Matthieu Hély, Les métamorphoses du monde associatif
Texte intégral
1Le monde associatif est généralement considéré comme le lieu de l'expression d'un bénévolat désintéressé. Dans Les métamorphoses du monde associatif, le point de départ de Matthieu Hély est de considérer, à juste titre, qu'il n'est pas que cela. Le monde associatif est aussi devenu un monde du travail. En ce sens, l'ouvrage ne prend pas en compte toutes les associations. « Il se concentre pour l'essentiel sur la part des structures associatives qui exercent des activités économiques relevant d'une "utilité sociale" et dont l'organisation repose en partie sur du salariat » (p 15). L'auteur abandonne d'ailleurs rapidement le terme d'association pour lui préférer le concept d'« entreprise associative ». Celui-ci « fait référence au passage de l'association déclarée dont les règles sont fixées par la loi de 1901 et composée de bénévoles à l'association employeur d'au moins un salarié » (p 99).
2Cette introduction du salariat dans le monde associatif est facteur de tensions qui se cristallisent autour de la question de la légitimité des actions menées et de la question de la rencontre entre engagement bénévole et engagement salarié. L'auteur montre dans la première partie de son ouvrage que les grandes étapes de structuration de ce monde associatif en prise avec le salariat sont traversées par une double opposition : entre public et privé d'abord, entre don et contrat ensuite. Le monde associatif prend d'abord place à l'intersection entre le public et le privé, position intermédiaire qui participe d'un brouillage des frontières et qui se caractérise par une « privatisation du public » et une « publicisation du privé » (p26). Le premier mouvement trouve sa source dans le processus de décentralisation. En œuvre depuis le milieu des années 80, il a « fortement modifié les relations entre les administrations et le monde associatif en introduisant un nouveau mode de collaboration : le partenariat » (p35), aboutissant à la signature de conventions de délégation de service public. Les relations entre État et associations relèvent alors d'un rapport de force qui met en jeu des exigences parfois contradictoires : l'obligation et l'attente de résultats d'un côté, l'autonomie de l'association de l'autre.
3Le second mouvement, caractéristique de certains secteurs comme le tourisme, est la conséquence des incertitudes liées à l'attribution des financements. Le retrait des financements de l'État et des collectivités publiques a obligé ces structures à se positionner sur le marché, entrant en concurrence avec des activités marchandes. Mais associations et entreprises collaborent également, à travers le mécénat. L'apport de fonds privés dans des structures vouées à l'intérêt général participe également de ce brouillage des frontières entre privé et public. Les travailleurs du monde associatif sont, quant à eux, pris dans une tension entre le statut de bénévole et celui de salarié. Ces deux statuts ne s'opposent pas mais s'articulent plutôt dans une forme de continuité qui rend parfois difficile de distinguer les « quasi-bénévoles » des « quasi-salariés ». Cela est d'autant plus vrai que depuis une vingtaine d'années « on a pu constater un effritement du salariat et un consolidation du cadre d'exercice du bénévolat » (p59). A titre d'exemple, la possibilité de traduire une expérience bénévole en compétences valorisées dans le cadre d'une Validation des Acquis de l'Expérience (VAE), témoigne sinon de cette continuité du moins d'une porosité entre bénévolat et salariat.
4Dans sa deuxième partie, Mathieu Hély cherche à définir les contours de ce monde des entreprises associatives. S'il reconnaît une homogénéité de la sphère associative, il s'attache avant tout à en montrer sa grande diversité. S'appuyant sur la double distinction présentée en première partie entre activité marchande et activité non marchande d'une part et statut de bénévole et statut de salarié d'autre part, il propose une analyse typologique et morphologique qui l'amène à distinguer quatre grandes formes d'entreprises associatives : l'« entreprise associative gestionnaire », l' « entreprise associative partenaire », l' « entreprise associative marchande » et l' « entreprise associative mécénale ».
5Il questionne également le statut de ces salariés associatifs : « gens du public » ou « gens du privé » ? L'auteur propose de définir le travailleur associatif, en le comparant à la figure du fonctionnaire d'une part et à celle du salarié du privé d'autre part. Les travailleurs associatifs partagent de nombreux points communs avec les agents de la fonction publique. « En dépit de différences statutaires évidentes les opposant, le salariat associatif et la fonction publique recrutent leurs membres auprès de groupes socioprofessionnels occupant des positions voisines dans l'espace social qui les distinguent corrélativement des actifs occupés de l'entreprise privée à but lucratif » (p149). Le monde associatif recrute pourtant des salariés relativement plus jeunes et dont le capital culturel est plus dévalorisé sur le monde du travail. Cet élément associé à une analyse de l'origine sociale des salariés associatifs montrant que « la part notamment des fils et filles de salariés de la fonction publique (où le père et la mère sont simultanément fonctionnaires) y est significativement plus importante que dans le reste de l'espace des professions » (p 160) amène Matthieu Hély à une conclusion forte. « Tout se passe donc comme si, dépourvus des ressources déterminantes pour accéder à un poste de titulaire dans une administration publique et confrontés à une conjoncture défavorable, les travailleurs associatifs faisaient "de nécessité vertu" en invoquant leur "utilité sociale" et leur dévouement au service des projets à but lucratif » (p 160) Il explique ce phénomène par le repli de l'État sur ses fonctions régaliennes et la diminution du nombre de postes dans la fonction publique. Le monde associatif se présenterait alors comme une alternative à la diminution importante des postes dans la fonction publique.
6Cette analyse ne peut cependant pas être généralisée. Dans sa conclusion, Matthieu Hély reconnaît lui-même que d'autre figures de salariés associatifs existent. Les entreprises associatives accueillent aussi bien des cadres en recherche de sens après un licenciement ou une reconversion forcée, que des jeunes qui sortent d'écoles de commerce ou de management avec des diplômes de l'économie sociale. La comparaison entre les travailleurs associatifs et les salariés du privé tend, quant à elle, à mettre en évidence la précarité des premiers. Les contrats précaires y sont plus importants et la rémunération plus faible et les perspectives de carrière très faibles. Cette situation relève, selon l'auteur, de la responsabilité même du secteur associatif qui s'obstine « à se dénier lui-même comme un monde du travail » (p174).
7Dans sa troisième partie, Mathieu Hély revient sur la question de l'utilité sociale et complète son propos jusqu'alors uniquement construit sur des analyses statistiques par une analyse des représentations de ces salariés du monde associatif. A partir des entretiens qu'il a réalisés, il revient sur la manière dont les salariés du monde associatif vivent au quotidien les tensions inhérentes à cette position entre État et marché. En donnant la parole à des salariés d'une association chargée d'assurer des mesures de tutelles ou d'une association gérant un lieu d'hébergement d'urgence, il développe une réflexion intéressante sur la difficulté, voire l'impossibilité, à vivre de et pour l'activité associative. Les contraintes financières entrent souvent en conflit et effacent parfois la base militante à l'origine de l'engagement de la personne. A l'inverse, l'analyse du cas d'une épicerie sociale à Paris montre la contradiction entre la nécessité de faire fonctionner une entreprise, employant plusieurs membres d'une même famille, tout en préservant la dimension d' « utilité sociale » pourtant constitutive du projet.
8Au final, Matthieu Hély propose une réflexion riche qui, au-delà du dévoilement d'un marché du travail peu visible, développe un point de vue original sur le monde associatif. Loin du discours de l'économie sociale et solidaire présentant les associations comme le lieu d'émergence d'une troisième voie, d'une alternative entre l'État et le marché, il montre qu'il est pris dans un ensemble de tensions : lieu de luttes internes entre ces deux pôles plutôt qu'espace d'hybridation. Car pour l'auteur, l'enjeu est ailleurs. Dans ce travail, il interroge moins le monde associatif pour lui même que pour ce qu'il montre de la manière dont se recompose la notion d'intérêt général. C'est bien la transformation de l'État social qui est au cœur de son propos.
Pour citer cet article
Référence électronique
Sébastien Paul, « Matthieu Hély, Les métamorphoses du monde associatif », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 24 novembre 2009, consulté le 02 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/829 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.829
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