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Emmanuel Brandl, L'ambivalence du rock : entre subversion et subvention. Une enquête sur l'institutionnalisation des musiques populaires

Rémi Deslyper
L'ambivalence du rock : entre subversion et subvention
Emmanuel Brandl, L'ambivalence du rock : entre subversion et subvention. Une enquête sur l'institutionnalisation des musiques populaires, L'Harmattan, coll. « Logiques sociales », 2009, 281 p., EAN : 9782296078475.
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Texte intégral

  • 1 Mignon Patrick, « Evolution de laprise en compte des musiques amplifiées par les politiques publiqu (...)
  • 2 Teillet Philippe, « Elements pour une histoire des politiques publiques en faveur des musiques ampl (...)

1Issue d'une enquête menée entre 1998 et 2002 dans le cadre d'un doctorat de sociologie, l'ouvrage d'E. Brandl s'inscrit, à la suite d'auteurs comme P. Mignon1 ou encore P. Teillet2, dans une réflexion sur les relations entre musiques « rock » et « politique ». Alors que la fin des années 70 et le début des années 80 étaient fortement marquées par une humeur anti-institutionnelle, symbolisée par le mouvement « punk », l'auteur remarque que « jamais l'intensité des relations « musique »-« politique », au niveau régional, ne fut aussi forte, ni surtout aussi structurée qu'aujourd'hui » (p. 13) et que la nature des relations entre « rock » et « politique » s'est beaucoup modifiée, le « rock » passant du secteur « socioculturel » (avec les MJC et les MPT) au secteur « culturel » (avec les collectivité territoriales et les DRAC). Il s'agit alors dans cette étude de rendre compte des conditions qui sont à l'origine de ce processus d'institutionnalisation des musiques « rock », mais aussi de ses effets.

2Pour cela, l'auteur a choisi de focaliser son attention sur les lieux de la pratique musicale, ces derniers faisant l'objet de profondes transformations. Le sociologue note en effet qu'on est passé des locaux squattés des années 70-80 à de « véritables « institutions » bénéficiant d'un statut juridique (association loi 1901 et/ou SARL), d'une législation spécifique (notamment en ce qui concerne les normes de sécurité ou les normes de volume sonore), d'une organisation administrative, de subvention publiques, d'un organigramme, de salaires, de postes et de profils de postes, etc. » (p. 28). Or, ces lieux ont un caractère déterminant dans la mesure où ils structurent plus largement les carrières et les pratiques elle mêmes. En fait, à travers cette transformation des lieux de pratique, c'est plus largement une transformation du « rock » qui se donne à voir.

3Sur un plan méthodologique, le travail d'enquête repose principalement sur des relevés ethnographiques effectués au travers d'observations participantes et « in vivo » menées dans cinq lieux de pratique musicale (locaux de répétition et salles de diffusion). Ce matériaux est ensuite complété par 22 entretiens réalisés auprès des responsables (passés et actuels) de ces lieux, mais aussi de responsables culturels des collectivités publiques concernées afin de saisir l'évolution du regard sur ces musiques et la trajectoire de ces acteurs. Enfin, l'enquête se caractérise aussi par sa dimension « territorialisée ». Elle porte en effet sur un espace territorial particulier, la région Franche-Comté. Cette délimitation se justifiant, selon l'auteur, par le champ des relations sociales auquel les acteurs renvoient dans leur discours.

4L'ouvrage se découpe en cinq chapitres qui, outre le premier qui présente le cadre de théorique et méthodologique de l'enquête, s'appuient chacun sur un certain type de matériaux afin de rendre compte d'un aspect de l'institutionnalisation du « rock ». Ainsi, le deuxième chapitre (L'institutionnalisation des lieux: ethnographie d'un processus), après une rapide présentation du contexte politique qui a permis l'introduction des musiques amplifiées dans la sphère d'intervention des pouvoirs publics, nous livre une description ethnographique fine des lieux étudiés et des transformations qui y ont eu lieu du fait de leur institutionnalisation. L'auteur y montre bien comment la réorganisation des lieux (apparition de bureaux , d'une salle commune...), mais aussi leur mise aux normes (hygiénisation des lieux, isolation phonique...), traduisent plus largement une différenciation et une autonomisation des différentes sphères d'activité du « rock ». Le troisième chapitre (Les effets de l'accumulation des capitaux sociaux) repose quant à lui sur une série d'entretiens réalisés avec le personnel et les responsables d'un lieu de diffusion fortement inscrit dans le processus d'institutionnalisation. La différenciation et l'autonomisation des activités est ici encore au cœur de l'analyse. A travers l'analyse des discours, l'auteur note, entre autres, une transformation de la nature des relations entre les individus. On passe ainsi d'une relation affective avec des « potes » à une relation de « collègues » recrutés pour leurs compétences. De même, le rapport au public se modifie avec notamment la volonté de passer d'un « public de consommateurs » qui vient faire la « fête » à un « public de spectateurs » caractérisé par ses « dispositions cultivées ». Le quatrième chapitre (Une analyse du champ politico-administratif territorial en matière de culture) reconstitue la logique des enjeux culturel du « champ politico-administratif territorial » qui se sont structurés autour de la prise en compte des musiques amplifiées. A partir d'entretiens menés avec des responsables des services culturels des collectivités publics concernées (Direction musique, danse, théâtre et spectacle de la Direction régionale des affaires culturelles, services culturels des Conseils régional, Conseils généraux et municipaux), l'auteur montre comment les conditions par lesquelles des ressources peuvent être allouées aux lieux de musiques « rock » dépendent des luttes internes à ce « champ politico-admnistratif territorial ». Enfin, le cinquième chapitre (L'arrivée des ressources politiques dans le rock: le profil de passeurs) se penche sur les profils et trajectoires des responsables de différents services culturels pour comprendre leur engagement dans le « rock ». L'auteur analyse alors leur engagement comme une stratégie de « conversion/reconversion » du pôle de la création artistique vers le pôle de la gestion des activités artistiques (Par exemple, on était musicien avant de devenir responsable d'un secteur culturel). Parce qu'ils sont plus ou moins présent dans deux univers (artistique et politique), ces acteurs se situent à des « positions carrefour », oscillant toujours plus ou moins entre deux formes de reconnaissance, reconnaissance par les pairs et reconnaissance institutionnelle. C'est là toute l'ambivalence du rock.

5Si la démarche ethnographique nous est apparue particulièrement intéressante et bien menée, l'analyse présentée ici par E. Brandl se montre, dans son ensemble, très riche. L'objet est traité selon différents angles, dont rendent compte les différents type de matériaux recueillis, pour être saisi, autant que possible, dans sa globalité. Le choix de présenter l'analyse à travers un découpage selon ces différents angles, s'il se justifie parfaitement, nous apparaît toutefois critiquable dans la mesure où, tout d'abord, il occasionne un certain nombre de répétitions. Certains aspects observés dans le cadre de l'approche ethnographique apparaissent à nouveau dans le cadre de l'analyse de discours (la création de bureaux et postes distincts par exemple). Mais surtout, ce découpage ne permet pas à l'auteur de bien rendre compte de l'articulation de ces différents angles entre eux. Si à la fin de la lecture on est plus ou moins capable de voir comment tous ces éléments s'imbriquent, on aurait souhaité que cela apparaisse dans l'analyse.

  • 3 Perrenoud Marc, Les musicos, La Découverte, Paris, 2007, p. 9.

6Enfin, dans le cadre plus spécifique d'une réflexion sociologique sur les pratiques musicales amplifiées, cette étude a peut-être pour principal intérêt de rompre avec les approches marquées « par un essentialisme qui confère des propriétés naturelles et immuables au « concert de rock » ou aux « jazzmen » »3. E. Brandl nous montre là que le « rock », et plus largement les « musiques amplifiées » abritent des logiques diverses du fait de leur inscription dans différents espaces. Il ouvre ainsi la voie à de nouvelles réflexions sur la pluralité des manières de faire et de penser ces musiques.

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Notes

1 Mignon Patrick, « Evolution de laprise en compte des musiques amplifiées par les politiques publiques » in Politiques publiques et musiques amplifiées, Adem (Gema, Florida), 1997, pp. 23-31.

2 Teillet Philippe, « Elements pour une histoire des politiques publiques en faveur des musiques amplifiées » in Poirrier P. (dir.), Les collectivités locales et la culture. Les formes de l'institutionnalisation, XIX-XXème siècles, La Documentation Française, 2002, pp. 361-394.

3 Perrenoud Marc, Les musicos, La Découverte, Paris, 2007, p. 9.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Rémi Deslyper, « Emmanuel Brandl, L'ambivalence du rock : entre subversion et subvention. Une enquête sur l'institutionnalisation des musiques populaires », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 31 août 2009, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/782 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.782

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Rédacteur

Rémi Deslyper

Doctorant en sociologie à l'Université Lumière Lyon 2 sous la direction de Sylvia Faure (GRS).

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