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Virginie Marcucci, Desperate Housewives. Un plaisir coupable

Lionel Francou
Desperate Housewives. Un plaisir coupable
Virginie Marcucci, Desperate Housewives. Un plaisir coupable, Paris, PUF, coll. « Hors collection », 2012, 128 p., ISBN : 978-2-13-059417-8.
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Texte intégral

  • 1  Descriptif du colloque « Les nouvelles séries télévisées américaines » qui s’est tenu les 17 et 18 (...)
  • 2  Professeur d’anglais en classe préparatoire, Viriginie Marcucci est agrégée et Docteur en anglais (...)
  • 3  Les PUF éditent, depuis avril 2012, une « série » consacrée aux séries avec l’objectif « d’analyse (...)
  • 4  Pour aller plus loin, sa thèse est accessible en ligne sur le site de l’Université de Tours, www.u (...)

1Ces dernières années, on a pu voir apparaître, en France, une série de publications, de mémoires, de thèses, de journées d’études et colloques interdisciplinaires consacrés aux séries TV et, principalement, aux « nouvelles séries télévisées américaines ». Leur qualité, leur profondeur et les moyens mis en œuvre sont comparables à ceux du cinéma, concurrençant celui-ci « dans la production d’œuvres originales, stimulantes et parfois subversives, contribuant à faire évoluer les modèles esthétiques et idéologiques »1. Parmi celles-ci, Desperate Housewives à laquelle Virginie Marcucci2 consacre cet essai publié aux Presses Universitaires de France3. Il s’agit d’un texte de 120 pages accessible à un grand public, caractérisé par la vulgarisation réussie de sa thèse sur le féminisme dans Desperate Housewives et défendue en novembre 2010. L’auteur donne de nombreuses clés de compréhension à chacun, offrant un texte d’une grande clarté mais dont on regrette qu’il n’offre parfois pas plus de détails4.

2L’essai est divisé en trois parties. D’abord quelques pages qui permettent, d’une part, de connaître le contexte dans lequel cette série a été créée, puis diffusée, et, d’autre part, d’expliquer les raisons de son succès. Ensuite, l’auteure détaille les dynamiques qui conduisent à faire de Desperate Housewives un produit culturel ambigu et interprétable à des niveaux multiples et contradictoires. Enfin, elle se penche sur l’idéologie véhiculée par cette série qui a, étonnamment, reçu un accueil favorable chez des publics aux opinions politiques antagonistes.

  • 5 Ch. Salvan (2012), « Quand les séries font leur loi », in ÉTVDES, Revue de culture contemporaine, m (...)

3Cette série a été diffusée par ABC, chaîne nationale gratuite et familiale, s’adressant à un vaste public, notamment car l’ampleur de l’audience influence directement le coût des publicités et donc les revenus de la chaîne, particulièrement en prime time. De plus, en 2004, la guerre d’Irak bat son plein, ce qui peut expliquer « ce renouveau d’intérêt pour la chose domestique » (p. 30) et la place retrouvée de la famille dans la société américaine. Avant même la diffusion du pilote, Desperate Housewives fait le buzz, tous les médias ne parlent que de ça. Le succès de cette « série culte » qui a su s’inscrire dans la durée est à la fois populaire, critique (Emmy Awards et Golden Globes) et commercial. Des chercheurs anglo-saxons feront rapidement un objet d’étude de cette série à laquelle chacun peut s’identifier. Ainsi Laura Bush déclarera être, elle aussi, une « femme au foyer désespérée » (p. 18). Il s’agit d’une culture mainstream, qui touche donc « l’éventail le plus large de la population tous critères confondus », une culture « qui plaît à tout le monde » et est vierge de « “marqueurs ” sociaux, politiques et nationaux », ce qui permet « une adhésion qui semble aller de soi »5. Tout le monde en parle, le public touché par la série étant extrêmement hétéroclite, réunissant femmes, hommes et enfants de tous âges, de toutes opinions politiques, orientations sexuelles ou origines ethniques, etc. Chacun interprète ce qu’il voit à sa façon et s’y reconnait, en fonction de sa lecture personnelle des références qui sont faites, des dilemmes moraux qui sont mis en scène, etc. Cela amène les téléspectateurs à ressentir un « plaisir coupable » en regardant la série, c’est-à-dire une « impression de commettre une faute », en prenant « autant de plaisir à regarder un tel produit » (p. 23).

4L’ambiguïté de la série est importante : chacun peut se positionner en fonction de ses valeurs, qu’elles soient plutôt progressistes ou conservatrices, féministes ou non, et apprécier cette série qu’il estime promouvoir celles-ci. Les personnages, principalement les quatre héroïnes (les hommes n’étant finalement que des faire-valoir) sont « des types de femmes : des caractères et des totems » (p. 96), « chacun des types est donc clairement identifié, et la série se permet de revenir sur cette typologie non sans humour » (p. 99). Chacun s’identifiera et appréciera le personnage qui lui parle le plus tout en reléguant les autres. Parmi les nombreux thèmes abordés, un certain nombre sont plutôt progressistes (homosexualité, avortement,…), mais ne constituent pas une prise de position ; le flou laissé autour de l’interprétation étant caractéristique de la série. Au niveau de la forme, Desperate Housewives oscille entre le soap opera et la série, mélangeant des traits distinctifs des deux genres ; c’est une véritable « série hybride » (p. 50) mettant en scène un « environnement neutre » (p. 54) qui permet à chacun d’y situer ses propres représentations.

5L’auteure a opté pour un positionnement théorique entre cultural studies, postmodernisme et queer study. Du postmodernisme, elle a retenu un type d’écriture particulier, hypertextuel, qui fait des liens et des renvois à d’autres œuvres (romans, séries, films, etc.) et qui « multiplie les points de vue sans imposer de regard ordonnateur » (p. 75), ce qui permet une pluralité d’interprétations. La trame narrative de Desperate Housewives s’établirait donc en connexion avec d’autres histoires, d’autres banlieues fictives auxquelles les téléspectateurs se réfèrent plus ou moins consciemment pour saisir le sens de la série ; « l’intérêt de ce jeu avec la mémoire télévisuelle ou cinématographique des publics est que le public n’y reconnaît pas toujours de semblables éléments » (p. 58). Les œuvres auxquelles fait référence cette série mettent en scène des banlieues paisibles en apparence mais finalement assez sombres, une fois que l’on franchit « la palissade de bois blanc » (p. 64) (par exemple, le film American Beauty de Sam Mendes). Le ton est donné dès le premier épisode qui s’ouvre sur le suicide de Mary Alice, conduisant le téléspectateur à découvrir que « quelque chose est pourri au royaume du muffin » (p. 7).

6Dans la dernière partie de cet essai, l’auteure évalue le degré de féminisme de la série et la façon dont les femmes y sont mises en scène. Raconter une histoire de mères au foyer désespérées par leur situation est un choix scénaristique fort ; la banlieue comme aboutissement de la vie d’une femme, après le mariage et les enfants ne serait pas une issue si merveilleuse. Bien que les personnages féminins y soient, d’une certaine manière, présentés comme des objets, ils en jouent, devenant par là même de véritables sujets. La série ne prend pas une position féministe assumée, ce qui est d’autant plus délicat à évaluer qu’il existe non pas un féminisme, mais des féminismes. Néanmoins, elle propose un tableau fait « de femmes qui ne vivent pas toujours la vie qu’elles ont choisie, qui sont parfois opprimées par leur mari, leur mode de vie, ou encore écartées de leur travail, mais qui résistent et trouvent des stratégies pour retourner les rapports de force à leur avantage » (p. 107). Du courant queer, l’auteure a repris l’idée que « les normes sociales, sexuelles ou de genre (…) sont « construites » » (p. 109) et « que l’identité est flottante, changeante, largement mobile » (p. 110). Ainsi, dans Desperate Housewives, chaque femme a un comportement différent et les rapports homme-femme illustrent « l’arbitraire des identités de genre comme construction sociale » (p. 109). Ainsi, dans le couple de Lynette et Tom, les rôles s’inversent à de nombreuses reprises, chacun étant à son tour « l’homme » et « la femme ».

  • 6 Interview de Virginie Marcucci, émission Le Labo.Ô sur France Ô, http://www.franceo.fr/le-labo/fron (...)

7Cet essai analyse les interprétations de Desperate Housewives dans des registres politique et moral et s’intéresse principalement à la question de la représentation de la femme et à l’enjeu du féminisme. Si certains pensent qu’il s’agit d’une série conservatrice, pour l’auteure la série est plutôt progressiste6.

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Notes

1  Descriptif du colloque « Les nouvelles séries télévisées américaines » qui s’est tenu les 17 et 18 septembre 2009 à l’Université du Havre, www.univ-lehavre.fr/actu/series_presentation.php, consulté le 21 juin 2012.

2  Professeur d’anglais en classe préparatoire, Viriginie Marcucci est agrégée et Docteur en anglais et civilisation américaine (Université François – Rabelais – Tours).

3  Les PUF éditent, depuis avril 2012, une « série » consacrée aux séries avec l’objectif « d’analyser de tels objets culturels, de comprendre les raisons de leur prospérité et d’en apporter des clés de lecture ». Deux autres ouvrages ont également déjà été publiés dans cette collection : N. Perreur (2012), The Practice. La justice à la barre et G. Wajcman (2012), Les Experts. La police des morts. D’ores et déjà six autres ouvrages sont à paraître.

4  Pour aller plus loin, sa thèse est accessible en ligne sur le site de l’Université de Tours, www.univ-tours.fr/these-de-virginie-marcucci-doctorat-de-langue-vivante-d-anglais-185901.kjsp?STNAV=&RUBNAV=&rh=1179838159217, consulté le 21 juin 2012.

5 Ch. Salvan (2012), « Quand les séries font leur loi », in ÉTVDES, Revue de culture contemporaine, mis en ligne le 12 juin 2012, http://www.revue-etudes.com/Arts_et_philosophie/Quand_les_series_font_leur_loi/7498/14720, consulté le 21 juin 2012.

6 Interview de Virginie Marcucci, émission Le Labo.Ô sur France Ô, http://www.franceo.fr/le-labo/front/3253,  émission du mercredi 30 mai 2012, consulté le 21 juin 2012.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lionel Francou, « Virginie Marcucci, Desperate Housewives. Un plaisir coupable », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 juin 2012, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8774 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8774

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