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Laurent Kestel, La Conversion politique. Doriot, le PPF et la question du fascisme français

Aurélien Raynaud
La conversion politique
Laurent Kestel, La conversion politique. Doriot, le PPF et la question du fascisme français, Paris, Raisons d'agir, coll. « Cours & travaux », 2012, ISBN : 978-2912107657.
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Texte intégral

  • 1  Cf. René Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier, 1982.

1Au travers d’une socio-histoire du Parti populaire français, le présent ouvrage propose une sociologie de la conversion politique. « Il se donne pour ambition de rechercher les causes et les conditions qui ont conduit au passage du communisme au fascisme »(p. 6).  Un consensus est en effet aujourd’hui établi chez les historiens – par ailleurs longtemps séduits par la thèse d’une allergie de la société française au fascisme1 – reconnaissant le PPF comme une organisation fasciste. Or ce parti est fondé en 1936 par un ancien dirigeant du Parti communiste : le député-maire de Saint-Denis Jacques Doriot. L’enjeu de l’ouvrage est de parvenir à comprendre la « fascisation » du PPF et la conversion politique – conçue comme un « réagencement global des manières de voir, des manières de faire et des manières d’être » (p. 16) – de Doriot et des ex-communistes qui l’accompagnent.

2Pour ce faire, Laurent Kestel récuse d’emblée une approche essentialiste des mouvements politiques visant à en définir les traits propres et distinctifs. Les étiquettes politiques – « socialiste, « communiste », « libéral », « fasciste », « nationaliste », etc. – sont en fait des objets de la compétition politique, des catégories que les agents emploient pour se qualifier eux-mêmes, en même temps que pour désigner et disqualifier leurs concurrents. Objets et produits des luttes de définition et de classements entre les compétiteurs, ces labels ne peuvent pas être conçus comme des données traduisant la « nature » d’une organisation ou d’un personnage. Or, le rôle du chercheur n’est pas de s’immiscer dans ces luttes et de les trancher par le haut, mais au contraire de les prendre pour objet. Ainsi, Laurent Kestel ne vise pas dans cet ouvrage à définir ce qu’est vraiment le fascisme et si le PPF fut vraiment un parti fasciste, il appréhende le fascisme du PPF comme la définition du parti qui s’est imposée au terme de luttes politiques réelles entre des compétiteurs.

3L’ouvrage se divise en deux parties. La première porte sur la genèse du PPF. L’auteur y retrace les trajectoires sociales et politiques des fondateurs du parti jusqu’à sa création. Deux groupes aux propriétés sociales bien distinctes en sont à l’origine : d’anciens communistes d’une part, qui vont contrôler l’appareil du parti, et des intellectuels « non-conformistes » d’autre part, auxquels est dévolue la tâche de donner au parti un programme. L’étude des parcours des anciens communistes du PPF s’avère particulièrement éclairante. Ceux-ci sont analysés à travers le prisme de la vocation communiste. Un personnage tel que Jacques Doriot, par exemple, accède très jeune à des fonctions dirigeantes dans le Parti communiste. Le déclassement par le haut auquel peut s’apparenter cette professionnalisation, s’accompagne en retour d’une soumission symbolique à une institution qui exige un engagement total en échange des profits symboliques et culturels qu’elle peut octroyer. « La vocation communiste engage le militant-dirigeant dans tout son être : pulsions, affects, croyances et corps » (p. 45). Or les évolutions stratégiques du PC, directement liées à celles de l’Internationale communiste, commandent parfois l’élimination d’une partie du personnel politique, devenu gênant, qui se voit soudain victime d’attaques violentes et mis à l’écart. Lorsque l’engagement est vécu sur un mode vocationnel, la brusque rupture de la réciprocité des dons entre l’agent et l’institution a toutes les chances d’affecter profondément le rapport subjectif au Parti. Jacques Doriot et les anciens communistes qui l’accompagneront au PPF connaissent tous une trajectoire plus ou moins semblable : l’accession à des postes à responsabilité dans l’appareil du PC, auquel ces individus se vouent corps et âme, puis la dénonciation et la marginalisation. Ces expériences, dont Kestel dit à raison qu’elles constituent des chocs biographiques, ont pour effet une déprise, puis une perte de la foi communiste. Une fois hors du Parti, ces individus nourriront une aversion contre une institution qui leur a tout donné, avant de tout leur reprendre. La fascisation du PPF et de Doriot est indissociable de l’expérience communiste et de la rupture de la vocation.

4La seconde partie de l’ouvrage décrit le processus de conversion du PPF. Laurent Kestel défend la thèse que le « "fascisme" du PPF découle en fait d’une assignation identitaire qui a réussi » (p. 139). En d’autres termes, il est le produit de luttes de classement à l’issue desquelles la catégorie « fasciste » s’impose pour définir ce parti. Au départ identité assignée, le fascisme est progressivement intériorisé, puis revendiqué. Dans cette évolution, le rôle joué par le Parti communiste est particulièrement important. Dès son exclusion du parti en juin 1934, le PC s’efforce de disqualifier un Jacques Doriot qui se pose en concurrent pour la représentation légitime du peuple, en l’affublant de désignations « déviantes » : trotskiste, renégat pupiste, membre du groupe Barbé-Célor. Jusqu’à la seconde moitié de l’année 1935, Doriot s’inscrit néanmoins dans le cadre du Rassemblement populaire. Il en est exclu en octobre avec les élus du rayon de Saint-Denis pour avoir manqué à la discipline du Rassemblement. Cette mise au ban de l’union de la gauche a pour effet un flou identitaire : « Les proscrits ne peuvent désormais plus participer aux actions du Front populaire – quand bien même ils auraient encore pu s’en réclamer –, ni se penser dans le camp adverse » (p. 128). Progressivement, Doriot est érigé en ennemi du Rassemblement populaire, en ennemi du Peuple, en traître à la gauche. Candidat à sa réélection comme député en 1936 face au communiste Fernand Grenier, il est finalement qualifié de « fasciste » parce qu’il trahit son camp.

5Ce label est cependant loin de faire l’unanimité. Doriot est perçu à droite, au moins jusqu’à la création du PPF, comme un communiste dont les déboires manifestent une lutte de leadership. La droite va cependant bien vite reconnaître sa capacité à combattre le PC. L’anticommunisme constitue en effet l’un des thèmes principaux du discours politique de Doriot ; et il est d’autant plus violent que la vocation communiste était autrefois subjectivement investie. Dans un premier temps, la ligne politique défendue par le PPF est celle du « ni droite ni gauche » – credo sur lequel il rencontre la concurrence du Parti social français. Mais cette stratégie se révèle rapidement intenable et le PPF ne peut plus, à terme, discuter et trouver d’alliances qu’au sein de la droite, laquelle ne le regarde cependant pas sans suspicion. « Celui qui a tout donné et tout reçu du « Parti » n’a rien d’autre à monnayer que son aversion au « Parti ». Et n’a rien d’autre à espérer recevoir en retour (p. 162). Marginalisés dans le champ politique, Doriot et le PPF sont, pour continuer à exister, condamnés à la radicalisation. La fascisation procède ainsi directement de l’échec de l’offre politique que le parti avait tenté de constituer et de sa relégation aux frontières du champ politique par les organisations politiques installées.

  • 2  Dobry (Michel), Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles(...)

6Au terme de la lecture, force est de constater l’intérêt historique et sociologique indéniable de l’ouvrage de Laurent Kestel. Son étude a pour première qualité de tordre le coup à une série d’interprétations des conversions communisme/fascisme non exemptes de jugements de classe et de présupposés politiques ; telles celles fondées sur l’hypothèse d’une « gémellité (p. 8) » du communisme et du fascisme, ou celle d’une plus grande prédisposition des ouvriers à adhérer au fascisme. La perspective adoptée par Laurent Kestel, riche et complexe, s’efforce d’articuler les niveaux d’analyse. Ainsi les histoires sociales individuelles des agents sont-elles resituées à l’intérieur du champ politique et des évolutions du jeu des concurrences partisanes qui en règle le fonctionnement. L’ouvrage démontre enfin toute la portée heuristique d’une analyse processuelle et des histoires individuelles et des organisations politiques. Laurent Kestel déjoue ainsi le travers consistant à interpréter les évènements et l’histoire à partir de leurs résultats, enfermant ceux-ci dans une vision téléologique et essentialiste stérile. En étudiant l’organisation en train de se faire, l’attention peut être portée aux « enchaînements causaux internes aux processus […] analysés2 », ce qui permet de mesurer tout le poids sur l’action des contraintes contextuelles et des rapports de force internes au jeu politique.

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Notes

1  Cf. René Rémond, Les Droites en France, Paris, Aubier, 1982.

2  Dobry (Michel), Sociologie des crises politiques. La dynamique des mobilisations multisectorielles, Paris, Presses de SciencesPo, 2009 (1ère édition, 1986), p. 51.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aurélien Raynaud, « Laurent Kestel, La Conversion politique. Doriot, le PPF et la question du fascisme français », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 mars 2012, consulté le 22 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/7817 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.7817

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Rédacteur

Aurélien Raynaud

Doctorant et chargé d'enseignement en sociologie à l'Université Lyon2, membre du Centre Max Weber, équipe « Dispositions, Pouvoirs, Cultures, Socialisations »

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