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« Valeurs, métier et action : évolutions et permanences de l'institution militaire », L'année sociologique, Volume 61/2011, N° 2, octobre 2011

Kaya Sümbül
Valeurs, métier et action : évolutions et permanences de l'institution militaire
Éric Letonturier (dir.), « Valeurs, métier et action : évolutions et permanences de l'institution militaire », L'année sociologique, Volume 61 /2011, N°2, octobre 2011, Paris, PUF, ISBN : 9782130587026.
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Texte intégral

  • 1 Éric Letonturier, Présentation, Valeurs, métier et action : évolutions et permanences de l'institut (...)
  • 2 Ibid., p. 270.
  • 3 Ibid.

1Ce numéro de revue, consacré aux évolutions et permanences de l’institution militaire, est un réel apport scientifique qui vient enrichir les travaux sociologiques portant sur l’objet militaire. L’objectif de ce numéro de revue est de saisir les évolutions et les permanences de l’institution militaire à partir de la culture, le métier et l’action militaire qui constituent, selon Eric Letonturier, les trois éléments inséparables de l’analyse du fait militaire. L’approche théorique annoncée est également originale puisque qu’elle se positionne en rupture avec les approches généralement utilisées pour décrire l’institution militaire (institution totale versus institution banalisée) afin de privilégier une approche qui replace l’armée dans la société1. Cette approche permet effectivement de sortir d’une lecture binaire et clivante opposant le civil au militaire. En adoptant une approche constructiviste, les logiques des acteurs sont placées au cœur de l’analyse pour éclairer les « ajustements et arbitrages qui s’opèrent entre les individus et les systèmes d’enjeux et d’attentes collectifs, définis comme des cadres à la fois normatifs et stratégiques d’action »2. Ainsi, les auteurs décident de ne pas succomber à une analyse trop structuraliste où l’institution militaire serait uniquement étudiée à travers ses règles et ses valeurs coercitives et prescriptives3.

  • 4  Bernard Boëne, « La représentativité des armées et ses enjeux. Revue de la littérature, comparaiso (...)

2Sept articles qui portent sur des objets très différents viennent nourrir cette réflexion sur les permanences et les évolutions des armées, principalement française, mais aussi allemande et suédoise. Les approches des contributeurs sont également hétéroclites puisque certains auteurs s’engagent dans une réflexion essentiellement théorique (Laure Badiès) en questionnant le concept de spécificité militaire. D’autres auteurs apportent leur contribution en présentant des terrains de recherche originaux comme celui de la formation initiale des officiers de l’armée de l’air (Christophe Pajon et Clément Martin) ou les réformes de modernisation de l’armée française (Sébastien Jabubowski). L’usage d’une approche comparative permet à certains auteurs de transposer au cas de l’armée Française des problématiques développées principalement dans d’autres pays. Bernard Boëne, à travers un état de la littérature, compare le cas Français, américain et britannique sur la question de la représentativité des « minorités » dans les armées4. Cette diversité d'objets constitue la principale richesse de ce numéro, marqué par des usages nombreux de concepts et de théories empruntées la sociologie : sociologie des organisations, sociologie wébérienne et notamment son concept de charisme, sociologie des émotions, sociologie de la reconnaissance, et de la sociologie politique. Cela montre que l'objet militaire peut s'éclairer utilement avec des outils et des analyses forgés dans une sociologie « civile », sans en nier les spécificités.

  • 5  Laure Badiès, « Du concept de spécificité militaire », op cit, p. 274.
  • 6  Ibid., p. 293.
  • 7 Éric Letonturier, « Reconnaissance, institution et identités militaires », op cit, p. 327.

3C’est en ce sens que Laure Badiès questionne le concept de spécificité militaire en se demandant si « l’existence, le fonctionnement et l’action des armées » ont quelque chose de particulier qui rend difficile l’application « des grilles d’analyse issues de la sociologie des institutions, des organisations ou de conflit social »5. Distinguant les spécificités fonctionnelles des spécificités sociopolitiques, Laure Badiès en conclut que la spécificité militaire est « historiquement, culturellement, mais aussi socialement relative »6 et que ce concept peut être un outil utile à l'analyse du militaire. Cela justifie, selon elle, que la sociologie du domaine militaire soit considérée comme une sociologie spécialisée. Elle prend l'exemple de l’action militaire combattante qui ne pourrait être pas appréhendée, selon elle, sous le seul angle du conflit social ou de la violence. Laure Badiès semble ainsi suggérer d’éclairer les analyses du militaire à la fois par la sociologie militaire et par les autres sous-disciplines de la sociologie. Des précisions sont apportées par Eric Letonturier sur cette question de la spécificité militaire, à partir de son étude sur la reconnaissance de l’institution militaire. Éric Letonturier, en appliquant à l’objet militaire, le cadre conceptuel fourni par les sociologies de la reconnaissance au travers des concepts d’identité, vulnérabilité et invisibilité, questionne la reconnaissance de l’institution militaire et « sa spécificité comme groupe social »7. L’auteur considère qu’il est nécessaire d’articuler les outils et la théorie sociologiques à la spécificité militaire puisque par exemple pour lui la reconnaissance des identités du personnel doit s’ordonner à la nature de l’institution.

  • 8 Louise Weibull, La gestion des émotions dans les opérations en faveur de la paix, p. 426.
  • 9  Nina Leonhard, Les relations civiles et militaires en Allemagne entre « posthéroïsme » et poids du (...)
  • 10 Ibid.

4La spécificité de l’institution militaire est moins mise en avant dans les autres contributions de ce numéro et certaines sous-disciplines de la sociologie comme la sociologie des émotions au travail ou la sociologie politique éclairent parfaitement des objets militaires. Par exemple, Louise Weibull présente une étude qualitative s’intéressant à la gestion des émotions au sein des troupes suédoises dans les opérations (Kosovo et Libéria) en faveur de la paix. En s’appuyant sur une typologie établie par Sharon Bolton concernant les émotions au travail. L’auteure montre que les règles de gestion du sentiment ne découlent pas uniquement des normes formulées par l’armée, mais elles émanent également des contacts établis « avec diverses parties prenantes présentes sur le théâtre opérationnel »8, comme par exemple les contacts avec les populations civiles. C’est le cas également de l’étude sur la mise en place la mise en place d’un monument au mort par l’armée allemande en septembre 2009 ainsi que le débat public qui l’a accompagné présentée par Nina Leonhard dans une perspective de sociologie politique. L’auteure s’intéresse à la fois « aux modalités de construction de sens et d’identité, du point de vue politique »9 mais aussi d’un point de vue plus sociologique, aux « structures collectives créatrices de sens et cadres pour l’action sociale »10.

  • 11 Clément Martin et Christophe Pajon, « Max weber, le charisme routinisé et l’armée de l’air. L’éduca (...)
  • 12 Ibid., p. 402.
  • 13 Ibid.
  • 14 Sébastien Jakubowski, « L’institution militaire confrontée aux réformes organisationnelles », op ci (...)

5Sans forcément procéder à de simples transpositions théoriques, certains auteurs réfléchissent sur le sens à donner à certains concepts sociologiques comme celui de la domination charismatique. En effet, Clément Martin et Christophe Pajon proposent un article à deux voies sur l’éducation charismatique au sein de l’école des officiers de l’armée de l’air. Les auteurs mobilisent dans leur analyse le concept wébérien de domination charismatique tout en prenant distance avec une conception « essentialiste »11 du charisme puisqu’il s’agit, selon eux, d’un apprentissage. Dans une perspective historique, les auteurs montrent comment s’est affirmé, dans l’armée de l’air, un charisme authentique et fondateur à travers la figure héroïque de Guynemer (un aviateur charismatique). À côté de ce charisme institutionnel, l’éducation charismatique (la rigoureuse sélection des « entrants », la qualification charismatique du medium, le contexte éducatif total et l’aspect émotionnel de la transmission12) permettrait « la transmission d’une disposition à percevoir les qualités charismatiques d’autrui »13 (le charisme de fonction). L’usage de la sociologie « civile » comme la sociologie des organisations peut également permettre de montrer certaines similitudes entre ce qui se passe dans l’armée mais aussi dans les autres institutions publiques. La sociologie des organisations permet à Sébastien Jakubowski d’analyser les réformes de modernisation de l’armée. En s’appuyant sur plusieurs recherches empiriques, il montre que la réforme des armées est similaire aux réformes menées plus généralement dans le secteur public. Il soutient hypothèse que l’institution militaire « de sa professionnalisation connaît un processus de convergence vers un modèle de fonctionnement de type organisationnel qui appelle à une recomposition de la logique de fonctionnement de l’institution »14.

6Ce numéro de revue participe au renouvellement des études sociologiques sur l’objet militaire et nous indique clairement qu’il est possible de dépasser l’obstacle de l’extrême spécialisation de la sociologie militaire en éclairant l’objet militaire par le biais d’autres sous-disciplines de la sociologie. Les études stratégiques et militaires ne constituent plus à elles seules l’unique moyen d’analyser l’action combattante par exemple. De plus en plus, les recherches dans les sciences sociales relatives à la guerre mobilisent dans leur analyse la sociologie des conflits, de l’action collective, de la violence, de la socialisation, de l’institution pour éclairer l’action combattante.

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Notes

1 Éric Letonturier, Présentation, Valeurs, métier et action : évolutions et permanences de l'institution militaire, L'année sociologique, Volume 61/2011, N° 2, octobre 2011, P. 269-270.

2 Ibid., p. 270.

3 Ibid.

4  Bernard Boëne, « La représentativité des armées et ses enjeux. Revue de la littérature, comparaison des cas français, américain et britannique », op cit,

5  Laure Badiès, « Du concept de spécificité militaire », op cit, p. 274.

6  Ibid., p. 293.

7 Éric Letonturier, « Reconnaissance, institution et identités militaires », op cit, p. 327.

8 Louise Weibull, La gestion des émotions dans les opérations en faveur de la paix, p. 426.

9  Nina Leonhard, Les relations civiles et militaires en Allemagne entre « posthéroïsme » et poids du passé : le monument au mort de la Bundeswehr, op cit, p. 432.

10 Ibid.

11 Clément Martin et Christophe Pajon, « Max weber, le charisme routinisé et l’armée de l’air. L’éducation charismatique au sein d’une école d’officiers », op cit, p. 384.

12 Ibid., p. 402.

13 Ibid.

14 Sébastien Jakubowski, « L’institution militaire confrontée aux réformes organisationnelles », op cit, p. 299.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Kaya Sümbül, « « Valeurs, métier et action : évolutions et permanences de l'institution militaire », L'année sociologique, Volume 61/2011, N° 2, octobre 2011 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 20 mars 2012, consulté le 26 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/7911 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.7911

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Rédacteur

Kaya Sümbül

Doctorante en science politique, Université Panthéon-Sorbonne Paris 1, laboratoire CRPS-CESSP

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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