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Christian Lequesne, Le diplomate et les Français de l’étranger

Inès Baude
Le diplomate et les Français de l'étranger
Christian Lequesne, Le diplomate et les Français de l'étranger. Comprendre les pratiques de l'État envers sa diaspora, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2024, 164 p., ISBN : 9782724642803.
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Texte intégral

  • 1 Bertrand Tavernier, Quai d’Orsay, 2013.

1Si des films comme la comédie Quai d’Orsay1 ont permis au grand public de dé-héroïser la diplomatie en la présentant comme une profession comme une autre avec ses apprentissages, ses codes, sa division du travail et ses conflits hiérarchiques, l’image commune du métier reste celle d’un face-à-face entre État et puissance étrangère. L’ouvrage de Christian Lequesne explore un autre face-à-face moins connu dont la gestion incombe pourtant au diplomate : l’administration des « Français de l’étranger ». En déplaçant le regard sur cette activité moins noble, le politiste étudie la politique étrangère comme une politique de guichet qui engage l’État au quotidien auprès de ses nationaux. Le retour à une matière empirique constituée d’archives et d’un corpus de 88 entretiens menés avec des agents consulaires, des élus, des enseignants des établissements français et des membres de la diaspora dans cinq villes (Abidjan, Berlin, Londres, Tel Aviv et Tokyo) entend éviter le « raisonnement à vide » (p. 9) fréquent dans les travaux de relations internationales.

  • 2 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France (1977-78), Paris, Seu (...)

2Le premier chapitre dresse un rapide état de l’art. Le concept de « diplomatie de diaspora », qui désigne la manière dont les États se servent de leurs émigrés pour soutenir leur politique étrangère ou leur politique intérieure, s’applique mal à la France qui reste un pays de « diplomatie consulaire ». Malgré les transformations néolibérales qui les affectent, les pratiques diplomatiques demeurent en effet orientées vers la protection des citoyens obéissant ainsi à la tradition pastorale du pouvoir comme soin décrite par Michel Foucault2. Le deuxième chapitre aborde la composition sociologique de la diaspora. Il s’ouvre sur ce qui peut apparaître au lecteur comme un paradoxe : il n’y a pas de dénombrement exhaustif des « Français de l’étranger » depuis la fin des démarches d’inscriptions obligatoires aux consulats. Ainsi, si, en 2020, 1,7 millions d’individus étaient inscrits au registre des Français de l’étranger, les estimations informelles établies par les postes diplomatiques et celles de l’INSEE présument qu’ils pourraient être jusqu’à deux fois plus nombreux. La France n’étant historiquement pas un pays d’émigration, c’est la figure de l’expatrié (au sens strict, ceux qui partent avec la perspective d’un retour) appartenant aux classes sociales supérieures qui a intéressé les sciences sociales et qui nourrit les représentations profanes. Les Français de l’étranger agrègent pourtant binationaux, retraités, étudiants, jeunes employés aux statuts précaires, e-travailleurs permanents qui entretiennent un rapport plus ou moins lâche avec les autorités consulaires.

  • 3 Claire Cosquer, « Une cage dorée ? Expériences genrées du privilège migratoire dans l’“expatriation (...)
  • 4 Marie-Christine Pelletier-Charrier, Les Français de l’étranger comme catégorie politique, Paris, LG (...)

3L’encadrement de publics parfois vulnérables, parfois évoluant dans cette « cage dorée3 » que constitue l’expatriation, est l’objet du chapitre 3. Avec ses 206 postes en exercice et ses 501 consulats honoraires, le maillage consulaire français est le plus dense d’Europe rapporté au nombre de ressortissants et joue un rôle de mairie de proximité : le déplacement au consulat pour renouveler ses papiers d’identité, pour percevoir sa bourse ou pour retirer son certificat de vie de retraité vivant à l’étranger marque le lien physique avec l’État. Les Français de l’étranger ont été objectivés comme catégorie politique4 par plusieurs règlements juridiques : formalisation du statut de « Français établi hors de France » (2005), institutionnalisation d’une scène notabiliaire extraterritoriale avec la création de représentations spécifiques comme l’Assemblée des Français de l’étranger ou la fonction de conseiller des Français de l’étranger. Ces intermédiaires ont été historiquement conçus pour garder une forme de contrôle sur la diaspora.

4Le quatrième chapitre aborde les pratiques électorales. Dans les années 1970, plusieurs diplomates ont incité les Français de l’étranger à effectuer leur procuration dans des communes où les gaullistes étaient les plus menacés, afin de faire gonfler artificiellement le nombre de votants. Ce n’est qu’en 1976 que le droit de vote est instauré dans des bureaux à l’étranger et permet ainsi de dissocier la citoyenneté du territoire. Les Français de l’étranger bénéficient d’une représentation parlementaire spécifique avec un corps de douze sénateurs depuis 1948 et onze circonscriptions de Français de l’étranger à l’Assemblée depuis 2012. Les conflits politiques et les distributions asymétriques des diasporas expliquent un découpage de la carte électorale qui ne répond pas nécessairement au critère de continuité géographique (par exemple, Israël n’est pas incluse dans la même circonscription que le Liban) et au seuil de 150 000 votants retenu depuis 2008 pour la création d’un poste de député. Le taux d’abstention y est nettement plus élevé qu’en métropole : 39 % lors du second tour des présidentielles 2022, soit plus de 30 points de moins). Les interactions avec ces représentants parlementaires à l’assise électorale pourtant faible ont contribué à « domestiquer » (p. 90) la profession : les diplomates doivent rendre des comptes sur leurs pratiques qui sont ramenées à des enjeux de politique intérieure française. Le chapitre 5 revient sur l’histoire de la scolarisation française à l’étranger, d’abord conçue pour dispenser un enseignement français plutôt que pour scolariser les enfants d’émigrés. Aujourd’hui, dans les 566 écoles, les proportions d’enfants de nationaux français, de binationaux, d’élites locales ou d’étrangers varient selon les pays mais ces établissements partagent un fort interventionnisme des parents, justifié par ces derniers comme un droit lié au paiement de frais de scolarité.

5Enfin, les chapitres 6 et 7 reviennent sur les deux modèles de diplomatie d’influence et de diplomatie protectrice et démontrent qu’en France le premier ne se substitue pas au second. D’une part, si la dénomination de diaspora dans la littérature anglophone porte en elle l’idée, chère au courant du transnationalisme, de pouvoir croissant d’acteurs non étatiques, elle n’est pas transformée en ressource par les diplomates français formés à une culture régalienne du pouvoir qui résisterait en partie à la gouvernementalité néolibérale. Des contre-exemples existent comme à Londres où la diplomatie construit directement avec la diaspora des partenariats public-privé. D’autre part, à travers des exemples comme les rapatriements ou la distribution d’aides sociales – dont la crise du covid-19 a fourni un bon exemple –, l’État providence est projeté au-delà de ses frontières au nom d’une culture unitaire de la citoyenneté nationale.

  • 5 Andrew Cooper, Jérémie Cornut, « The Changing Practices of Frontline Diplomacy. New Directions for (...)

6Aux questionnements stimulants posés par l’auteur répondent souvent des analyses qui reprennent la parole des acteurs et pêchent d’un engagement trop fort dans l’objet. Le lecteur peut se sentir frustré devant des fils qui ne sont pas totalement déroulés. Par exemple, à la question des comptages incertains, on aurait aimé que soit expliquée la manière dont des estimations ont malgré tout été établies et comment ces méthodes d’identification et de quantification contribuent à délimiter la frontière du national. N’y-a-t-il pas par ailleurs des situations – songeons par exemple aux périodes de crise – où l’État va justement chercher à prendre contact avec celles et ceux qui lui sont d’habitude invisibles mais qu’il considère comme « ses » ressortissants ? Les grands opérateurs macro – État, consul, autorités – empêchent souvent de voir concrètement en quoi le diplomate constitue une « ligne de front5 » et comment ce travail relationnel envers les nationaux peut s’exercer différemment selon les trajectoires, les positions sociales, les configurations relationnelles, les espaces géographiques, les crédits alloués ou plus largement selon les périodes historiques et les crises traversées.

7Peut-être faut-il alors lire l’ouvrage, dont il faut souligner le format particulièrement synthétique et didactique, comme une matière à penser et à ouvrir de nouveaux fronts de recherches. Il sera particulièrement utile aux professionnels, à toutes celles et ceux qui souhaitent utiliser des archives diplomatiques ou réfléchir plus généralement à la manière dont la francité est travaillée par l’État.

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Notes

1 Bertrand Tavernier, Quai d’Orsay, 2013.

2 Michel Foucault, Sécurité, territoire, population. Cours au Collège de France (1977-78), Paris, Seuil, 2004. Ici, le pouvoir consulaire s’affranchit du deuxième terme : il s’exerce sur une population en dehors du territoire national.

3 Claire Cosquer, « Une cage dorée ? Expériences genrées du privilège migratoire dans l’“expatriation” », Sociologie, no 3, vol. 11, 2020.

4 Marie-Christine Pelletier-Charrier, Les Français de l’étranger comme catégorie politique, Paris, LGDJ, coll. « Thèses », 2021.

5 Andrew Cooper, Jérémie Cornut, « The Changing Practices of Frontline Diplomacy. New Directions for Inquiry », Review of International Studies, vol. 45, no 2, 2018, p.300-319.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Inès Baude, « Christian Lequesne, Le diplomate et les Français de l’étranger », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 30 juillet 2024, consulté le 15 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/65217 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/123xr

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Rédacteur

Inès Baude

Doctorante au Centre européen de sociologie et de science politique (CESSP) et au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP).

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