Françoise Benhamou, Économie du patrimoine culturel

Texte intégral
1Françoise Benhamou est une des grandes spécialistes de l’économie de la culture. Elle traite depuis de longues années de ces complexes sujets que l’actualité impose à sa réflexion scientifique : le droit d’auteur, le prix des œuvres, prix unique du livre ou prix du marché de l’art, plus récemment, les implications du numérique sur le secteur culturel. C’est pourquoi ce titre d’ « Économie du patrimoine culturel » est important, surtout pour un ouvrage de mise au point (le titre est publié par La Découverte dans sa collection « Repères ») : il souligne une évolution dès son intitulé, insistant à la fois sur l’importance économique qu’a pris le patrimoine culturel et sur le fait qu’il soit aujourd’hui, de ce fait, au centre de réflexions sur la croissance. D’ailleurs, le livre découle en partie du rapport que l’auteure a publié l’année précédente avec David Thesmar, « Valoriser le patrimoine culturel de la France » à la Documentation Française.
2Cette actualité du sujet est brûlante, on l’a récemment constaté lors du colloque organisé par le Conseil d’État à l’ENA le 16 mars dernier, portant sur « Le patrimoine immatériel des personnes publiques » : les questions de délimitation de frontières, objet du premier chapitre du livre de Françoise Benhamou, sont extrêmement importantes.
- 1 M.MELOT, Mirabilia. Essai sur l'inventaire général du patrimoine culturel, NRF 2012.
3C’est pourquoi dans ce chapitre initial l’auteure revient sur la construction sociale du patrimoine, dont le domaine s’est considérablement étendu ces dernières années. Elle considère que le patrimoine culturel, c’est ce sur quoi porte « la préoccupation patrimoniale, qui renvoie à des valeurs symboliques, à l’idée de nation comme à la volonté de préserver un cadre de vie. » Bien évidemment, extension du domaine du patrimoine signifie que ces valeurs symboliques deviennent diverses, le temps est loin où le patrimoine culturel était constitué uniquement de monuments chargés d’histoire ancienne. La concurrence des mémoires est là, en marge, mais surtout la question de savoir s’il faut tout conserver : l’économiste s’interroge sur l’ « inflation patrimoniale », qui est également au cœur du tout récent essai de Michel Melot, ancien directeur de l'Inventaire général du patrimoine1.
4Ces biens uniques (ou tout du moins représentatifs), publics, générateurs d’externalités et aux droits de propriété partagés, ils sont « consommés ». C’est l’objet du deuxième chapitre. L’expression de l’auteure peut surprendre, mais elle permet d’englober les différentes valeurs reconnues par les économistes aux biens patrimoniaux, valeur d’usage mesurable par le prix de vente ou le tarif d’entrée, valeur de non-usage, elle-même déclinable en valeur d’existence, valeur d’option et valeur de transmission aux générations futures, et elle permet d’évoquer la passionnante idée de « bien d’expérience ». Les réflexions portées par ce deuxième chapitre se recoupent avec celles qui sont au cœur de la sociologie de la culture, notamment en ce qui concerne les inégalités socio-culturelles de fréquentation des musées, relativisant quelque peu l’ « émoi patrimonial » (Jean-Pierre Rioux) des Français.
5Ce sont les coûts de la conservation et des services patrimoniaux qui sont abordés dans le troisième chapitre. L’analyse de « la maladie des coûts » précède celle, particulièrement d’actualité, de la valorisation. Quels moyens peuvent et doivent être employés pour compenser ces coûts de conservation - si l’on considère qu’il faut tenter de les compenser ? En mars dernier, le Château de Chambord a perdu son procès contre la marque Kronenbourg qui avait utilisé l’image de l’édifice pour une publicité, et cela sans autorisation, et donc sans rémunération. Au-delà de la solution même du litige, c’est un exemple de ce qui justifie que l’on s’intéresse à ces voies nouvelles de valorisation détaillées par l’auteure.
- 2 V. DUBOIS (dir.), Le politique, l’artiste et le gestionnaire, (Re) configurations, locales et (dé) (...)
6Les retombées économiques, souvent symbolisées par « l’effet Bilbao » (implanter un établissement culturel d’envergure dans une région à redynamiser) sont le sujet du chapitre suivant, qui se montre assez critique. Scientifiquement, l’on retient l’approximation des méthodes utilisées, et l’auteure plaide donc pour un affinement de celles-ci, avant, logiquement, de s’intéresser dans le chapitre consacré aux politiques patrimoniales aux différentes manières pour l’État d’intervenir dans le champ du patrimoine culturel, ainsi qu’aux théories économiques appréhendant ces actions (formes, échelon de décision etc.). Il n’est pas question ici de reprendre toutes les références, mais néanmoins il faut souligner l’intérêt de l’application de la théorie du passager clandestin appliquée à aux coûts de conservation. Cependant, la forme d’un titre « Repères » ayant aussi ses inconvénients, pour plus de diversité doctrinale, on consultera avec profit l’ouvrage dirigé par Vincent Dubois2.
7Le dernier chapitre porte sur « le patrimoine, bien public global », c’est-à-dire sur l’internationalisation de la problématique. Il ne s’agit pas en effet de se cantonner à la question du patrimoine commun de l’humanité mais aussi d’examiner la relation patrimoine-développement, rappelant singulièrement au niveau des États certaines problématiques régionales (le tourisme culturel est-il effectivement profitable localement ?), ou la question des demandes de restitutions d’œuvres ou objets patrimoniaux.
8Incarnations de l’histoire, de la mémoire, des traditions composent aujourd’hui un patrimoine culturel objet de tensions politiques et économiques. Ses contours, son financement font débat. Patrimonialisation, valorisation, sont des mots récents pour des concepts nouveaux mais semble-t-il, surtout des mots de crise. L’ « Économie du patrimoine culturel » donne au néophyte les clés du débat comme les éléments d’actualité pour s’en saisir.
Notes
1 M.MELOT, Mirabilia. Essai sur l'inventaire général du patrimoine culturel, NRF 2012.
2 V. DUBOIS (dir.), Le politique, l’artiste et le gestionnaire, (Re) configurations, locales et (dé) politisation de la culture, Le Croquant, 2012.
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Référence électronique
Camille Dorignon, « Françoise Benhamou, Économie du patrimoine culturel », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 04 juin 2012, consulté le 07 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8556 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8556
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