Emilie Notéris, Vanessa Place, Louise Desbrusses (dir.), « Gender surprise », TINA, 8, 2011

Texte intégral
- 1 www.editions-ere.net/tina On peut également lire une extension du numéro 8 de Tina « De quelle fe (...)
- 2 C'est le constat de Delphine Naudier dans l'un de ses articles : Delphine NAUDIER., « Les écrivain (...)
- 3 Marie-Joseph BERTINI., « La Pasionaria, l'Egérie, la Muse, la Mère, la Madone », interview du 9 ju (...)
- 4 Marie-Joseph BERTINI., « La Pasionaria, l'Egérie, la Muse, la Mère, la Madone », interview du 9 ju (...)
1Le tome 8 de la revue Tina (There Is No Alternative) éditée par Ère1, intitulé « Gender Surprise », invite ses lecteurs et ses lectrices à renverser les représentations sociales du féminin et du masculin, en particulier dans le monde artistique, où il existe un certain nombre d'obstacles qui font des hommes les seuls spécialistes du « Grand Art » et qui font encore des femmes leurs « égéries ». Un tiers des écrivains reconnus sont des femmes2. Lorsque les artistes femmes sont représentées dans les médias, elles sont généralement désignées par des clichés rétrogrades : l'Égérie, la Muse, la Mère, La Madone ou La Pasionaria3. Pour Marie-Joseph Bertini, ces « expressions médiatiques constituent autant de moyens de maintenir les femmes au plus près de leurs fonctions dites « naturelles », c'est-à-dire le maternage, l'inspiration, la médiation »4. Pour autant, les contributions, variées et originales des auteures de Tina, écrivaines, critiques d'art, artistes, poètes, universitaires, rendent visibles des formes de transgressions de genre ou plus précisément des renversements des constructions patriarcales du féminin et du masculin dans des performances artistiques, dans les récits, notamment dans les œuvres de science-fiction.
- 5 Marie BUSCATTO., Mary LEONTSINI., « La reconnaissance artistique à l'épreuve des stéréotypes de ge (...)
- 6 « Le genre à l'oeuvre », colloque international organisé par le Gdri Opus 2, le Mage, le réseau de (...)
2Quelques revues, ouvrages5 et un récent colloque international6 traitent des processus qui brouillent ces représentations sexuées, réunissant des études et enquêtes qui rejettent ces figures féminines imposées par le mâle hétérosexuel blanc. Le numéro 8 de Tina débute par un article de Sandy Amerio, qui montre comment les femmes « hôtesses », sont réduites à un seul « service de séduction » en proposant une « théorie de l'hôtesse d'accueil qui ne sourit pas » : « Faire la gueule, moi je dis que c'est l'arme politique du XXIe siècle ». Obligées de sourire, entraînées à le faire, les hôtesses d'accueil sont contraintes à toujours être accueillantes.
3Louise Desbrusses rappelle ensuite qu'il est toujours évident pour les hommes d'employer le mot homme pour désigner « les hommes de sexe masculin » et « les hommes de sexe féminin ». Elle développe une théorie qui renverse le complexe d'œdipe : « le garçon, constatant sa privation d'utérus, développe une « envie d'utérus » qui se substitue ou s'associe progressivement au désir d'avoir un enfant de la mère comme compensation possible ». Cette impossibilité de posséder l'organe sacré « utérus » et ses qualités, le déséquilibre psychique qui en découle (encore peu documenté) créent un traumatisme chez le jeune garçon, qui appartient à une catégorie « innomée/innommable » : « Le traumatisme conduit parfois les hommes de sexe masculin à se vivre comme appartenant à une espèce autre au point parfois de s'identifier aux grands singes et d'adopter certains de leurs comportements ».
4Vanessa Place qui prend au mot Jacques Lacan et sa maxime « la femme n'existe pas », va plus loin : l'homme est encore « moins » que l'animal : il veut satisfaire des pulsions, infirme sur le plan affectif, il n'est qu'un « godemiché ambulant», égocentrique, passif psychiquement. Son seul désir est d'être un homme. Son art n'a pas pour but de communiquer, mais au contraire, c'est l'obscurité et l'incompréhension de ce dernier qui serait la preuve d'une sensibilité supérieure : « ce qu'ils veulent, c'est qu'on admire leur admiration ». La réflexion qui est menée à partir de ces détournements vise à mettre en avant les résistances des femmes contre ces « grands » spécialistes, aux sensibilités supérieures, faire apparaître leurs contradictions, notamment une certaine incompatibilité entre ce qui est associé au masculin et ce qui se réfère au monde artistique.
- 7 Wendy GAY PEARSON., Veronica HOLLINGER., Joan GORDON., Queer Universes. Sexualities in Science Fic (...)
5Une seconde partie de la revue peut regrouper des articles qui examinent les récits utopiques explorant des alternatives possibles à la binarité masculin/féminin dans la science-fiction, genre a priori réservé aux jeunes hommes hétérosexuels. Elisabeth Lebovici dans son article « Yes. And what sex are you now ? » présente une analyse de récits de science-fiction rejetant la définition essentialiste du féminin, bouleversant du même coup la hiérarchie de genre et la domination ; par exemple Joanna Russ pulvérise les « normes d'intelligibilité du genre » dans The Female Man (traduit en français par « L'Autre Moitié de l'homme » !). De l'absence totale des hommes à la possibilité infinie de changer de genre en fonction des désirs, Elisabeth Lebovici reprend ici les analyses de Wendy Gay Pearson, Veronica Hollinger et Joan Gordon7. Si Elisabeth Lebovici met l'accent sur les formes de transgression du genre, on pourrait interroger les formes de résistance et les signes de blocage dans les œuvres de science-fiction faites par et pour les hétérosexuels blancs.
- 8 Valérie SOLANAS., Scum Manifesto, Londres, Olympia Press, 1971.
6Nathalie Blanc et Agnès Sander dans leur article « La Cyborgue, un avenir possible entre nature et culture », examinent les reconfigurations des identités masculines et féminines en analysant les bouleversements des rapports des humains à la nature dans les œuvres de science-fiction qui abordent la question de l'écologie : comment les femmes s'adapteraient-elles si les hommes disparaissaient suite à une épidémie ou si elles décidaient de chasser les hommes ? La science-fiction propose des sociétés de femmes qui nous rappellent fortement l'appel de Valérie Solanas dans Scum Manifesto à lutter contre les hommes (ou plutôt à en faire des êtres « émasculés »)8.
- 9 Griselda POLLOCK., Vision and Différence : Feminism, Feminity and the Histories of Art, Londres, N (...)
- 10 Judith BUTLER., Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, La Découverte, Paris, 2 (...)
7Enfin, on peut réunir deux articles de la revue autour de la question de la représentation du sexe féminin par les artistes. Harold Jaffe raconte comment le vol de sous-vêtements féminins par un chef d'entreprise américain (« puisque les femmes actuelles du monde occidental ont, paraît-il, plaisir à habiter leur corps, j'ai voulu savoir ce qu'elles ressentaient ») a abouti à la fabrication de modèles de lingerie unisexe aux Etats-Unis. Amélia Jones étudie la façon dont les artistes féministes représentent le sexe féminin dans les arts visuels sans véritablement remettre en cause les oppositions traditionnelles entre homme et femme. On peut rappeler ici que les théoriciennes féministes de l'art, Griselda Pollock9 et Judith Butler10, nous permettent de dépasser les binarités homme/femme et Grand Art/art populaire. Si les liens entre féminisme et art contemporain sont rendus visibles par Tina, on peut se demander s'il existe un mouvement d'artistes féministes autonomes en France aujourd'hui.
8Tina, revue « multi-genres », à la fois drôle et d'une grande valeur théorique, dépasse les oppositions binaires hommes/femmes mais aussi les oppositions entre l'art et la science, faites de retournements et de renversements de « genre », elle est à mettre entre les mains de « nos grands hommes », de « nos grands penseurs » qui ont sur-réagi face à leur « privation d'utérus ».
Notes
1 www.editions-ere.net/tina On peut également lire une extension du numéro 8 de Tina « De quelle femme suis-je le nom ?» par Caroline Hoctan sur le même site.
2 C'est le constat de Delphine Naudier dans l'un de ses articles : Delphine NAUDIER., « Les écrivaines et leurs arrangements avec les assignations sexuées », Sociétés contemporaines, n°78, pp.39-63, Presses de Science Po, 2010.
3 Marie-Joseph BERTINI., « La Pasionaria, l'Egérie, la Muse, la Mère, la Madone », interview du 9 juin 2011 par Béatrice Toulon
4 Marie-Joseph BERTINI., « La Pasionaria, l'Egérie, la Muse, la Mère, la Madone », interview du 9 juin 2011 par Béatrice Toulon
5 Marie BUSCATTO., Mary LEONTSINI., « La reconnaissance artistique à l'épreuve des stéréotypes de genre »,Sociologie de l'art, OpuS 18, 2011 ; Hyacinthe RAVET., Marlaine CACOUAULT., « Les femmes, les arts et la culture. Frontières artistiques, frontières de genre, Travail, Genre et Sociétés, n°19, pp.19-108, 2008 ; Hyacinthe RAVET., Musiciennes, Paris, Editions Autrement, 2011 ; Hyacinthe RAVET., « Devenir clarinettiste. Carrières féminines en milieu masculin », Actes de la recherche en sciences sociales, n°168, pp.50-67, 2007.
6 « Le genre à l'oeuvre », colloque international organisé par le Gdri Opus 2, le Mage, le réseau de recherche international et pluridisciplinaire « Marché du travail et genre », le comité de recherche 18 Sociologie de l'art de l'AISLF, 20-21 septembre 2011, Sorbonne.
7 Wendy GAY PEARSON., Veronica HOLLINGER., Joan GORDON., Queer Universes. Sexualities in Science Fiction, Liverpool University Press, 2008.
8 Valérie SOLANAS., Scum Manifesto, Londres, Olympia Press, 1971.
9 Griselda POLLOCK., Vision and Différence : Feminism, Feminity and the Histories of Art, Londres, New York, Routeledge, 1988.
10 Judith BUTLER., Trouble dans le genre. Pour un féminisme de la subversion, La Découverte, Paris, 2005.
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Référence électronique
Joachim Benet, « Emilie Notéris, Vanessa Place, Louise Desbrusses (dir.), « Gender surprise », TINA, 8, 2011 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 22 octobre 2011, consulté le 30 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/6637 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.6637
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