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Benjamin Castets-Fontaine, Le cercle vertueux de la réussite scolaire. Le cas des élèves de Grandes Ecoles issus de "milieux populaires"

Marie Duru-Bellat
Le cercle vertueux de la réussite scolaire
Benjamin Castets Fontaine, Le cercle vertueux de la réussite scolaire. Le cas des élèves de Grandes Ecoles issus de "milieux populaires", EME éditions, coll. « Proximités Sociologie », 2011, ISBN : 978-2-8066-0031-8.
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Texte intégral

1On pourrait penser que tout a déjà été dit, en sociologie, sur les mécanismes de l’échec et de la réussite scolaire, notamment en France, où ont été développées de grandes constructions théoriques qui jouissent aujourd’hui d’une audience internationale (on pense évidemment à celles de Bourdieu et Passeron d’une part, et de Boudon de l’autre), constructions théoriques qui ont-elles-mêmes stimulé de nombreux travaux empiriques. L’ouvrage de Benjamin Castets-Fontaine vient démentir cette impression rapide, en apportant un éclairage stimulant sur les inévitables zones d’ombre de cette vaste problématique.

2En effet, comme le souligne d’emblée l’auteur (p.13), ces « modèles explicatifs bien huilés se grippent dès qu’on en vient à des questions micro-sociologiques ». On lui rétorquera d’emblée que ceci n’a rien d’étonnant puisque, faut-il le rappeler, un modèle théorique quel qu’il soit n’a pas pour vocation de décrire de manière exhaustive tous les cas observables empiriquement, mais bien d’en éclairer les mécanismes sous-jacents, qui produisent à la fois les régularités les plus fréquentes et les exceptions…En d’autres termes, on ne saurait critiquer une théorie pour son caractère réducteur ! Mais le point de vue adopté par l’auteur n’en reste pas moins tout à fait pertinent, et sa recherche n’est pas la première à convaincre que la sociologie a tout à gagner à s’intéresser, au-delà des régularités établies, aux cas atypiques. Dans cet ouvrage, B.Castets-Fontaine entreprend d’éclairer les cas de réussite exceptionnelle de jeunes issus de milieu populaire, avec en arrière-plan l’adhésion à un modèle nuancé de l’acteur rationnel, et une hypothèse englobante, celle qui donne au livre son titre, à savoir celle du « cercle vertueux de la réussite scolaire », que nous expliciterons au fil de ce commentaire.

3Après une revue soigneuse de la littérature, l’auteur présente comment il a circonscrit son sujet et son échantillon, la délimitation de ce dernier étant de toute évidence capitale comme dans toute enquête qualitative (en l’occurrence, 45 entretiens conduits en 2004-2005 auprès d’élèves de Grandes Ecoles issus de milieux populaires ou du moins peu dotés en capital culturel). Les interrogations sont fortement structurées d’un point de vue théorique, selon trois axes : dispositions, mobilisations, choix rationnels. Très au fait de la littérature française, l’auteur en fait une présentation critique documentée, pour situer sa propre perspective, même si, pour discuter après d’autres de la pertinence et des limites de notion comme le capital (ou l’héritage) culturel, on peut regretter qu’il ne se réfère pas davantage à la sociologie anglo-saxonne, théorique (on pense à J.H Goldthorpe) ou empirique (on pense à A.Sullivan). Il souligne avec raison (p.82) que, au-delà des arguments théoriques habituellement mobilisés (en France donc), le seul fait de situer l’interrogation au niveau des scolarités d’excellence de l’enseignement supérieur, amène à recomposer le modèle habituel d’ « explication » de la réussite le plus souvent construit aux stades antérieurs du cursus (dominé notamment, quand on se polarise sur la scolarité primaire, par l’impact de la socialisation familiale). Il n’en demeure pas moins qu’une caractéristique fondamentale des carrières scolaires est la cumulativité des acquis, démontré par de nombreux travaux empiriques ; la socialisation familiale peut donc peser avant tout sur la réussite en primaire, mais dès lors que cette dernière a des effets durables sur la suite de la scolarité, son impact ne peut être écarté comme « hors sujet » ! On bute là sur une difficulté qui n’est pas propre à cette recherche mais que connaissent bien tous ceux qui s’intéressent à des processus qui se déroulent dans le temps !

4Pour en revenir à la démarche de l’auteur, dont l’ambition maintes fois réaffirmée est de « repenser les réussites atypiques », celle-ci entend dépasser l’invocation à ses yeux trop limitée et trop exclusive de la famille, comme origine de la socialisation, de la mobilisation ou des stratégies. Il faut selon lui insérer cette action familiale dans un cadre plus large, qui va prendre, dans le travail empirique, plusieurs directions. L’école tout d’abord, de fait réduite à l’influence des enseignants. Aux dires des interviewés, ces derniers ont constitué une source précieuse d’information et ont aiguillé leurs orientations, orientations dont on sait combien elles profilent de manière souvent irréversibles les carrières scolaires. On peut noter (ce qu’amènerait à souligner une meilleure prise en compte des travaux anglo-saxons) qu’intégrer véritablement le contexte scolaire supposerait de tenir compte de l’efficacité différentielle des enseignants et de tout le contexte scolaire (niveau moyen et hétérogénéité du public, donc des camarades notamment) : on sait par exemple que le climat de l’établissement peut être plus ou moins « porteur » en termes de réussite, ou encore combien les élèves de milieu populaire peuvent apprendre de la fréquentation de camarades de milieu plus favorisé.

5La seconde direction, plus explorée jusqu’alors par les psychologues sociaux que par les sociologues, suit la piste de la construction progressive de l’identité personnelle, ou  comment le jeune en vient à s’identifier comme « bon élève », doté de « facilités » et qui à ce titre se rapproche au moins symboliquement des enseignants et/ou peut jouer un rôle de leadership auprès de ses pairs et au sein de sa famille. Cette image de soi doit être entretenue et sans cesse méritée : le jeune est alors « engagé » pour reprendre le vocable utilisé par l’auteur. Se référant ici autant aux analyses de Dubet et Martucelli que des psychologues sociaux comme Beauvois et Joule, B.Castets-Fontaine montre comment ces élèves atypiques se prennent au jeu, acceptent cet engrenage d’une réussite qui doit sans cesse être confirmée par le travail, pour eux-mêmes mais aussi les autres, leur famille, qu’il ne faut pas décevoir, mais tout autant les enseignants. Cet engagement revêt une dimension émotionnelle forte, d’autant plus que certains élèves expriment parfois une volonté explicite de « revanche de classe ».

6Au total, la thèse de l’auteur est que ces trois éléments - orientation, statut de bon élève, engagement- agissent de concert et s’auto-alimentent de manière continue. Ceci le conduit à parler de « randonnée vertueuse », concept certes bienvenu et original, mais qui pour autant ne propose pas une conception radicalement nouvelle de la genèse des carrières scolaires : il est classique de souligner le caractère cumulatif des progressions scolaires et leur articulation avec les projets d’orientations et la mobilisation afférente ; la spécificité des résultats présentés ici est plus dans l’importance donnée à l’engagement, donc à la « face subjective » de la réussite et de l’orientation. Mais comme dans toute étude par entretiens, l’auteur ne peut que souligner la diversité de sa population, et même cet engagement qui lui semble déterminant dans ces réussites atypiques apparaît plus ou moins fort selon les interviewés : il y a une « pluralité de randonnées vertueuses » !

7Le lecteur pourra donc refermer cet ouvrage de lecture aisée et passionnante quelque peu sceptique… De fait, la limite la plus forte de ce travail n’est pas son caractère « qualitatif », c’est fondamentalement la focalisation sur les élèves qui ont « réussi » ; peut-être les caractéristiques pointées ici comme déterminantes - au premier chef l’engagement - étaient-elles présentes chez tous ceux qui n’ont pas réussi à ce niveau du moins… Difficile alors d’être raisonnablement sûr du caractère « causal » de ces caractéristiques. Peut-être aussi, comme le note l’auteur lui-même dans la conclusion, tout ceci concerne-t-il non seulement les réussites atypiques mais toutes les réussites… Auquel cas, il faut remettre le travail sur le chantier et tester les pistes suggestives qui émaillent tout l’ouvrage et sont reprises dans la conclusion, de manière plus solide sur le plan empirique, en étendant l’analyse aux élèves bien dotés qui réussissent mais aussi à tous ceux qui échouent. Mais l’ouvrage a tenu sa promesse : non, tout n’a pas été dit sur les processus sociologiques à l’œuvre dans la réussite scolaire, et en ce domaine comme dans les autres, articuler théorie et empirie, comme le fait soigneusement l’auteur (au risque de faire finalement passer sa démonstration empirique au second plan) est indispensable pour avancer.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Duru-Bellat, « Benjamin Castets-Fontaine, Le cercle vertueux de la réussite scolaire. Le cas des élèves de Grandes Ecoles issus de "milieux populaires" », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 mai 2012, consulté le 10 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/8398 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.8398

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