Pierre Bamony, Pourquoi l'Afrique si riche est pourtant si pauvre ? Tome 2 : La malédiction du pouvoir politique. Quel espoir pour les peuples de demain ?
Texte intégral
1Pourquoi et comment peut-on expliquer l’évolution paradoxale du continent africain de la postcolonie à nos jours ? C’est à cette question que tente de répondre Bamony dans ce second volume qui est la version volontairement augmentée du premier tome.
2Son hypothèse s’appuie sur l’égoïsme et l’aveuglement des élites africaines inscrites dans les schèmes de prévarication curiale et à l’origine de l’immobilisme du continent. D’emblée, il adopte cette axiomatique générale et l’avalise comme idée centrale de sa thèse pour vérifier la prégnance de l’idée d’échec continental. On peut déjà constater que l’argumentation de l’auteur repose sur une problématique générale de la faillite de l’Etat. Bamony démontre que la bonne gouvernance ne fait pas partie du patrimoine gouvernemental des élites. Les pays africains, notamment subsahariens, se distinguent par des révisions constitutionnelles visant à renforcer le gouvernement perpétuel et la spoliation des richesses nationales par les oligarchies rentières. Pour l’auteur, les politiques publiques mises en place ne sont qu’un subterfuge tendant à éviter le jugement par les opinions publiques nationales. Et l’apport fondamental de Bamony est tout de même d’avoir finalement souligné plus immédiatement le manque de crédibilité et d’opérationnalité de cette élite rentière pour un continent si riche, et de conclure, qu’avec une telle élite, le développement devient théoriquement et empiriquement une coquille vide.
- 1 Les rapports de la Banque Mondiale et ceux du Programme des Nations Unies pour le Développement de (...)
3Le problème fondamental de cette réflexion sans concession renvoie à l’incommensurable coexistence entre richesse et pauvreté en Afrique. Du reste, les élites politico-intellectuelles au pouvoir, malgré les politiques économiques adoptées, et sous-tendues par des taux positifs de croissance, n’ont pas engendré le développement politique et économique escompté1. Au contraire, la pauvreté s’est aggravée sur le continent africain au point qu’aujourd’hui, son éradication est devenue une situation d’urgence.
4Pourtant, avant Bamony, dès 1969, le Rapport Pearson sur la première décennie du développement tirait la sonnette d’alarme. Le Plan d’Action de Lagos de 1980 présenté comme une mesure de relance aboutira à une impasse. Durant ces années, certaines thèses culpabilistes sur le mal africain vont servir de grille d’explication aux ambivalences d’un continent victime de la culpabilité de ses élites. Ainsi, pour se faire bonne conscience, Africains et Occidentaux, adeptes de la théorie du bouc émissaire, vont longtemps justifier le sous-développement de l’Afrique à la fois par la dépendance économique et politique du continent vis-à-vis de l’extérieur, et par les effets prolongés de la colonisation. Cette approche, si elle est moralement confortable, avait pour finalité, la déclinaison de la responsabilité de l’Occident. Allant à contre-sens de cette pensée, Axelle Kabou (et bien avant elle Cheick Anta Diop), dans son ouvrage Et sil’Afrique refusait le développement, soulève avec pertinence au début de la décennie 1990, une vive polémique, en exhortant les Africains à prendre eux-mêmes leur responsabilité, condition d’un développement endogène de l’Afrique. Comme Ropivia qui a démontré à partir de la révolution développementaliste, que le développement ce n’est pas l’occidentalisation, Bamony, devant l’antinomie entre l’exploitation des ressources africaines et la prospérité qui aurait dû en résulter, emprunte la direction de ces prédécesseurs en allant jusqu’à exhumer la thèse dumontiste sur l’Afrique noire est mal partie, et va plus loin en proposant des perspectives originales pour la jeunesse et l’avenir d’un continent.
5Contre la thèse de René Dumont, Bamony, à l’image de Sylvie Brunel pose aussi la question suivante : L’Afrique est-elle bien partie ? Il répond après avoir présenté l’Afrique comme le continent des paradoxes. Ainsi, l’Afrique recueille désormais tous les suffrages comme en 1962, tout juste décolonisée.
6Ce livre comprend cinq chapitres. Dans le premier, l’auteur s’emploie à définir la nature des relations nord-sud, tâchant d’en fixer leur caractérisation, d’en repérer les structures, organisations et acteurs. Ainsi, il suggère l’affranchissement par rapport à l’Occident comme le rempart contre la soumission. L’autonomie politique est avancée comme moyen d’y parvenir et le libéralisme est nié en tant que modèle de développement par excellence. Et d’ailleurs, les thèses sur l’importation ou l’hybridation ont démontré l’inadaptation des modèles occidentaux à l’Afrique. Dans cette perspective, Bamony montre qu’à travers la religion, le continent peut prouver sa capacité à s’élever. Elle n’est pas un obstacle à l’émancipation à l’instar de la dépendance qui fait que l’homme africain soit sous-homme. L’indépendance des pays africains en plus d’être une idiotie juridique est un véritable artifice de la dépendance puisqu’elle n’est que procédurale. Les Africains doivent reconsidérer la rationalité cartésienne et la spiritualité judéo-chrétienne comme les repères de la civilisation. Elles véhiculent l’impérialisme occidental préjudiciable aux intérêts du continent africain.
- 2 J.-M. Séverino et O. Ray, Le Temps de l’Afrique, Paris, Odile Jacob, 2010.
- 3 S. Brunel, L’Afrique dans la mondialisation, Paris, La Documentation française, 2005.
7Dans le deuxième, à partir du cas malgache, il esquisse une phénoménologie de la précarité, en orientant son propos autour de la question du procès en légitimité gouvernementale des élites incapables de faire face à la misère des populations. Malgré un portrait élogieux de la Réunion, Bamony évoque le contraste existant entre la verte Réunion et l’état nauséabond des lieux. La réciproque est observée à Madagascar où sévit une misère insupportable face à laquelle est aveugle l’élite et où l’étranger devient roi. Dans le troisième est traité des thèmes souvent abordés par les Africanistes : le développement de l’Afrique est possible grâce à une renaissance du continent. S’appuyant sur les travaux de Severino et Ray2, Bamony soutient que l’Afrique qualifiée de sous-continent est le continent de l’avenir. Comme Sylvie Brunel3, il note que l’Afrique est une aire culturelle riche disposant d’atouts qui laissent présager un processus de subversion de l’ordre mondial avec pour conséquence une inversion des pôles de puissance.
8Le quatrième est axé sur la démocratie et les limites de la bonne gouvernance. La question de la folie de l’exercice du pouvoir y est abordée avec le cas de Laurent Gbagbo et de Gérard Longuet pour montrer qu’il ne s’agit pas d’une spécificité africaine. Celle de régime pour arrimer l’Afrique à la modernité universelle y est traitée dans le cinquième chapitre. Penser une autre manière de gouverner où les élites ne peuvent échapper à l’évaluation de leurs politiques par le peuple est un moyen pour Bamony de postuler que la légitimité technocratique ou bureaucratique ne peut se substituer à la légitimité électorale ou populaire. Dans ce sens, il démontre comment est-il possible de gouverner autrement l’Afrique en se débarrassant de la Françafrique et à partir d’une gouvernance commandée par les deux éthiques wébériennes : conviction et responsabilité.
9L’analyse de Bamony est une pertinente déconstruction sociopolitique de la réalité historique d’un continent. On l’aura compris, cet ouvrage est comme une lettre à la jeunesse africaine qui doit intensifier sa résistance face à l’Occidentalisation. Au moment où les pays arabo-musulmans opèrent une mue grâce à des révolutions démocratiques, toute l’Afrique noire, doit tout faire pour retrouver sa liberté confisquée par une élite, délégitimée par les populations, et légitimée par la communauté internationale qui refuse de voir dans cette élite rentière l’expression insidieuse du pouvoir voyou et de l’arbitraire.
10Pourtant ici on peut aussi regretter que les analyses restent à un niveau global où des notions précises comme néo-partimonialisme, politique du ventre et pouvoir personnel seraient nécessaires. Ceci témoigne de l’indigence dans la bibliographie où ne figurent pas les livres principaux sur l’Afrique (Bayart, Badie, Gazibo, Hugon, Jackson et Rosberg, Mbokolo, Médard, Pourtier, Quantin, Sindjoun, etc).
11Par ailleurs, ce livre pose toutefois un autre léger problème. Une telle problématique générale, devrait s’appuyer sur les chercheurs structuro-fonctionnalistes qui ont travaillé sur l’Etat africain, en prenant appui sur les questionnements centraux suivants : L’Etat néopatrimonial peut-il réellement être le vecteur d’un projet national de développement ? Les conditionnalités de bonne gouvernance sont-elles compatibles avec les logiques prédatrices et dictatoriales ? Des oligarchies rentières concurrentes, partageant chacune à l’intérieur de leurs frontières une même vision patrimoniale de l’Etat, peuvent-elles créer les conditions d’un bien-être social pour les peuples ? À la réponse à ces interrogations, Bamony aurait pu trouver les causes objectives qui invalident à l’évidence toute dynamique d’épanouissement populaire.
12Au final, ce livre prend désormais les accents d’un plaidoyer pour une nouvelle Afrique autour de deux principes : l’Occidentalisation ne peut pas servir de référence absolue pour l’Afrique ; la compréhension des logiques de l’Afrique peut servir à comprendre les situations actuellement observables en Occident. Dans ces conditions, le titre du livre de Bamony cesse de révéler un paradoxe mais bien plus un paradigme : l’Africain contre l’Afrique. Il offre une synthèse utile et bienvenue sur un continent dont l’importance en richesses est inversement proportionnelle à la pauvreté abyssale. C’est donc un travail universitaire qui prendra sans doute sa place méritée dans le champ des recherches en sciences sociales.
Notes
1 Les rapports de la Banque Mondiale et ceux du Programme des Nations Unies pour le Développement depuis 1990 exposent, sur la base d’indices combinés, le phénomène de la paupérisation du continent.
2 J.-M. Séverino et O. Ray, Le Temps de l’Afrique, Paris, Odile Jacob, 2010.
3 S. Brunel, L’Afrique dans la mondialisation, Paris, La Documentation française, 2005.
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Référence électronique
Patrice Moundounga Mouity, « Pierre Bamony, Pourquoi l'Afrique si riche est pourtant si pauvre ? Tome 2 : La malédiction du pouvoir politique. Quel espoir pour les peuples de demain ? », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 04 février 2012, consulté le 14 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/7439 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.7439
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