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François Furet, Inventaires du communisme

Éric David
Inventaires du communisme
François Furet, Inventaires du communisme, Paris, EHESS, coll. « Audiographie », 2012.
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Texte intégral

1Le titre d’un ouvrage est souvent, pour le lecteur potentiel ou futur, une promesse, un espoir même au sens où il est porteur d'une indication (précieuse ?) sur la ligne directrice du livre et de son contenu. D'une certaine manière, on pourrait dire d’un titre ou d’un intitulé qu’il est l’expression condensée de la « substantifique moelle » de l’œuvre…

2Si l'on suit ce point de vue, Inventaires du communisme est alors à notre avis un peu trompeur. Non pas que le document concerné ne livre des informations scientifiques dignes de ce nom. Mais à sa lecture, nous nous apercevons qu’il dépasse de loin la seule problématique du « communisme » et de « ses inventaires » pour aborder d’autres questionnements d’ordre méthodologique, intellectuel, historique ou philosophique. En réalité, la lecture du petit livre édité par Christophe Prochasson invite à plus de perspectives que ne le suggère un intitulé susceptible de laisser croire, finalement, à un nouveau Livre Noir.

3À ce titre, la longue présentation (un tiers du livre !) se révèle fort utile pour appréhender la nature exacte d’un texte « totalement hybride », dont l’éditeur n’hésite pas à souligner la « nature tout à fait particulière ». La volonté de C. Prochasson a ici été de rassembler « les ultimes mises au point de Furet sur un livre qui fût son dernier et lui valut un couronnement international » : Le Passé d’une illusion. Essai sur l’idée communiste au XXe siècle. Succès éditorial de première importance traduit en dix-huit langues, cet ouvrage constitue en quelque sorte le testament intellectuel et politique de celui qui fût, avant d’avoir été l’un des grands analystes critiques de la fin du communisme, un militant du Parti Communiste Français (PCF).

4L'idée de départ de cette édition initiée par C. Prochasson, est à situer au moment où François Furet et le philosophe Paul Ricoeur, bien que ne se fréquentant pas, entamèrent un dialogue sur le dernier livre de l’historien au printemps 1996. Ce dialogue, enregistré sur cassettes audio, constitue l’objet de ce livre dont l’ambition a été de retranscrire les propos tenus oralement par Furet (mais pas ceux de Ricoeur) pour les présenter sous forme écrite, volonté de l’historien.

5Ce dernier reprécise d'abord les contours de son sujet. Son sujet, c'est l’illusion, dit Furet qui a souhaité écrire l'histoire d'une croyance en opérant une « comparaison entre croyance politique et croyance religieuse », notamment à propos du communisme qui a été l'objet d'un mensonge systématique, perceptible à travers l'intoxication des esprits par le régime soviétique et les partis communistes. Ne nous y trompons pas toutefois : « la dénonciation des crimes n'est ici pas le registre d'intervention de Furet ». Pour l’historien, il s'agit moins de dénoncer que de comprendre. Comprendre quoi ? Par exemple que la force principale du communisme n’est pas venue de sa puissance matérielle ou militaire, mais de son emprise sur l’imagination politique des hommes du XXe siècle. Car si 1991 marque la fin de la forme historiquement déterminée prise par l’illusion communiste dans l’opinion publique mondiale, l’idée communiste en tant qu’idée désincarnée n’est pas morte effectivement avec la disparition de l’URSS : c’est ce mystère d’incarnation que Furet cherche à comprendre en ayant souhaité écrire l'histoire de l'imagination politique de l'homme démocratique au XXe siècle.

6Aussi se penche-t-il sur la prétention du mouvement socialiste international, au tournant du siècle dernier, à dépasser l’horizon des nations et à former une avant-garde porteuse des intérêts de l’humanité. Ce schéma, irréaliste selon Furet (l’universalisme ne fournit jamais un cadre à l’action), a mené en fin de compte à une dérive nationaliste de toutes les nations européennes à la fin du XIXsiècle (et de citer le fascisme comme exemple d’exaltation pathologique du sentiment national). À bien y regarder d'ailleurs, Staline représente la transformation de l’universalisme bolchevique en nationalisme russe. Mais, précise-t-il, « on ne peut penser Staline s’il n’y a pas eu Lénine avant : ce n’est pas Staline qui a inventé la terreur et les camps. Lénine a donc encore de beaux jours devant lui, notamment par l’intermédiaire des trotskistes qui bénéficieront de leur condition de victimes de Staline. Terroristes victimes de la Terreur : leur persécution fera oublier qu’ils ont été eux-mêmes persécuteurs ». Est-ce pour cela que Furet évoque les « séductions du bolchevisme » ? Le bolchevisme possède en effet quelque chose d’extraordinaire selon l'historien : la plasticité de sa séduction car il a véritablement touché toutes les familles intellectuelles de l’Europe et réuni des traditions culturelles différentes (B. Souvarine, Pierre Pascal, G. Lukacs).

7D’ailleurs, le spécialiste de la Révolution française qu’était Furet batailla sans relâche contre l’histoire communiste de cette dernière, déplorant qu’on ait enseigné pendant soixante-dix ans que la Révolution Française a été l’antichambre de la Révolution. Ces événements ne sont pas comparables pour Furet : la première fonde une société et trouve un socle social solide avec la nation, alors que la seconde brise toute une société, détruit la paysannerie et installe le parti unique.

8Plus globalement, Furet entend aussi rappeler qu'avec Le Passé d'une illusion, sa démarche et son travail furent ceux d'un historien au sens où il traite de circonstances, d’enchaînements, de modalités. En effet, qu'est un historien s'il n'exhume pas les faits pour tenter de les expliquer, faisant ici allusion à Braudel et aux Annales avec lesquels les rapports étaient compliqués ? Du point de vue de la méthode, Furet conseille donc de trouver un terrain intermédiaire entre la « naïveté positiviste » et le « relativisme nihiliste », notamment perceptible du fait de la dérive nietzschéenne (pas de faits, seulement des interprétations).

9L'autre point marquant du livre est la distance critique de Furet à l’égard d’un « concept dont il n’ignorait ni les abus ni les paresses chez certains auteurs » : le totalitarisme. Apparaissant dans les années vingt, l'adjectif naît en italien et c’est même Mussolini qui l’invente : il entend désigner tous les aspects de la vie de l’individu liés au collectif et à l’Etat. Employé également par Jünger pendant la Première Guerre Mondiale, le mot ne concerne nullement l’univers communiste. C'est seulement dans les années trente qu'il prend une assise pour désigner à la fois communisme et fascisme. Mais la comparaison est aujourd’hui devenue taboue… les communistes ayant été tués au nom de l’antifascisme ! C’est en ce sens que Furet louera le travail d’Ernst Nolte qui, le premier, rompit « avec une écriture antifasciste de l’histoire qui interdisait la mise en relation des deux formes de totalitarisme ». En effet, en soulignant que les deux régimes étaient les deux formes monstrueuses d'un même problème issu de la démocratie moderne, l’historien allemand provoquera malaise et controverse. Certes, H. Arendt avait perçu l’analogie très vite sous l’angle des camps. Mais Furet demeurera critique à l’égard de la philosophe, notamment au vu de son œuvre historique qu’il juge « faible ». Ne citant jamais ses sources, Furet estime que Arendt n’est pas l’inventeur de l’idée et qu’elle ne peut être une idée d’après la Seconde Guerre Mondiale puisqu’on la retrouve chez beaucoup d’auteurs des années trente (W. Gurian, T. Mann, A. Gide, S. Weil, E. Halévy ou encore J. Bainville) : là se situe la contribution de Furet à l’entreprise historique.

10Méditer les leçons du siècle passé et résister à la tentation d'avoir tout compris : telle est la conclusion de F. Furet. Il est vrai, comme le dit C. Prochasson, que ce dernier « a toujours été habité par une réflexion politique entée sur son propre passé ». Sans doute la réflexion sur notre passé est-elle la seule pédagogie utilisable pour éclairer nos comportements politiques. L'histoire a donc encore un rôle très important à jouer en tant que « magistère pédagogique ». François Furet n’aura toutefois pas l’occasion de perpétuer sa leçon : il décédera brutalement en juillet 1997.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Éric David, « François Furet, Inventaires du communisme », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 29 mai 2012, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8504 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8504

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