Navigation – Plan du site

AccueilLireLes comptes rendus2009Julien Meimon, Les réorganisation...

Julien Meimon, Les réorganisations administratives. Bilan et perspectives en France et en Europe

Jean-Luc Metzger
Les réorganisations administratives
Julien Meimon, Les réorganisations administratives. Bilan et perspectives en France et en Europe, Comité d'histoire de la Sécurité sociale, coll. « Histoire économique et financi », 2008, 176 p., EAN : 9782110975089.
Haut de page

Notes de la rédaction

Un site à visiter : Présentation

Texte intégral

1Il faut ré-for-mer ! Réformer l'Europe, la France, l'Etat, les administrations, la fiscalité, la Justice, la Police, l'Armée, l'Ecole, les hôpitaux, la Constitution, l'audiovisuel public, les modalités d'exercice de la démocratie parlementaire, le droit du travail, la durée du travail, le droit de grève, l'âge de départ en retraite, la recherche et l'enseignement supérieur. Et ce n'est qu'un début. Les Français veulent des réformes. La chose est entendue et l'entêtement avec lequel cette séquence de mots est répétée, reproduite, diffusée, assénée, laisse penser que rien, jusqu'au mois de mai 2007, n'avait été entrepris pour faire évoluer ou laisser se transformer l'ensemble des institutions publiques, élaborées depuis la fin de la seconde guerre mondiale, voire depuis le XIXe siècle.

2Oubliés les innombrables débats et productions de rapports, livres et articles sur les transformations successives de l'Education nationale, du Ministère des Postes et Télécommunications, ou encore de la décentralisation et la dissolution de l'ORTF, sans parler de la récente LOLF. Non seulement, l'ampleur du volontarisme politique en vient à donner l'impression que les organisations publiques demeuraient figées depuis des décennies, mais elle réduit la possibilité de tirer les leçons des expériences passées. Et puis surtout, l'on ne s'interroge guère sur le sens même de ces transformations : au service de quel projet de société sont-elles entreprises ?

3Heureusement, certains chercheurs et certains centres publient régulièrement des ouvrages permettant de faire le point sur un ensemble de réformes, restructurations, fusions, absorptions, délocalisations, qui ont concerné tout ou partie des administrations régaliennes françaises. C'est le cas de la première livraison du Comité pour l'histoire économique et financière de la France, rattaché à l'Institut de la gestion publique et du développement économique. Dirigé par Julien Meimon, l'ouvrage de 176 pages comprend 6 chapitres, dont la diversité des perspectives et des approches donne un premier panorama, parfois discrètement critique, sur le réformisme administratif.

4Le premier chapitre, rédigé par Florence Descamps, porte sur l'histoire des réformes au ministère des Finances. Même si l'auteur arrête son analyse en 1974, elle n'en souligne pas moins qu'au XXe siècle, « l'administration des Finances ne cesse d'essayer de se réformer (...), objet d'un mouvement quasi permanent de changement, d'adaptation ou d'aggiornamento » (p. 13). Le survol - sans doute trop rapide - des grandes réformes qui se sont succédé depuis 1918, permet de pointer deux éléments structurants. Tout d'abord, le caractère récurrent, non seulement des arguments avancés pour entreprendre les différentes transformations de ce ministère (gagner en efficacité, en cohérence, en performance), mais aussi, semble-t-il, l'absence de prise en compte des leçons tirées de précédentes réformes. Ensuite, il est intéressant de rappeler que les transformations qui interviennent à la fin des années 1980 apportent un coup d'arrêt à la croissance, apparemment inexorable, de l'Etat, laissant entrevoir l'orientation générale de l'administration du XXIe siècle.

5Le chapitre rédigé par Nicolas Tenzer, haut fonctionnaire et politologue, se révèle être plus orienté vers le conseil à l'action réformatrice, que vers une analyse distanciée qui s'interrogerait sur le bien fondé de telle ou telle volonté politique de réorganiser l'Etat. Néanmoins, en adoptant cette posture, l'auteur n'en laisse pas moins entendre que le défaut des réformes contemporaines est sans doute de ne vouloir toucher qu'aux modalités de la gestion (les outils, les instruments), sans prendre à bras le corps la question de la stratégie, de la définition des objectifs (le projet de société). Car, nous dit-il, un objectif budgétaire (maîtrise des déficits, réduction des effectifs) n'est pas un objectif politique. Contrairement à ce que pensent, par exemple, les porteurs de la LOLF, ce n'est pas l'instrument, le dispositif technico-réglementaire qui fait la stratégie. En d'autres termes, l'absence de vision à plus longue portée, serait le premier péché des réformateurs français.

6Mais il y a pire, dénonce l'auteur : « la décision n'intègre pas l'exécution comme une partie constitutive d'elle-même ». Or, une telle anticipation stratégique supposerait « une pensée des rapports de forces, de la négociation et une attention au détail qui va à l'encontre de la tentation du surplomb » (p. 58). Le réformateur a trop tendance à négliger les conditions réelles d'application de ses décisions. Oubliant cela, il ne touche pas à l'essentiel et donc « reproduit la logique institutionnelle » (p. 59). Ayant peu soigné la définition détaillée de la mise en œuvre, le réformateur (incompétent, inconséquent) ne sait trop comment évaluer l'atteinte de ses objectifs de réforme. Et qu'on ne raconte pas à N. Tenzer que les réformes comportent d'innombrables indicateurs de performance : « chacun sait combien il est facile de fausser les statistiques (...) et combien nombreux sont les effets pervers que certains indicateurs peuvent engendrer ».

7Dès lors, faute de vision stratégique et d'anticipation de l'articulation entre objectifs et mise en oeuvre, il incombe aux hauts fonctionnaires dirigeant les différents segments de l'administration de définir, de fait, la politique. Pour montrer la pertinence de ses critiques, l'auteur évoque la création de structures ad hoc, les « agences » qui, en contournant les organismes en place, ne font que confirmer l'inadéquation des modalités antérieures de changement. Précisément, l'analyse de « l'agencification », c'est-à-dire l'introduction systématisée des agences comme instrument de réforme de l'administration, est au centre de deux autres chapitres.

8Le premier, rédigé par Daniel Benamouzig, est consacré aux agences sanitaires, créées dès la fin des années 1980 et inspirées par les principes du New Public Management. Plus précisément, en France, la création de ces agences se veut « une réponse institutionnelle aux crises sanitaires qui, dans les années 1990, révèlent à différentes reprises les défaillances d'une administration pauvre en compétences scientifiques et techniques ». Après avoir passé en revue plusieurs de ces structures, D. Benamouzig souligne combien elles « ont été pensées comme un moyen de réorganiser le recours à la science pour informer la décision politique en situation d'incertitude ou de controverse scientifique ». Mais l'auteur montre que, contrairement aux arguments de ses promoteurs, l'agencification n'apporte pas nécessairement une flexibilisation accrue du fonctionnement interne des services publics, pas plus qu'elle ne garantit l'indépendance vis-à-vis du pouvoir central. L'étude empirique pointe le contraire, en identifiant l'émergence, au sein des agences, « de nouvelles bureaucraties techniques », étendant « la portée de l'expertise médicale à de nouveaux secteurs ». Dans les faits, « la plupart des agences ont pris la forme d'organismes bureaucratiques, (...) la croissance de leurs effectifs a entraîné le renforcement de leurs structures administratives et la mise en place de procédures qui alourdissent leur gestion ». Et, loin de rendre les citoyens plus « acteurs » de leur santé, la mise en œuvre des agences sanitaires a renforcé la prégnance d'une expertise pour initiés, laissant peu de place aux contradictions. Résultat que les promoteurs des agences introduites dans le secteur de la recherche seraient bien inspirés de méditer.

9Ce constat est convergent avec celui qu'établit Edward Page, à propos des agences britanniques. L'auteur rappelle que leur développement a d'abord été voulu comme un moyen de réformer l'Etat, en permettant aux ministères de se recentrer sur leurs activités stratégiques, laissant à la périphérie le soin de mettre en œuvre les décisions, de façon adaptée. Là encore, le résultat envisagé initialement n'est pas nécessairement au rendez-vous. Aucune rupture radicale des pratiques antérieures n'est survenue, et l'on a surtout répandu « la conviction que la priorité devait être donnée à la gestion ». En sorte que, si les façons de travailler des ministères proprement dits n'ont que peu évolué, le fonctionnement des agences est de plus en plus orienté par le recours aux indicateurs de performances et à un raisonnement centré sur la « prestation de service ».

10Mais c'est sans doute le dernier chapitre qui présente le plus d'épaisseur sociologique et de prise de distance critique vis-à-vis de la pratique des réformes permanentes. Jean-Michel Eymeri-Douzans se propose en effet d'élargir la focale à l'ensemble des réformes administratives des pays européens, ce qui lui permet de souligner combien « ces politiques réformatrices sont dans tous nos pays une pièce importante de l'agenda de nos gouvernements et (...) [plus précisément] de leurs stratégies de communication ». Au fond, la construction européenne s'accomplit dans le partage d'un « programme commun de réformes néo-managérialistes » - au moins au niveau d'une partie dominante des élites politiques et administratives.

11L'auteur, après avoir rappelé les raisons qui ont amené les dirigeants des Etats européens à s'aligner plus ou moins rapidement sur des politiques de « libéralisation, de déréglementation, de privatisation », pointe l'importance du choix de méthodes de gestion transplantées des entreprises privées et visant « les fameux « trois E » : économies, efficacité, efficience ». Il y a donc bien empilement de deux ensembles de choix stratégiques : au niveau macro-politique et macro-économique, il faut réduire la charge des dépenses publiques et considérer chaque Etat comme une méta-entreprise ; au niveau du fonctionnement opérationnel des administrations, il faut introduire des techniques de gestion, basées sur l'assimilation du citoyen à un client-consommateur.

12Ce « déni radical de toute distinction de principe entre l'entreprise privée et les organisations publiques », érigé en « véritable doctrine », s'il n'est pas en lui-même nouveau, a pris une forme spécifique : le New Public Management (NPM). Celui-ci, d'abord inventé et mis au point dans des structures extérieures aux sphères publiques (les fameux think tanks), est ensuite porté, partagé, encouragé par « une coalition sociale composée d'intellectuels, de politiciens et de hauts fonctionnaires ». L'action d'institutions internationales comme l'OCDE a complété les expérimentations en grandeur réelle menées dans les « anciens dominions britanniques (Nouvelle-Zélande, Canada, Australie) », après que les thuriféraires de la révolution néoconservatrice aient ouvert la voie en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Etrangement, le mode de « diffusion » de cette nouvelle doxa a emprunté deux circuits distincts : pour les pays d'Europe du Nord, le monde académique a porté le flambeau du NPM, tandis que dans le reste de l'Europe et d'une partie du monde, ce sont les grands cabinets d'audit (aujourd'hui déconsidérés) qui ont vendu « des programmes « clé en main » de modernisation néo-managérialiste ».

13Certes, pointe l'auteur, à trop vouloir s'étendre, le programme a connu quelques toilettages, au moins au niveau de la forme, du discours : « un travail d'abrasement des arêtes les plus vivement néolibérales » a été nécessaire pour « rendre ses préceptes et recettes endossables par des gouvernements sociaux-démocrates et socialistes modérés ». Mais, sous la malléabilité du discours, des intitulés, de la vitrine, la panoplie des techniques demeure la même : « l'agencification, le benchmarking, les tableaux d'indicateurs, l'accréditation, le management par objectifs, les mandats individualisés et le salaire à la performance, la comptabilité analytique et les budgets de programmes, les fusions d'administrations et les guichets uniques, les partenariats public-privé et la délégation de service public, la démarche qualité totale et la certification, le contrôle de gestion et l'évaluation des politiques publiques, etc. ». Ici, les analyses critiques détaillées de Jean-Michel Eymeri-Douzans rejoignent clairement les commentaires imperceptiblement acerbes de Nicolas Tenzer : les années 1980 et 1990, sous le couvert d'un Etat repensé, n'ont connu que la mise en œuvre et le renouvellement d'une succession de techniques de gestion. La réforme par les dispositifs vient en substitut d'une reconfiguration démocratique du sens de l'action publique.

14La meilleure preuve de la complémentarité des analyses des deux auteurs tient dans le décalage identifié entre l'apparente universalité des dispositifs - dont la rationalité présumée s'apparente au one best way taylorien - et la diversité des applications réelles selon les Etats. Examinant chaque situation nationale, J.-M. Eymeri-Douzans montre combien la « rencontre » entre les spécificités locales et les dispositifs importés a pu, ici, constituer des prolongements conformes à la volonté de faire fonctionner l'Etat sur le modèle inspiré du marché théorique (c'est le cas de « l'étalon britannique ») et, là, engendrer des incohérences très prévisibles ou renforcer des positions. Il en va ainsi de l'évolution des effectifs de la fonction publique et de leur « culture du travail » : sensiblement réduite, dans certains Etats, elle a vu son statut changer dans d'autres, ou, à l'inverse, ses effectifs ont augmenté dans quelques pays. Quant à la mise en œuvre des fameuses démarches qualité, si elle a parfois donné lieu à une application rigoureuse, c'est au prix d'une augmentation - initialement non souhaitée - de la dépense publique, tandis que son usage n'a pu être que de façade dès lors qu'il visait une réduction des budgets.

15L'analyse pointe également l'importance de la concurrence entre les différentes administrations comme moteur de la dynamique réformatrice. Le ministère des finances veut réduire les dépenses, d'où l'introduction de dispositifs censés accroître la productivité. Le ministère de la fonction publique (quand il existe) veut améliorer le niveau de compétence général des fonctionnaires, d'où l'introduction de dispositifs de GRH dérivés du fonctionnement des entreprises privées. Et le chef de l'exécutif veut accroître la cohérence globale « des appareils publics de plus en plus éclatés et protéiformes », d'où l'introduction de dispositifs supposés universels permettant de produire des indicateurs synthétiques et d'accroître la fluidité des échanges entre secteurs. Le tout constitue un empilement d'injonctions à transformer les différentes facettes du travail public.

16Ainsi, contrairement à l'image que l'on veut en donner, loin de se dessaisir des leviers d'action sur l'ensemble des administrations, loin de laisser la périphérie « se gérer » en toute autonomie, « ces programmes de réforme administrative s'analysent, pour une bonne part, comme un processus, certes non-univoque, de « re-régulation » des instances centrales-transversales ». Le centre, un peu partout en Europe, veut reprendre le contrôle, parfois jusqu'à un niveau très fin, de la « machinerie » administrative. L'auteur pointe, tout compte fait, le caractère risqué d'une telle pratique : à trop vouloir asseoir sa légitimité sur le seul motif de la réforme administrative, le pouvoir politique s'oblige à s'inscrire dans un processus de transformation sans fin, sans égard pour la soutenabilité de ce régime.

17Une bibliographie de 17 pages complète les six chapitres. Malgré son ampleur, son caractère pluridisciplinaire et international, la liste de références n'accorde pas de place aux travaux portant sur l'enseignement et la recherche - secteur étrangement absent du présent recueil. On se demandera aussi pourquoi il n'est fait aucune référence aux recherches concernant les processus de transformation des anciennes administrations, aujourd'hui privatisées, toujours soumises au changement permanent, aux réductions d'effectifs, à la déqualification d'une partie des anciens fonctionnaires, voire à leur disqualification sociale. Qui se souvient qu'il y a encore une dizaine d'années existait un ministère des Postes et Télécommunications ? Ne doit-on pas voir dans la privatisation, puis la cotation en bourse de la partie la plus immédiatement profitable de cette ancienne structure publique, l'avant-garde ou l'idéal-type du mouvement de réformes qui attend toutes les administrations d'Etat, les unes après les autres ?

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Luc Metzger, « Julien Meimon, Les réorganisations administratives. Bilan et perspectives en France et en Europe », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 février 2009, consulté le 11 septembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/730 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.730

Haut de page

Rédacteur

Jean-Luc Metzger

Sociologue, chercheur associé au CNAM-LISE et au Centre Pierre Naville

Articles du même rédacteur

Haut de page

Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search