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Nicolas Rouvière (dir.), Bande dessinée et enseignement des humanités

Catherine Dupuy
Bande dessinée et enseignement des humanités
Nicolas Rouvière (dir.), Bande dessinée et enseignement des humanités, Grenoble, ELLUG, col. « DIDASKEIN », 2012, 434 p., ISBN : 9782843102257.
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  • 1  Christophe Evans & Françoise Gaudet, « La lecture de bandes dessinée », mars 2012, disponible en l (...)

1L’ouvrage Bande dessinée et enseignement des Humanités sous la direction de N. Rouvière publié chez Ellug en 2012 comble le retard culturel qui a conduit l’école à longtemps marginaliser la lecture du genre de la B.D. considéré comme paralittéraire. Mais grâce aux enseignants, la B.D. a su gagner en légitimité grâce à la prise en compte des pratiques personnelles des lecteurs comme le confirme un récent rapport1 : près d’un Français sur deux âgé de 11 ans et plus, déclare posséder personnellement des bandes dessinées au format papier.

2Les deux premières parties de l’ouvrage prennent en charge -avec leurs nombreux auteurs et une abondante bibliographie- les enjeux pédagogiques et les obstacles culturels de la B.D. tout en questionnant le projet didactique et didactique pour aborder les œuvres. Les enseignants de la maternelle à l’université ont un outil pour évaluer en quoi la B.D. s’inscrit dans le champ pédagogique des littératures dessinées et pour faire le point sur les atouts d’un médium où prennent place récits, personnages, regards, émotions et discours. L’ouvrage de la collection Didaskein, dirigée par F. Grossmann et J.F. Massol, universitaires et didacticiens du français et de la littérature, ouvre la question de la construction scolaire des savoirs littéraires dont font partie « les fondamentaux du langage en bande dessinée » rappelés dans la préface par N. Rouvière. À coté des lectures des classiques du roman et de la nouvelle, la B.D. peut occuper un espace spécifique doté d’un potentiel de littérature vivante à l’instar du spectacle vivant. De là vient la nécessité d’objectiver comment la didactique de la littérature révèle l’enjeu de lecture de la B.D., en tant que jalon vers l’éducation à la littéracie, conçue comme possibilité de développer des compétences de lecture et de production d’écrit. Ainsi M. Missiou dans son article (p.79) avance que la B.D. en tant que forme littéraire spécifique permet « de former les élèves à devenir de véritables lecteurs-interprètes tout en s’appuyant sur leur immersion dans la culture médiatique ». De ce fait, les professeurs en classe de littérature intègrent à leur pédagogie de la lecture d’une part, l’enseignement de la compréhension explicite du support littéraire de la BD et d’autre part, le rôle de médiateur littéraire entendu comme enseignement explicite des systèmes sémiotiques des littératures dessinées. Mais alors que le contexte apparaît favorable pour les apprentissages littéraires de la B.D., il s’avère que les récentes Instructions Officielles de 2008 pour l’enseignement élémentaire ont rabattu les propositions de lecture en classe sur une démarche de patrimonialisation, où ne prend vraiment plus place la littérature de jeunesse dont la BD. On concède avec J.M. Rosier (p. 45-53) qu’il ne s’agit sans doute que de « l’emprise maladroite de l’école » par rapport à ces œuvres contemporaines. De fait, on se rend compte que les enseignants qui veulent intervenir en tant que médiateurs littéraires se voient contraints de passer outre la lettre et l’esprit des orientations institutionnelles. Ils prennent l’initiative de valoriser ainsi leurs propres réflexions didactiques sur la posture scolaire la plus culturelle de l’élève. Ils opèrent par conséquent la transposition didactique de la B.D. qui requiert de prendre en compte les pratiques de lecture facile et rapide à usage de lecture-loisirs expérimentées par les élèves pour développer un sujet lecteur doté d’une hétérogénéité des dispositions individuelles telles que B. Lahire l’a analysée. Il est évident que la voie de l’acculturation scolaire aux objets culturels passe par une mise à distance des produits culturels industriels et par leur appropriation individuelle souple et sans dissonance culturelle. Pour cela, remarquent les auteurs de l’ouvrage, l’école dispose déjà des théories éducatives de la littérature bien diffusées par les travaux de C. Tauveron qui misent sur le développement des compétences du sujet lecteur.

3La troisième et quatrième partie de l’ouvrage articulent l’objectif général des contributions : montrer en quoi la B.D. contribue à l’enseignement des humanités. Cette relation plutôt étonnante amène à désacraliser l’enseignement actuel de la littérature pour faire adopter des comportements de réception susceptible de favoriser le goût culturel à la manière de l’expérience artistique relevant des champs des arts plastiques, théâtre et musique. On pourrait objecter que cette démarche induit une dérive possible posée en ces termes : qu’importe le produit culturel étudié en classe, pourvu qu’il éduque à la réactivité du récepteur développant sa compréhension de l’objet qu’on lui soumet. Comme le souligne N. Rouvière, faire rencontrer l’ensemble des  types d’œuvre dont spécifiquement  la B D qui a le moins d’effet de violence symbolique est le plus sûr garant d’une pédagogie de la lecture qui entretient et développe une posture d’ouverture culturelle, synonyme alors d’une appétence artistique garante de la spécificité des Humanités redéfinie pour les lecteurs scolaires d’aujourd’hui. De ce fait, le domaine de l’Histoire des Arts comme recommandation ministérielle trouve sa justification pédagogique et constitue une voie disciplinaire et méthodologique où peut se travailler cesocle commun des humanités. Pourtant  dans les pratiques réelles des classes, cela n’est pas si simple. La BD inscrite dans l’histoire des arts comme art graphique est utilisée  en décalage dans les manuels, comme le souligne justement B. Tabuce dans son article (p. 25 -43) : leurs propositions pédagogiques s’avèrent décevantes car elles refusent à la B.D. son statut de 9° art, préférant légitimer le dessin, l’illustration et de la photographie.

  • 2  A. Gaudreaukt et T. Groensten (dir) la Transécriture. Pour une théorie de l’adaptation. Littératur (...)

4Ainsi l’ouvrage BD et enseignement des Humanités fait état de la présence avérée du support B.D. à l’école, mais aussi d’une réalité pédagogique contrastée. Le détour par une perspective historique dans l’article de H. Morgan (p.55) met en avant l’utilisation utilitariste de la B.D. par des enseignants qui considéraient autrefois la littérature dessinée comme levier d’éducation morale. La spécificité narrative de la BD était occultée mais répondait au double principe de distraire pour éduquer et d’éduquer pour édifier. Aujourd’hui, les albums de B.D pour la jeunesse comportent une densité littéraire plus complexe que par le passé et nécessitent une lecture didactique qui conjugue les approches sémiotiques et narratives. Pour exemple, l’œuvre d’Y. Pommaux étudiée par C. Connan- Pintado (p.141) a une orientation classique  « informer de former le jeune destinataire » due à la réécriture des contes en BD à laquelle s’ajoute un jeu sur l’intertextualité et l’intericonicité qui en fait une œuvre riche par ses qualités narratives mais aussi graphiques et plastiques.  Complexité encore quand il s’agit de transécriture2 qui adapte  La Fontaine, comme le développe l’article de B. Louichon, (p.171) en ayant pour objectif de restituer le texte poétique intégral. La transposition didactique repose sur la lecture problématisée accessible aux élèves posée par le phénomène de l’adaptation de la fable écrite en fable dessinée. Par ailleurs, faire lire en classe Proust en B.D consiste à introduire un supplément par rapport à l’œuvre romanesque. G. Perrier, enseignant-innovateur, avance que  le récit illustré crée chez le jeune lecteur des images mémorables (p. 197) qui ne vise pas la connaissance exhaustive de Proust mais induit une relation individuelle intime chez le jeune lecteur.

5Enfin une intéressante question met en cause la nature facilitante de la BD pour aborder des thèmes et des contenus, si ce n’est tabous tout au moins idéologiquement puissants. C’est l’enseignement de l’Histoire des Arts et de son lien avec les disciplines de l’histoire mais aussi des langues. Il met en question les démarches pédagogiques autour de la B.D comme objet historique à étudier dans ses différentes facettes qui condensent la  réalité historique et fictionnelles sous les formes de  témoignages combinés à des données factuelles. Les articles de S. Dardaillon et C. Meunier, (p.207) ; V. Marie,(p.225) ; T. Crépin (p. 247) et J.M. Dit Mack ( p.257) autour des titres de BD qui abordent  la Shoah,  la 2° guerre mondiale ou la guerre dans la Bande de Gaza  inaugurent une réflexion didactique et des propositions pédagogiques qui offrent des trames de séquences de classe à expérimenter concrètement. Pour finir, l’approche de la BD en cours de langue et de civilisation repositionne la notion de littératie en tant que travail de l’interculturalité inscrit dans les pratiques pédagogiques.

  • 3  Y. Citton, L’avenir des Humanités, La Découverte, 2010 ;  p 24.

6Le cœur du livre  BD et enseignement des Humanités est de non pas plaider pour une reconnaissance scolaire du médium BD qui malgré quelques détracteurs ne semble aujourd’hui plus remis en cause. L’enjeu est de faire avancer la didactique de la lecture littéraire, en reconsidérant l’espace de l’enseignement des humanités du XXI° siècle. Inscrites dans la lignée des lettres profanes distinguant humanités scientifiques, modernes et classiques, elles ne s’y réduisent cependant pas. Par conséquent, on pourrait considérer que l’étude de la BD serait un support le plus à même- car le moins patrimonial et le plus interdidactique-  pour envisager une économie des cultures de l’interprétation  qu’Y.Citton3 appelle de ses vœux. On pourrait imaginer que les nouvelles humanités émergent de la préoccupation majeure des enseignants utilisant le support BD dans leurs classes : le souci linguistique de faire verbaliser les images de l’album de BD, ce qui permettrait de faire faire des apprentissages en Maîtrise de la langue fédérant l’enseignement des Lettres et des discours. On aurait alors gagné à ce que les frontières en didactique du Français Langue Maternelle et didactique de la Littérature soient non pas effacées  mais  se décloisonnent afin que le goût des Humanités des élèves soit sollicité au travers  d’une culture médiatique portée par l’école.

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Notas

1  Christophe Evans & Françoise Gaudet, « La lecture de bandes dessinée », mars 2012, disponible en ligne à l’adresse http://www.culturecommunication.gouv.fr/content/download/25390/212951/file/CE-2012-2-site.pdf.

2  A. Gaudreaukt et T. Groensten (dir) la Transécriture. Pour une théorie de l’adaptation. Littérature Cinéma Bande Dessinée Théâtre Clip Colloque de Cerisy, Editions Nota Bene, 1998, p. 149.

3  Y. Citton, L’avenir des Humanités, La Découverte, 2010 ;  p 24.

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Para citar este artículo

Referencia electrónica

Catherine Dupuy, « Nicolas Rouvière (dir.), Bande dessinée et enseignement des humanités », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 30 julio 2012, consultado el 05 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8943 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8943

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