Navigation – Plan du site

AccueilLireLes comptes rendus2012Patrick Cingolani, Le temps fract...

Patrick Cingolani, Le temps fractionné. Multiactivité et créativité de soi

Cédric Frétigné
Le temps fractionné
Patrick Cingolani, Le temps fractionné. Multiactivité et création de soi, Armand Colin, 2012, 224 p., EAN : 9782200275181.
Haut de page

Texte intégral

1L’ensemble des « sphères latérales tantôt poreuses, tantôt disjointes eu égard au travail » (p. 68) est désigné par Patrick Cingolani du nom de multiactivité. L’enjeu sociologique posé par l’auteur est de repérer ce que la distension des étapes du cycle de vie implique en termes de rapport au faire et au vivre. Il s’agit donc d’engager une réflexion sur les réalisations pratiques conduites en deçà et au-delà du travail subordonné tout en menant une réflexion sur les identités individuelles et collectives que génère un tel rapport à l’activité (bien souvent la multiactivité).

2Les activités des étudiants et des retraités sont tout particulièrement sondées par l’auteur. Réactivant une dialectique classique – travail libre/travail subordonné – à laquelle il ajoute une réflexion sur l’activité dans la diversité de ses acceptions, Patrick Cingolani entreprend d’abord de montrer que la réduction du temps de vie consacré au travail subordonné n’est pas sans incidence sur sa perception. Objectivement certes, mais subjectivement aussi, la part consacrée à ce type d’activité décline au profit d’autres investissements, collectifs ou individuels. Ce qui rend l’analyse sociologique à la fois passionnante et délicate, c’est le phénomène d’interpénétration des temps. Patrick Cingolani ne cède pas aux facilités d’une grille de lecture en termes de « fin du travail ». Il montre, de manière convaincante, qu’il faut penser l’articulation voire la coexistence entre ces différents temps qui, loin de s’opposer dans la pratique, alimentent la sphère des activités effectivement menées. Certes précise-t-il, « le temps socialement consacré au travail se rétrécit et, à divers moments biographiques, le temps non-subordonné apparaît comme l’élément de la socialisation de l’individu et comme le lieu d’édification de sa personnalité ». De fait, « la dimension occupationnelle de ce temps au-delà de l’emploi est devenue socialement décisive » Néanmoins, prend-il soin d’ajouter, « ce qui s’y passe a de plus en plus d’importance eu égard au travail et, par ailleurs, a de plus en plus d’incidences sur celui-ci en venant souvent le nourrir et le revivifier » (p. 87).

3Plus au fond, Patrick Cingolani interroge le « style de société » que ces tendances lourdes invitent à prendre en considération. Dans une démarche qui se veut parfois résolument prospective, Patrick Cingolani s’attache à anticiper ce que pourrait être une société non pas libérée du travail subordonné mais le limitant à l’essentiel. Un rééquilibrage des temps de vie et des investissements pourraient se dessiner, au profit notamment de formes de socialisation citoyenne faisant une place de choix au vivre ensemble. Il y a, dans le propos de l’auteur, des touches d’utopie qui donnent à voir le modèle de vie en société qui a sa préférence. Sans jamais céder au dogmatisme et à la disqualification de modèles concurrents (sauf ceux qui font du libéralisme économique l’alpha et l’oméga des rapports sociaux), Patrick Cingolani poursuit dans la voie des analyses conduites il y a vingt-cinq ans déjà dans L’exil du précaire (Paris, Méridiens Klincksieck, 1986). Restriction des besoins factices, cénobitisme et pratiques « conviviales » (Ivan Illich) offrent quelques-unes des pistes auxquelles Patrick Cingolani se réfère de manière explicite.

4Bien sûr, cette orientation normative-prospective ne laissera pas d’irriter les puristes de la neutralité axiologique qui reprocheront à l’auteur son engagement. Par définition, l’administration de la preuve fait également parfois défaut. D’aucuns considèreront peut-être que le genre auquel se rattache l’ouvrage invite à la suspicion : essai plus que monographie sociologique. Les mêmes pointeront des accents de philosophie sociale dont la sociologie peine tant, dans certaines circonstances, à s’affranchir. Mobilisant Charles Fourier, Patrick Cingolani objecte, quant à lui, que « parmi les "sectateurs de l’impossible", il faut compter malheureusement ces sociologues coutumiers de la critique qui, dans un esprit de ressentiment, ont fait de celle-ci le ressort d’une impuissance et d’une inaction qui donne ses traits à la figure contemporaine de la "belle âme" » (p. 211).

5Un livre engagé donc qui ne manquera pas de susciter la discussion voire la polémique.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Cédric Frétigné, « Patrick Cingolani, Le temps fractionné. Multiactivité et créativité de soi », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 10 juillet 2012, consulté le 18 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8875 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8875

Haut de page

Rédacteur

Cédric Frétigné

Maître de Conférences à l’Université Paris-Est Créteil-Val-de-Marne (UPEC), et membre du laboratoire REV-CIRCEFT

Articles du même rédacteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search