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Camille Froidevaux-Metterie, Politique et religion aux Etats-Unis

Benoît Ladouceur
Politique et religion aux Etats-Unis
Camille Froidevaux-Metterie, Politique et religion aux Etats-Unis, La Découverte, coll. « Repères », 2009, 123 p., EAN : 9782707153975.
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Texte intégral

1Si les voix du Seigneur sont impénétrables, celles de la religion aux Etats-Unis semblent l'être tout autant. Quel étrange pays pour un esprit français où religion et politique semblent jouer une valse enserrée et chaotique. Il faut dire que les symboles d'un lien entre affaires d'Etat et affaires religieuses sont marquants : la devise nationale accolée aux billets et pièces de monnaie ; le Président prêtant serment sur la Bible, etc....Autant de signes qui peuvent expliquer cette surinterprétation du lien entre religion et politique. La culture laïque française contribue également à accentuer la signification de tels signes, tant ils nous paraissent discordants. Ce petit mais dense ouvrage montre que le lien entre politique et religion aux Etats-Unis ne correspond pas à la réalité. En tous cas à une réalité plus complexe à saisir qu'en faisant une simple opposition entre laïcité et théo-démocratie.

2L'auteur relève toutefois une pression ancienne et récurrente de l'option « théocratique », ayant notamment pour objectif de revenir sur les deux principes fondateurs de la laïcité américaine : la liberté religieuse, et la neutralité absolue de l'Etat en matière spirituelle. L'auteure parle de « mixte théocratico-laique » pris entre deux pôles opposés. « L'esprit religion » des protestants les plus conservateurs souhaitant placer l'ordre civil sous tutelle chrétienne, et « l'esprit de laïcité » défendu par les partisans d'un Etat neutre religieusement. Ce mixte constitue « la religion civile américaine ». C'est ce contexte bien particulier qu'elle se propose d'éclairer en adoptant une perspective historique, ce qui semble pertinent pour répondre à cette problématique, mais qui tend aussi à rendre la lecture plus complexe, revenant finement sur l'histoire de ce pays.

3Le premier chapitre remonte pour ainsi dire aux origines de la fondation de l'Etat moderne américain. Si ce sont bien des puritains européens qui ont débarqué les premiers sur ce territoire, les colons venus par le suite sont beaucoup plus préoccupés de faire coexister harmonieusement les différentes confessions composant le tout jeune Etat. Les colons anglais viennent aussi pour des raisons économiques. L'auteure analyse le rapport entre groupes religieux en constitution. Dès 1740, trois grands systèmes religieux dominent : les puritains des colonies du Nord sont en perte de vitesse, la diversité religieuse des colonies du centre porte le modèle futur de la tolérance, enfin les conservateurs des colonies du Sud portent la religion anglicane et la légitimation de l'esclavage (en Virginie, Caroline et Géorgie). Au cours du 18ème siècle, le principe de la tolérance religieuse fait son chemin. Le républicanisme américain s'accorde bien avec l'affirmation du choix et de la liberté de culte au niveau individuel. Cette concordance entre l'esprit républicain et la religion protestante permet de déboucher sur ce que l'auteure appelle dans son deuxième chapitre « La laïcité « à l'américaine » ».

4Dans le chapitre deux, Camille Froidevaux-Metterie revient sur l'idée selon laquelle les Etats-Unis seraient une nation religieuse, par le simple fait que ce sont des puritains qui ont, les premiers, colonisé ce territoire. Ainsi explique-t-elle que les néocalvinistes n'ont pas essaimé les esprits, au contraire leur dimension théocratique les a écartés du pouvoir et de ses représentants. Les Pères fondateurs de l'Etat américain indépendant étaient moins inspirés par la religion que par les principes des Lumières et par la raison. Cela se traduit dans le dispositif constitutionnel qui définit un Etat laïque. Cependant, à la différence du cas français qui, au dire de l'auteure, « stigmatise et rejette » la religion, la constitution états-unienne lui ménage une place car elle est perçue comme un vecteur de lien social. La religion est perçue comme porteuse d'un ordre moral qui correspond à celui des Pères fondateurs. Il s'agit finalement pour les républicains de donner à la religion une fonction normative et d'encadrement de la morale citoyenne.

5Dans le troisième chapitre intitulé « Une nation divinement inspirée » l'auteure s'attache à décrire le développement du courant évangélique (conservateur) dans la société américaine, ainsi que les conséquences d'un tel développement. Dès 1850, l'évangélisme a pris un tel essor qu'il apparaît comme le courant majoritaire du pays. La conséquence majeure est la réintroduction de l'option théocratique sur la scène politique, dont l'objectif est clairement de replacer la religion protestante au cœur de l'Etat et plus généralement dans la société. Les changements de la société américaine au tournant du 20ème siècle (développement des sciences, de l'école, urbanisation, etc.) conduisent à une perte d'influence de la religion sur les individus. Cette dernière réagit en accent ses nouvelles campagnes d'évangélisation sur les populations urbaines moins marquées par l'héritage religieux. Une nouvelle figure charismatique apparaît, celle du prédicateur, souvent issu du monde des affaires et remobilisant les techniques du marketing naissant. Il s'exprime dans un registre simplifié, mène des actions visibles et utilise les nouveaux médias, la radio, la télévision plus tard.

6Le quatrième chapitre de l'ouvrage s'attache ainsi à clarifier ces deux périodes, analysant leurs manifestations et répercussions sur la jurisprudence états-unienne. Il revient à la Cour suprême de faire évoluer la jurisprudence et donc de revenir sur les principes fondamentaux de la laïcité américaine. Ces derniers sont maintenus et consolidés sur la période allant de la fin de la deuxième Guerre Mondiale aux années 1980. La période contemporaine a vu s'inverser ce mouvement. Le cinquième chapitre dresse un tableau des droites et gauches religieuses sur la scène politique des Etats-Unis à partir des années 1940. Le sixième et dernier chapitre revient sur ce qui constitue à n'en pas douter une énigme tenace du point de vue français : le concept de religion civile ou le mixte théocratico-laïque américain. Après avoir rappelé que ce concept de religion civile est apparu en premier sous la plume de Rousseau, l'auteure montre qu'il remplit une fonction de socle national spirituel, qui distingue les Etats-Unis des autres nations de tradition chrétienne. Ce terme est cependant piègeux car il tend à masquer les entreprises de « storytelling » dont le but est d'asseoir une vision plus ou moins laïque de l'Etat. Un ouvrage donc instructif et dense, qui s'adresse à un public averti.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Benoît Ladouceur, « Camille Froidevaux-Metterie, Politique et religion aux Etats-Unis », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 décembre 2009, consulté le 29 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/880 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.880

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