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Sophie Ansart, Philippe Crognier, « Cause toujours... De la parole dans le travail social », Le Sociographe, n°37, Janvier 2012

Maud Bernard d'Heilly
Cause toujours...
Sophie Ansart, Philippe Crognier (dir.), « Cause toujours... De la parole dans le travail social », Le Sociographe, n°37, Janvier 2012, ISBN : 9782918621089.
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Texte intégral

1Le numéro 37 du Sociographe est consacré à la parole dans le travail social. Si la parole est au cœur de la relation entre intervenants sociaux et personnes prises en charge, sa trace semble parfois s’effacer derrière la multiplication des écrits. Loin de vouloir opposer écrit et parole, ce dossier comprenant dix articles invite à s’interroger sur l’utilisation de la langue, du choix des mots et des silences. Articulés autour de quatre volets - « sur paroles », « une éthique de la parole », « paroles de terrain » et « ailleurs » - les auteurs alternent réflexions théoriques, philosophiques et présentations de cas pratiques.

2Didier Morel entame le dossier en prenant le lecteur à contre-pied : il le commence par une présentation de l’importance du silence - silence pour écouter et pour entendre, silence pour réfléchir. Plus qu’un espace neutre, le silence serait vécu différemment suivant notre capacité à y trouver une richesse. L’article souligne également l’importance du vocabulaire employé et met en garde contre un appauvrissement linguistique dans l’intervention sociale, car « en agissant sur la langue, on agit sur la pensée ».

3Dans le deuxième article, Brigitte Portal soutient qu’il est essentiel de consacrer du temps à la définition des mots de l’intervention sociale. Elle prend l’exemple des mots « posture » et « positionnement » pour étayer son propos et interroge les effets de mode, les mots qui créent la confusion à force d’être utilisés dans des sens différents, les mots qui enferment l’autre dans une catégorisation administrative et les mots qui excluent.

  • 1 Gravière, Lilian, « Langue de bois ou pragmatisme ? Esquisse d’analyse du langage de la formation » (...)

4Lilian Gravière dénonce ensuite le fait que des étudiants en travail social soient formés à l’emploi d’une « langue de bois » qui incarnerait le « décalage entre pratique prescrite par les centres de formation et pratique effective des travailleurs sociaux »1. Pour elle, le rôle des centres de formation est moins de transmettre des compétences que de « proposer une lecture éthique de l’action ».

  • 2 Bouquet, Brigitte, « Parole, quand tu nous tiens… », Le Sociographe, n° 37, janvier 2012, p. 37.

5Pour ouvrir le volet « éthique de la parole », Brigitte Bouquet souligne que « l’échange langagier est un travail social à part entière, à la fois finalité, support interactionnel du lien social, et outil de médiation »2. Cela implique à la fois d’ériger chaque personne, usager et intervenant, en être parlant pour que puisse s’établir un véritable lien et d’éviter les mésusages de la parole : la parole creuse, la parole taylorisée et technique, celle qui est intempestive et inadaptée, la parole dominante et de pouvoir, celle qui manipule, la parole violente…

6À partir d’un hommage au travail d’Yvonne Verdier et notant l’importance croissante accordée à l’écrit dans le travail social, Marcel Jaeger souligne ensuite que la spontanéité de la parole demeure précieuse en travail social ; il s’agit dès lors de la préserver tout en traduisant dans des écrits élaborés une pensée plus difficilement transmissible par oral.

7L’article « Ce que parler veut dire » est particulièrement éclairant pour l’intervenant social, en ce qu’il allie références théoriques et mises en pratique concrètes. Il se centre sur l’entretien dans l’action sociale, qu’il soit formel ou informel, en groupe ou individuel, et souligne la pluralité des signifiés et la présence de transfert dans tout échange humain. Joseph Rouzel expose pourquoi une explicitation est nécessaire en début d’entretien pour préciser la place que l’on occupe et expose comment le dispositif, le temps (physique, psychique, l’importance de l’entrée dans l’entretien), l’espace et les techniques mises en œuvre – à adapter selon l’objectif et ce qui favorise la relation – deviendront le cadre de référence du travailleur social et de l’usager. Il plaide pour une éthique d’intention traduite par le cadre à la fois rigoureux et souple élaboré en amont et une éthique des conséquences, en aval de l’entretien, sur les plans institutionnel et personnel. Il souligne enfin l’importance dans le travail social de la prise en compte de la réalité subjective et de l’entretien d’une attente… de l’inattendu !

8Suivent ensuite deux articles consacrés à des cas concrets d’usages et de perception de la parole par des usagers. Le premier expose comment des documents de service d’un Centre d’hébergement et de réinsertion sociale ont été retravaillés grâce à un groupe d’expression dans lequel des usagers ont pu parler de leurs difficultés de compréhension des écrits qui leur avaient été remis à leur arrivée (pour une question de langue, de lecture, de temporalité).

  • 3 Ansart, Sophie, Crognier, Philippe, « Quand le travail social est une histoire sans parole. Six Ado (...)

9L’article suivant présente les représentations « de la place et de l’incidence de la parole dans la relation d’aide » exprimées par six jeunes filles accompagnées par une association de protection de l’enfance. Sophie Ansart et Philippe Crognier montrent combien dire c’est aussi faire. En effet, ils exposent comment « l’oral, bien que présenté par les jeunes filles interviewées en partie comme indéfinissable et comme n’ayant rien à voir avec le travail social, occupe finalement une place de choix dans leurs représentations et dans leur quotidien en institution »3.

10Bruno Hanse s’intéresse aux dérapages verbaux dans la relation éducative : les paroles malheureuses lors de situations conflictuelles, les formules langagières qui génèrent chez l’usager des situations de blocage psychologique, la parole « pathologique » qui discrédite un collègue et empêche l’identification de l’usager. Après les mots qui aident et le silence, le panorama s’achève ainsi sur les mots qui blessent.

11Cet article clôt en effet la série sur la parole dans le travail social, avant que celui de Thomas Léonard nous invite à aller voir, « ailleurs », comment la parole varie chez les avocats et les prévenus lors d’un procès correctionnel. Il montre notamment comment le discours de l’avocat change suivant sa connaissance du président de séance et celui du prévenu suivant les personnes présentes dans la salle d’audience.

12À la croisée des références sociologiques et philosophiques, intégrant quelques études de cas, ce numéro du Sociographe fait ainsi le tour d’une question centrale dans le travail social. S’il ne présente pas d’avancées majeures sur le sujet et comporte quelques répétitions entre articles, le dossier permet de faire le point sur un sujet trop peu présent dans les directives récentes qui mettent en avant l’écrit.

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Notes

1 Gravière, Lilian, « Langue de bois ou pragmatisme ? Esquisse d’analyse du langage de la formation », Le Sociographe, n° 37, janvier 2012, p. 28.

2 Bouquet, Brigitte, « Parole, quand tu nous tiens… », Le Sociographe, n° 37, janvier 2012, p. 37.

3 Ansart, Sophie, Crognier, Philippe, « Quand le travail social est une histoire sans parole. Six Adolescentes de l’ASE », Le Sociographe, n° 37, janvier 2012, pp. 79-80.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Maud Bernard d'Heilly, « Sophie Ansart, Philippe Crognier, « Cause toujours... De la parole dans le travail social », Le Sociographe, n°37, Janvier 2012 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 mars 2012, consulté le 11 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/7759 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.7759

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