Nathalie Blanc, Les nouvelles esthétiques urbaines
Texte intégral
1L’ouvrage présenté ici propose une réflexion stimulante sur les rapports de l’Homme à son environnement, de la ville à la nature, des acteurs à l’action et, de façon spécifique, de l’esthétique à l’environnement urbain. Comme elle l’écrit elle-même, l’auteure se positionne dans « un entre-deux de la forme » avec l’ambition d’ouvrir des pistes de réflexion sur les prémisses de nouvelles manières d’habiter les lieux urbains. C’est dans cette mise en jeu d’une réflexion en construction que réside l’intérêt de l’ouvrage.
2Cet ouvrage est composé de trois chapitres. Le premier intitulé « Vers une esthétique environnementale » tente de cadrer la notion d’« esthétique urbaine » en développant une argumentation sur « l’investissement esthétique ». L’auteure situe l’esthétique environnementale dans l’appréciation collective et les formes d’appropriation préservant le lien entre le singulier et l’universel. Dans le deuxième chapitre intitulé « La fabrique de l’environnement : nature et culture urbaines », il est question de l’importance des villes comme « un fait actuel », des mots pour dénommer « la ville esthétique » et de la place de la nature dans l’espace urbain (la végétation, l’animal, l’air, le climat, le ciel). Cette partie de l’ouvrage traite des relations entre la ville et l’environnement et de ce que l’on entend aujourd’hui par « nature urbaine ». Dans le troisième chapitre « Acteurs et actions », l’auteure discute les investissements ordinaires de l’environnement, les mobilisations médiatiques et professionnelles dans l’espace urbain et interroge la place de l’implication citoyenne dans ce processus.
3D’emblée, Nathalie Blanc définie l’esthétique environnementale comme « une science qui se propose de déterminer les caractéristiques de l’appréciation et de la création des environnements naturels ou construits qui procurent une satisfaction de type esthétique » (p. 5). L’objectif de l’auteure est de mettre en évidence le rapport entre nature et culture, entre matérialité culturelle et symbolique qui relève de l’ordre de la représentation et matérialité scientifique et technique. Car au-delà de la matérialité, la problématique de l’environnement intègre la dimension de l’expérience sensible des individus et la compréhension du monde. L’auteure explique que l’esthétique environnementale vise l’émergence d’un sentiment collectif et contribue par là même au « jeu social associant savoirs, réflexivité et communication ».
4Dans le sillage des travaux de Jacques Rancière (2000), Nathalie Blanc présente l’expérience esthétique comme une forme autonome du vécu quotidien opposée aux injonctions politiques, morales ou sociales et capable de rénover l’espace public. En partant de ses propres enquêtes, elle montre que les exemples étudiés mettent en lumière la formation de « communautés environnementales » réunies autour de la préservation et la défense de leur cadre de vie : « les habitants transforment leur environnement immédiat au cours d’un processus dynamique de construction d’un collectif marqué par des conflits et leur dépassement, les réussites et les échecs dans les innovations écologiques, et le fait de se sentir engagé dans ses choix par le processus collectif » (p. 23). Ce nouveau mode de mobilisation participe à la formation et à l’inscription des sociétés contemporaines dans une nouvelle vision du monde.
5De façon générale, l’analyse proposée ici restitue les relations de dépendance entre les différents éléments de l’environnement et les êtres humains qui l’habitent. Mais l’ouvrage traite de façon spécifique de la place de la ville dans la prise de conscience de « la fragilité de notre planète ». Toutefois, c’est bien la relation forte et indissociable entre la problématique de l’environnement urbain et celle de l’expérience esthétique qui est au cœur de cette réflexion. Nathalie Blanc nous dit que le citadin dans sa relation à l’environnement, construit et expose « une créativité ordinaire ». Ainsi, une esthétique propre à la vie quotidienne se dégage du simple fait d’habiter et de la sensibilité des individus à l’égard des plantes et des animaux. Il en est de même pour les pratiques professionnelles (paysagistes, architectes, urbanistes, aménageurs, artistes, etc.) qui introduisent des connaissances expertes en mettant en scène les espaces urbains. L’analyse des différents investissements esthétiques permet à l’auteure de montrer que c’est sur la base d’une somme d’actions vécues et la mobilisation des ressources territorialisées que l’individu transforme la conscience de soi. L’esthétique environnementale est présentée ici comme une voie nouvelle pour apprécier la dimension sociale du développement durable afin de mesurer les inégalités environnementales, non seulement celles des disparités socio-spatiales liées à l’habitat mais aussi de l’habiter (p. 80). L’auteure pense que cette dimension subjective de la réalité est socialement mobilisable dans des formes d’actions collectives et peut constituer les fondements d’un débat public sur l’environnement urbain.
6Enfin, l’auteure soulève dans sa conclusion l’idée de « l’impermanence » du rapport à l’environnement qu’elle juge insuffisamment considérée dans les réflexions actuelles sur le développement durable ou l’urbanisme écologique même si elle apparaît dans certaines actions (recyclage, agriculture bio, jardinage, slow food, récupération etc.) (p. 183). La mise en scène esthétique de la nature ne doit pas être considérée comme un décor figé dans le temps et l’espace mais comme des systèmes d’interactions fluctuant capables de bouleverser la représentation du monde. C’est dans un processus permanent de transformation et d’adaptations réciproques que l’homme interagit avec la nature en lui donnant du sens (cf. John Dewey, Expérience et nature, Gallimard, 2012). C’est ainsi que l’esthétique environnementale comme expérience de l’ordinaire montre à la fois, la permanence de l’idée d’un monde ancré dans l’espace et dans le temps et, la contingence comme donnée essentielle pour comprendre la dynamique du rapport à la nature.
7Reste à explorer les nombreuses controverses que soulève la « nature en ville ». S’agit-il de nouvelles utopies urbaines suscitées par une recherche sans cesse renouvelée de la cité idéale ? Et comment prendre en compte la pluralité des usages, des territoires, des niveaux de décision ? Car au-delà du rapport ville/nature, ce sont les questions relatives à l’exercice de la démocratie et à l’implication citoyenne qui sont à reconsidérer. Pourtant, la notion de justice environnementale développée dans d’autres écrits de Nathalie Blanc, n’a pas eu la place escomptée dans cet ouvrage.
Pour citer cet article
Référence électronique
Nassima Dris, « Nathalie Blanc, Les nouvelles esthétiques urbaines », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 juin 2012, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8672 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8672
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