan Le Velly en passe par la traditionnelle partition entre le don et le marché. Cette première frontière lui permet de convoquer les travaux fondateurs de Mauss, Malinowski et Boas. Ce détour par les classiques n’occupe pas une place démesurée dans l’ouvrage, mais trouve véritablement sa place dans la mesure ou il éclaire aujourd’hui encore les comportements de consommation. Ainsi, le potlatch des indiens du Nord Ouest américain comme de nos jours l’achat de biens luxueux, n’ont pas une finalité uniquement pratique (se vêtir, se déplacer, etc.) mais permettent à leurs initiateurs « d’assoir une position hiérarchique ». L’auteur définit le don et l’échange marchand en fonction de leur finalité respective et non de la présence de calculs et d’intérêts dans leur logique. Ainsi l’échange marchand repose sur des conditions clairement établies alors que le don se caractérise par l’incertitude sur le retour : le contre-don ne peut pas être exigé de la part du donneur.

  • 2  Pascale Trompette Le marché des défunts, Presses de Sciences-Po, 2008

3Le marché est souvent invoqué comme une réalité univoque et dont l’existence ne devrait rien aux actions des acteurs sociaux. Rien n’est plus contestable. Ainsi les travaux de la « nouvelle sociologie économique » apparue dans les années 1970 ont pu montrer l’extrême hétérogénéité des marchés concrets, cette diversité s’expliquant par des contextes sociaux propres à chacun des marchés étudiés. Ronan Le Velly retient quatre grands axes de recherches qu’ont investi les sociologues du marché. L’analyse des réseaux sociaux qui structurent les marchés concrets est historiquement le premier et le plus développé de ces axes. Viennent ensuite l’analyse des dispositifs matériels qui favorisent la rencontre de l’offre et de la demande, notamment sur les marchés où le choix est vaste et l’information sur les produits difficile d’accès ou d’interprétation. Il s’agit par exemple des labels de l’agroalimentaire, des guides gastronomiques, etc. Ces dispositifs prennent des formes variées et sont d’autant plus légitimes qu’ils sont adossés à des règles formelles. La mise au jour de celles-ci constitue le troisième axe de recherche distingué par Le Velly. Il peut s’agir de règles de droit ou de règles implicitement définies par les acteurs d’un marché local et par la puissance publique. Ce phénomène est bien illustré dans l’ouvrage, les travaux des sociologues français portant sur cette dimension des marchés se sont multipliés ces dernières années. Le quatrième axe est consacré aux relations entre la culture et le marché. Il s’agit d’un très vaste champ de recherche qui montre tout à la fois le rôle moteur dans certains cas de la culture dans le développement des échanges, comme à l’inverse le rôle d’entrave forte qu’elle peut représenter dans le développement des échanges. C’est notamment le cas à propos des « biens symboliques » comme le corps humain où les interdits moraux empêchent le rapport marchand de se développer. On pense aux travaux de Viviana Zelizer sur le marché de l’assurance-vie, mais aussi à ceux de Pascale Trompette qui étudie le marché du funéraire, montrant la gêne pour les clients d’adopter un comportement calculateur2.

  • 3  Dubet François, Vérétout Antoine. Une « réduction » de la rationalité de l'acteur. Pourquoi sortir (...)

4Une des particularités de cet ouvrage, dont l’auteur a préparé l’agrégation d’économie-gestion, tient à la volonté de faire dialoguer plutôt que d’opposer la sociologie et l’économie dans l’étude du fonctionnement des marchés. Sans s’appesantir sur les débats parfois houleux opposants les approches sociologiques et économiques du marché3, Ronan Le Velly essaie à l’inverse de rapprocher ces deux disciplines, en mobilisant des travaux récents qui « envisagent explicitement la diversité des marchés » ou par exemple « le comportement plus ou moins concurrentiel des acteurs du marché », rejetant l’image caricaturale d’une théorie économique dépouillée d’institutions, d’acteurs stratégiques jouant de la force des réseaux. L’auteur pointe avec précision et force d’arguments les lacunes de l’analyse économique des acteurs des marchés. Ainsi en est-il de la conception réductrice et déterministe de l’homo oeconomicus, quine dit rien des « conditions concrètes de ses prises de décision ». Sont mises dos à dos deux conceptions des actions économiques : l’une « sous-socialisée », l’autre « sursocialiée ». Cette opposition, très clairement présentée par l’auteur, semble difficilement dépassable dans la mesure où d’une part elle remonte aux précurseurs (Weber, Simmel, Dukheim et Polanyi), et où d’autre part, elle reste très souvent mobilisée par les militants dans le but de montrer l’essor implacable du marché sur le social. Sans prétendre dépasser ou nier ces questionnements légitimes, Ronan Le Velly rappelle à juste titre la difficulté de toute montée en généralité à partir de travaux liés à un contexte particulier. Fort de ce constat, il propose une analyse du marché du commerce équitable, filière qu’il a pu lui-même étudier.

5Il montre ainsi que deux grandes filières s’opposent sur ce marché, mais que contrairement à ce qu’on pouvait imaginer les forces du marché les ont fait converger sans accroître leurs divergences initiales. La filière d’« Artisans du monde » s’est développée autour d’une logique associative et militante forte, il s’agissait d’entretenir des relations directes avec les producteurs. Mais pour des raisons de rationalisation et d’économie, cette filière s’est progressivement rapprochée d’une organisation commerciale classique (création d’une centrale d’achat, standardisation de l’offre et recherche d’une plus grande part de marché). La deuxième filière est représentée par les organismes de labellisation (Max Havelaar en Europe notamment), dont la fonction n’est pas de mettre en relation les producteurs avec les consommateurs, mais simplement de vérifier le respect du cahier des charges par les producteurs de produits équitables. La question des rapports de force inégaux entre des producteurs atomisés et nombreux et des distributeurs peu nombreux et en situation de force n’est pas centrale pour cette filière. Cette stratégie n’est pas inepte puisqu’elle a permis de considérablement développer les débouchés du commerce équitable, l’auteur rappelant que les ventes des produits labellisés et présents en grande surface sont vingt fois supérieures à celles des réseaux spécialisés.

6Si l’ouvrage de Ronan Le Velly s’inscrit dans la continuité de celui de Philippe Steiner paru dans la même collection, il propose néanmoins une approche entièrement renouvelée avec des questionnements originaux dont le lecteur trouvera une pertinence sans nul doute. La sociologie des marchés est un vaste champ de recherche dont l’actualité scientifique est foisonnante. Une des grandes qualités de cet ouvrage, dense mais accessible, est de présenter les analyses fondatrices de la sociologie des marchés, tout en discutant leur pertinence au regard d’enquêtes empiriques menées ces dernières années et dont les apports sont importants.

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Notes

1  « Les développements récents de l’économie face à la sociologie : fécondation mutuelle ou nouvel impérialisme ? », Jérome Gautié, Congrès AFS, 2004

2  Pascale Trompette Le marché des défunts, Presses de Sciences-Po, 2008

3  Dubet François, Vérétout Antoine. Une « réduction » de la rationalité de l'acteur. Pourquoi sortir du RMI ?. In: Revue française de sociologie. 2001, 42-3. pp. 407-436 et la réponse d’un économiste, Gurgand Marc. Commentaire de l'article de François Dubet et Antoine Vérétout, In: Revue française de sociologie. 2002, pp. 765-769.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benoît Ladouceur, « Ronan Le Velly, Sociologie du marché », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 juillet 2012, consulté le 21 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8947 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8947

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