Pierre Tripier, Claude Dubar, Valérie Boussard, Sociologie des professions
Texte intégral
1Sociologie des professions est devenu un manuel classique et indispensable en sociologie en raison de la qualité et de la richesse des analyses produites par Claude Dubar, Pierre Tripier et Valérie Boussard (3e édition), membres du laboratoire Printemps (Professions – Institutions – Temporalités) à Saint-Quentin-en-Yvelines. L'ouvrage est accessible aux apprentis sociologues mais peut être aussi lu par les chercheurs confirmés qui souhaitent connaître l'état de la question. Pour cette troisième édition, l'enjeu est d'intégrer les nouvelles recherches sur les professions menées en France, la première édition s'inscrivait dans un contexte où le champ de la sociologie des professions émergeait en France alors que les études anglo-saxonnes constituaient un domaine de recherche à part entière. L'ouvrage est divisé en quatre parties.
2La première partie traite des différents modèles d'organisation et de signification du fait professionnel : la profession-corps (le modèle « catholique » des corps d'État), la profession-confrérie (le modèle collégial dans le droit germanique et l'éthique puritaine), la profession illégitime (le modèle libéral chez Smith et Marx). Les auteurs inscrivent les différentes représentations des professions en comparant notamment l'approche anglo-saxonne et l'approche française en remontant aux origines religieuses des modèles professionnels.
3La seconde partie recense les théories sociologiques expliquant la genèse et les dynamiques des professions. Le premier chapitre aborde la conception de la place des corporations pour Durkheim et les perspectives fonctionnalistes. Le second chapitre s'intéresse aux perspectives interactionnistes notamment celle d'Everett Hughes et de ses étudiants : Howard Becker, Anselm Strauss et Blanche Geer. Le troisième chapitre évoque les théories s'inscrivant dans le prolongement de l'approche wébérienne et l'approche marxiste qui mettent en avant les justifications morales et les motivations vocationnelles des professionnels.
4La troisième partie met en évidence les spécificités de la sociologie des professions en France. Les auteurs proposent un panorama des professions dont leurs points communs sont « de s'inscrire dans « ces systèmes professionnels organisés » pour la constitution et le maintien desquels l'État a joué un rôle fondamental » d'une part, et de « concerner des groupes de travailleurs pourvus d'un mêle nom (enseignant, cadre, artisan, commissaire-priseur, infirmière, cheminot, etc. » (p.149). Cette partie, qui porte sur les mécanismes à l'œuvre dans la segmentation et la catégorisation des professions en France, est divisée en plusieurs chapitres : les fonctionnaires, les cadres du privé, les professions libérales indépendantes, les gens de métiers. La distinction profession/occupation ne s'avère pas pertinente pour analyser l'évolution des groupes professionnels en France puisque les groupes professionnels cités plus haut sont hérités du modèle des « corps d'État » ; ce qui les distingue entre eux ce sont les modes de régulation et de fermeture.
5La quatrième partie aborde les dynamiques de ces groupes professionnels. Le premier chapitre s'intéresse aux processus de féminisation des professions supérieures et aux segmentations qui régissent l'entrée sur le marché du travail : des plafonds de verre pour les femmes cadres aux « plafonds de carton » (S Chauvin), et aux discriminations ethniques. Le second chapitre « examine l'évolution récente des professions et des groupes professionnels d'experts ou d'encadrement sous l'effet de l'offensive néolibérale et de la globalisation économique » (p.275). Des groupes professionnels apparaissent mais ne s'inscrivent plus dans des formes traditionnelles de régulation de l'État. Le dernier chapitre s'intéresse à la crise des identités professionnelles, effet de l'intensification des discours managériaux et des processus d'individualisation professionnelle. Les auteurs terminent par ces questions : « Le processus d'individualisation va-t-il se généraliser et remettre en cause les nouvelles formes de régulation collective ? La segmentation des groupes professionnels va-t-elle vouer toutes les formes d'identité collective à la marginalisation et à la dévalorisation ? Va-t-on, au contraire, voire émerger de nouvelles formes identitaires à la fois plus individualisées et néanmoins régulées par de nouveaux dispositifs négociés ? » (p .328).
6Les auteurs nous invitent à construire une sociologie des professions « à la française' » et « séparée » de la sociologie du travail pour plusieurs raisons : d'abord parce que le fait professionnel est compris comme un fait social total puisqu'il « constitue à la fois la catégorie sociale « objective » la plus pertinente sans doute des sociétés modernes et l'identification « subjective » des individus à partir de leur activité professionnelle » (p.338), ensuite, parce que la sociologie des professions « met au jour et analyse un processus social générique, celui de l'inclusion et de l'exclusion, ou selon les termes de Simmel de l'intégration et de la différenciation ». Enfin, « la sociologie des professions doit prendre en compte la pluralité des temporalités, en étudiant les cycles de vie professionnelle, carrières et trajectoires individuelles ». (p.339).
Pour citer cet article
Référence électronique
Joachim Benet, « Pierre Tripier, Claude Dubar, Valérie Boussard, Sociologie des professions », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 février 2012, consulté le 13 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/7503 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.7503
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