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Salim Chena, Abdennour Benantar, Louisa Dris-Aït Hamadouche, Le hirak algérien. Retour sur un mouvement contestataire inédit

Dominique R.
Le hirak algérien
Salim Chena, Abdennour Benantar, Louisa Dris-Aït Hamadouche (dir.), Le hirak algérien. Retour sur un mouvement contestataire inédit, Paris, L'Harmattan, coll. « Histoire et Perspectives Méditerranéennes », 2024, 141 p., ISBN : 9782336431703.
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Texte intégral

1Le Hirak, littéralement « mouvement », est un soulèvement populaire déclenché par l’annonce de la candidature du président Abdelaziz Bouteflika pour un cinquième mandat. De février 2019 à mars 2020, des manifestations pacifiques se tiennent chaque mardi et vendredi à travers l’Algérie pour réclamer le départ de Bouteflika et des réformes profondes pour un véritable changement de régime. Ce face-à-face entre le pouvoir et la population est sans précédent dans l’histoire contemporaine du pays.

  • 1 Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui, Salima Mellah (dir.), Hirak en Algérie : L’invention (...)
  • 2 Abderrahmane Moussaoui, Algérie, Une longue marche. Hirak, mémoire(s) et histoire, Paris, Hémisphèr (...)

2De ce fait, il a suscité l’intérêt des sciences sociales, contribuant au renouvellement des études sur l’Algérie, en particulier sur les questions de participation politique, d’identité collective, des médias, et de l’espace public, avec des perspectives intersectionnelles qui privilégient des entrées originales. On peut mentionner les numéros 244 et 255 de Maghreb-Machrek, dirigés par Ali Bensaâd et Malika Rahal et consacrés aux débuts du Hirak, ainsi que l’ouvrage dirigé par Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui et Salima Mellah1 qui aborde différentes facettes du Hirak, ou plus récemment celui de Abderrahmane Moussaoui2 qui se penche sur les enjeux d’histoire et de mémoire.

3Le hirak algérien. Retour sur un mouvement contestataire inédit est l’ouvrage le plus récent sur ce sujet. Dirigé par Salim Chena, Abdennour Benantar et Louisa Dris-Aït Hamadouche, il comprend six contributions, dont celles de Luis Martinez, Cherif Dris et Didier Le Saout. Cinq ans après le début du mouvement, il vise à « discuter la double lutte de (dé)légitimation » (p. 6) menée par les autorités algériennes, ces dernières cherchant à récupérer la contestation tout en empêchant les citoyens de se réapproprier l’histoire de la guerre de libération, monopole de l’État depuis l’indépendance.

4La contribution de Louisa Dris-Aït Hamadouche interroge la capacité des dirigeants à surmonter la crise et à revenir à un équilibre pré-Hirak. Autrement dit, elle étudie la capacité du régime à se perpétuer. Traditionnellement, cette résilience repose sur deux types de ressources, symboliques et économiques. Les contributions de l’ouvrage reviennent sur la manière dont l’État algérien en fait usage pour asseoir sa légitimité, de l’indépendance au Hirak. Concernant les ressources économiques, Luis Martinez rappelle que dès 1962, les hydrocarbures ont alimenté le nationalisme économique, construisant puis renforçant l’image d’un État prédateur qui cristallise les frustrations de la population. Grâce à la remontée des prix du pétrole en 2002, le régime Bouteflika a fondé sa stabilité sur la redistribution de la rente et la loyauté des groupes d’intérêts, assurée par le déploiement de l’État dans toutes les sphères de la société. Avec le Hirak, des hommes politiques, fonctionnaires et directeurs d’entreprise sont condamnés pour détournements de fonds et corruption. En réponse aux revendications des hirakistes, le nouveau gouvernement d’Abdelmadjid Tebboune met donc en avant la « moralisation de la vie politique comme préalable à des réformes financières et à un renouveau économique » (p. 41). Dans les faits, les nouvelles élites restent concentrées sur le secteur énergétique au détriment des réformes économiques.

  • 3 Littéralement « bande », ce terme est généralisé en 2019 pour désigner l’entourage politique de Bou (...)

5Les ressources symboliques se déclinent en plusieurs aspects. D’abord, il y a la rhétorique de l’extérieur et de la non-ingérence, analysée par Abdennour Benantar. Instituée en 1976, la non-ingérence est un pilier de la diplomatie algérienne, étroitement liée à la perception d’une menace extérieure. La guerre d’indépendance et la guerre civile ont façonné cet « imaginaire de sécurité » (p. 89), un discours activé à chaque crise, même si la notion d’« extérieur » reste floue. Cette ambiguïté entretient le régime, car tout citoyen exprimant une opinion divergente peut être accusé de trahison, renforçant ainsi l’image d’une l’Algérie comme « forteresse assiégée » (p. 7). Le Hirak marque une rupture dans cette politique car les autorités ont sollicité le soutien des pays européens pour promouvoir l’agenda officiel. Ce changement de paradigme est révélateur des tensions entre le commandement militaire – qui désapprouve les décisions de la issâba3 – et le clan présidentiel, alors que le chef d’état-major de l’armée s’est rendu à Moscou dans le même dessein. En parallèle, le Haut Conseil de Sécurité a multiplié ses réunions, dévoilant les contradictions internes au sein de l’institution militaire.

6L’histoire est une autre ressource symbolique essentielle pour l’État, particulièrement disputée lors du Hirak. Comme l’explique Louisa Dris-Aït Hamadouche, des slogans comme « Est-ce un État ou une puissance coloniale ? » évoquent une indépendance confisquée et un désir de réappropriation de cette histoire par les hirakistes. En revanche, les autorités intensifient un discours sécuritaire pour dépeindre la contestation comme une menace à l’unité nationale, ce qui renvoie à la guerre civile des années 1990. Pour Luis Martinez, elles ont ainsi exploité le spectre de la violence, renforcé par des comparaisons avec la Libye ou la Syrie, et rendu l’idée de changement de régime impossible, si ce n’est par la mort de Bouteflika. Salim Chena souligne alors que le Hirak incarne une confrontation entre deux visions de l’histoire : celle de la « famille révolutionnaire » et celle de la « révolution populaire » (p. 10). Les autorités ont figé ces représentations en intégrant le Hirak « béni et authentique » à la Constitution, imposant les élections comme seule solution à la crise. Tout débat sur les institutions est ainsi écarté et les hirakistes soutenant cette démarche sont discrédités.

7Cherif Dris analyse la couverture médiatique du Hirak et montre comment les journalistes sont les vecteurs de ces narratifs. D’une part, les médias de tendance « nationaliste-conservatrice » (p. 56) prônent un changement limité par des élections présidentielles, s’inscrivant dans le discours officiel et contribuant à occulter la crise politique. D’autre part, les journalistes favorables au Hirak déconstruisent le récit officiel et soutiennent une véritable transition démocratique. Selon le chercheur, l’élection de Tebboune serait davantage « le résultat d’un récit politico-médiatique que d’un projet politique alternatif » (p. 68). Il souligne également l’importance des réseaux sociaux dans la poursuite de la contestation en ligne, transformant internet en un véritable « espace public virtuel » (p. 62). Ce phénomène est illustré dans le texte de Didier Le Saout, qui adopte une approche comparative pour étudier le Hirak au Maroc, en Algérie, et dans l’espace migratoire. Dans le Rif, région la plus durement réprimée au Maroc, les manifestants ont contourné les autorités par des rassemblements éclairs annoncés sur les réseaux sociaux : les actions « chen-ten » (vite fait). Il montre également comment l’autoritarisme s’étend sur internet et en diaspora, avec la surveillance des réseaux sociaux et l’incarcération de citoyens soutenant les publications de hirakistes. Si la parole protestataire est plus libre en diaspora, les militants redoutent d’être surveillés, d’être arrêtés en cas de retour en Algérie, ou de mettre en péril leurs proches restés au pays.

8Salim Chena aborde cette question en soulignant que l’exil des hirakistes est devenu un enjeu diplomatique pour l’Algérie. De nombreux citoyens font face à une interdiction de sortie du territoire national (ISTN), souvent sans notification, pour « prévenir le départ » (p. 81) et l’engagement politique à l’étranger. Les hirakistes se sont emparés de la problématique des déplacements, notamment celle des harraga, ces personnes qui émigrent illégalement par la mer. Elle soulève des enjeux similaires à ceux du Hirak, tels que la hogra (« mal-vie »), le manque de dignité et de liberté. Ainsi, les manifestations sont devenues des occasions de commémorer les disparus en mer et de détourner le terme harrag dans des slogans appelant au départ des gouvernants. Salim Chena considère aussi la mobilité comme une lutte de pouvoir durant le Hirak. Ce mouvement a en effet entraîné une « déterritorialisation et [une] relocalisation de la politique contestataire » (p. 80), favorisant une solidarité interrégionale pour accueillir les manifestants, mais aussi maîtriser les feux de forêt ou distribuer des masques pendant la pandémie de COVID-19. Du côté du pouvoir, la répression s’est quant à elle traduite par le contrôle des mobilités. Couplée à des restrictions des libertés individuelles et collectives, elle incite encore davantage les citoyens à émigrer.

9Cet ouvrage collectif met donc en lumière les difficultés du régime algérien à se maintenir lors du Hirak. Les ressorts traditionnels de disqualification utilisés par les autorités n’ont pas affaibli les protestataires bien que la pandémie et la répression aient progressivement mis fin aux manifestations. Avec les élections de décembre 2019, les autorités tentent de se légitimer par les urnes et mobilisent la rhétorique de l’ingérence pour réduire le Hirak à une crise interne résolue par le vote. Avec un taux d’abstention de 60 %, l’échec est sans appel, mais les hirakistes insatisfaits sont désormais criminalisés. Pour Salim Chena, ce verrouillage politique dans un contexte de consolidation autoritaire recèle un « potentiel protestataire » (p. 129) probablement plus intense qu’avant 2019. À l’approche des élections présidentielles, initialement prévues pour décembre 2024 et avancées à septembre, cet ouvrage pose les bases d’une réflexion sur les stratégies de maintien du pouvoir en Algérie et l’avenir des mouvements protestataires dans un contexte de répression et de tentative de légitimation d’un régime autoritaire.

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Notes

1 Omar Benderra, François Gèze, Rafik Lebdjaoui, Salima Mellah (dir.), Hirak en Algérie : L’invention d’un soulèvement, Paris, La Fabrique, 2020.

2 Abderrahmane Moussaoui, Algérie, Une longue marche. Hirak, mémoire(s) et histoire, Paris, Hémisphères, 2023.

3 Littéralement « bande », ce terme est généralisé en 2019 pour désigner l’entourage politique de Bouteflika, considéré comme une « bande de malfaiteurs » corrompus ayant dilapidé les ressources du pays.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Dominique R., « Salim Chena, Abdennour Benantar, Louisa Dris-Aït Hamadouche, Le hirak algérien. Retour sur un mouvement contestataire inédit », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 16 septembre 2024, consulté le 06 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/65399 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/12b1c

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Dominique R.

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