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Philippe Saint-Germain, La culture des contraires. Éclectisme, syncrétisme et bricolage

Olivier Martin-Mombert
La culture des contraires
Philippe Saint-Germain, La culture des contraires. Eclectisme, syncrétisme et bricolage, Montréal, Éditions Liber, 2012, 202 p., ISBN : 978-2-89578-315-2.
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Texte intégral

1Dans La culture des contraires, Philippe St-Germain, professeur au département de philosophie du collège Ahuntsic de Montréal, s’intéresse aux pratiques culturelles associant des éléments hétéroclites afin d’examiner les recompositions et bricolages dont elles sont les produits. Il propose de les rassembler sous le concept de « culture des contraires », qui donne son titre à cet essai, concept qui serait, d’après lui, emblématique de la dynamique de création propre aux sociétés contemporaines. St-Germain définit la « culture des contraires » comme « une propension – à la fois ancienne et très contemporaine – à la réunion d’éléments à première vue forts différents, à se façonner un monde souvent étonnant ». (p.12). Il précise plus loin : « ce livre s’intéresse à des formes culturelles comportant des aspects que les définitions communes ont tendance à écarter les uns des autres ». (p. 13)

2Les objets, œuvres et pratiques auxquels il s’intéresse sont extrêmement variés : collages surréalistes, esthétisation du laid, de la monstruosité, symbolismes. Le chapitre 6 est consacré aux tags et graffitis et examine la trajectoire par laquelle un tagueur construit son nom, son style personnel et sa réputation en marquant un territoire, en jouant avec les codes et les styles. Les notions de carrière, d’espace et de bricolage sont ainsi mobilisées, sans surprise. Le chapitre 8 s’intéresse au phénomène des films cultes qui pourra être utile à ceux qui étudient la fabrication des hiérarchies culturelles, dans une perspective pourtant bien différente de celle promue, en 1988, par Lawrence W. Levine dans Highbrow/Lowbrow. The Emergence of Cultural Hierarchy in America.

3Cela étant, le passage qui retient le plus l’attention reste celui consacré à l’engouement pour les jeux vidéos de combat chez les jeunes gens vivant dans des espaces démocratisés et relativement pacifiés. Interprétées d’abord à l’aide du concept de rite d’initiation, ces pratiques individuelles ou collectives sont ensuite associées aux concepts de conduites extrêmes, d’expériences à la limite et de conduites marginales. Les chapitres 4 et 5 aboutissent à un rapprochement, signalé certes depuis longtemps mais toujours aussi convaincant, entre conduites à risque et création artistique, mise en danger de soi et invention d’un style propre. Philippe St-Germain, de façon très scrupuleuse, précise quel est son projet : « Y a-t-il un rapport indubitable entre le fait de jouer à des jeux vidéo violents et le fait de commettre des actes violents ? Les pages qui suivent ne proposent pas de réponse à cette question redoutable. En privilégiant un genre particulier de jeux vidéo violents – les jeux de combat-, nous tenterons plutôt de comprendre la quête qui semble se jouer dans le jeu, pour le joueur expert. » (pp. 101-102). L’auteur suggère alors à l’observateur - et le conseil est judicieux - de ne pas céder à la fascination romantique pour l’horreur, la sidération face à la monstruosité, afin de pouvoir repérer plutôt, chez les joueurs experts, des pratiques qui relèvent de la quête initiatique, du rapport à ce qui est secret et caché, la maîtrise enfin de techniques sophistiquées qui permettent d’asseoir une réputation auprès des autres joueurs experts. Rien n’est dit en revanche sur les dilettantes ou les joueurs occasionnels.

4On l’aura compris le projet de Philippe St-Germain est très ambitieux et on risque alors d’entrer avec une attente trop grande dans un essai qui « entend jeter un nouvel éclairage sur les recompositions contemporaines » (p.11), rien de moins. Tous les lecteurs ne seront pourtant pas convaincus et certains risquent bien de rester sur leur faim. Seront satisfaits ceux qui apprécient les précisions terminologiques et un éclaircissement conceptuel bienvenu. On pense notamment au chapitre 1 qui distingue avec clarté les notions d’éclectisme, de syncrétisme, d’acculturation et de bricolage en prenant appui sur les suggestions de Roger Bastide, Claude Lévi-Strauss, Mircea Eliade, Gérard Genette, Jacques Derrida, Michel De Certeau et Jean-François Lyotard. Les lecteurs qui apprécient le point de vue d’un honnête homme sur notre monde tel qu’il va en auront pour leur compte. Ils trouveront les interprétations d’un observateur éclairé qui donne à lire ses commentaires sur ce qu’il a pu voir, comme on le faisait, au XIXe siècle, dans les bons carnets de voyage ou comme le réussirent si brillamment Stefan Zweig, Georg Simmel ou bien encore Roger Caillois.

5En revanche, ceux qui recherchent des enquêtes de terrain méthodiques, l’exploitation systématique des récits de vie, l’analyse de témoignages, le recueil et le traitement de données factuelles selon les subtilités de l’analyse factorielle, abandonneront bien vite la lecture du travail de St-Germain. Ils trouveront enfin très surprenante, dans les travaux exploités comme dans la bibliographie finale, l’absence de références aux nombreux travaux consacrés, depuis ses vingt dernières années, aux pratiques culturelles, à leurs publics et modes de réception, tant individuelle que collective.

6Au final, un travail qui relève de la bonne culture générale, à la frontière entre philosophie sociale et anthropologie, mais qui n’a aucun point commun avec les investigations empiriques disponibles aujourd’hui sur ce thème. Pour les amateurs du genre donc, ou tous ceux qui auront envie, pour un temps, d’abandonner leur tableur Excel en appréciant, un soir, de se replonger dans un récit honnête et stimulant par endroits. Ni plus. Ni moins.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Olivier Martin-Mombert, « Philippe Saint-Germain, La culture des contraires. Éclectisme, syncrétisme et bricolage », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 mai 2012, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8474 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8474

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Rédacteur

Olivier Martin-Mombert

Professeur agrégé en sciences sociales. Chargé de cours en Khâgne BL "Lettres et Sciences Sociales" à Lyon

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