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Kevin Mellet, Sociologie du marketing

Thomas Michaud
Sociologie du marketing
Kevin Mellet, Sociologie du marketing, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2023, 128 p., ISBN : 978-2-348-07241-3.
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Texte intégral

1Cet ouvrage propose une réflexion stimulante sur l’image et la fonction du marketing dans les organisations contemporaines, dressant un panorama érudit et pertinent des théories ayant contribué à établir une sociologie de cette discipline indispensable à de nombreuses entreprises. S’intéressant notamment à l’influence du marketing sur l’économie et la société, l’ouvrage est constitué de cinq parties principales, étudiant dans un premier temps les fondements de la sociologie du marketing, puis la perception des consommateurs pour les marketeurs. Ensuite, l’auteur décrit le marketing comme « l’empire des signes » avant d’envisager les marchés comme des organisations. Il conclut son étude en réfléchissant aux rapports entre morale et marketing.

  • 1 Packard Vance, The Hidden Persuaders, New York, D. McKay Co, 1957.
  • 2 Galbraith John K., The Affluent Society, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 1958.
  • 3 Shudson Michael, « Criticizing the critics of advertising : towards a sociological view of marketin (...)

2Ce dernier est dès l’introduction présenté comme ambivalent, dans la mesure où il est parfois associé à des images positives, liées notamment à des succès industriels importants, mais aussi à des images négatives, renvoyant à la manipulation des consommateurs. En effet, le marketing peut être défini comme un ensemble de techniques visant à satisfaire les clients d’une entreprise et à commercialiser un bien ou un service. Déjà, en 1957, Vance Packard1 publie un ouvrage dans lequel il considère que les spécialistes de cette discipline s’appuient sur la psychologie et les sciences sociales pour prendre le contrôle de l’esprit des consommateurs afin de les orienter vers l’achat de biens et services. John K. Galbraith2 affirme l’année suivante que la publicité et le marketing fabriquent artificiellement les besoins et désirs des consommateurs. Le sociologue Michael Shudson3 propose, dans la lignée de ces critiques, de développer une sociologie du marketing et d’étudier la dimension culturelle et symbolique des biens dans un premier temps. Puis il suggère de s’interroger sur le rôle de la publicité et du marketing dans la formation des représentations culturelles des biens de consommation. L’ambition de la démarche est d’envisager comment le marketing participe à l’élaboration d’une culture matérialiste et de consommation de masse.

3Tirant parti de cette longue histoire de la sociologie du marketing, Kevin Mellet souhaite répondre aux questions suivantes : « En quoi consiste très concrètement le travail des professionnels du marketing ? Qui sont-ils ? Comment sont-ils organisés ? Quels sont les moyens mis en œuvre par l’“offre” pour gérer la “demande”, si ce n’est la créer et la manipuler ? De quel pouvoir ces professionnels disposent-ils, dans l’entreprise et sur le marché ? Comment leur activité est-elle, ou devrait-elle être régulée ? » (p. 6). Selon lui, les spécialistes de marketing manipulent trois éléments : les savoirs conçus par les sciences sociales, les signes mettant en circulation des marques (logos, slogans, discours, supports publicitaires, etc.), et enfin les outils de gestion.

  • 4 Miller Daniel, « Advertising, production and consumption as cultural economy », in de Waal Malefyt (...)

4Mellet considère le marketing comme une « ingénierie culturelle et comportementale, c’est-à-dire [comme] des techniques visant à élaborer et diffuser des objets culturels ou à susciter des changements de comportement chez des individus ou des groupes d’individus » (p. 18-19). De ce point de vue, il importe de noter à la suite de Daniel Miller4 que la tension structurelle entre les marketeurs et les ingénieurs issus des disciplines techniques et scientifiques est très présente dans les entreprises capitalistes contemporaines.

  • 5 Pridmore Jason, Zwick Detlev, « Marketing and the rise of commercial consumer surveillance », Surve (...)

5Le marketing repose sur une approche scientifique visant à expliquer les comportements des consommateurs. Elle devient en effet dans les années 1960 une science du comportement, avec des publications en marketing science et en consumer research inspirées par la psychologie expérimentale. Déjà, dans les années 1950, les enquêtes d’opinion par sondage jouent un rôle important dans le développement des études de marché. Ces approches permettent une connaissance accrue des marchés et s’appuient sur des approches scientifiques, sans toutefois prétendre au respect strict de la méthodologie de la recherche. Puis apparaissent d’autres techniques comme les focus groups et les tests de produits. Dans les années 2010, l’émergence du data marketing désigne la captation des données personnelles des acteurs à des fins de marketing et de publicité. Certains chercheurs5 estiment qu’il participe à l’établissement d’une société de surveillance, et à la manipulation et à la discrimination des consommateurs.

  • 6 Schudson Michael, Advertising, the Uneasy Persuasion. Its Dubious Impact on American Society, New Y (...)

6Après avoir étudié de quelle manière les professionnels du marketing produisent un savoir sur les consommateurs, Mellet examine les modalités de projection des produits vers ces mêmes personnes. On apprend notamment qu’en 2019, près de 66 000 annonceurs ont dépensé en France plus de 30 milliards d’euros dans leur communication. Toutefois, les études ont démontré que la publicité était plutôt inefficace dans la mesure où elle se confronte généralement à un public inattentif. En effet, l’auteur évoque une analyse de Shudson6 qui affirme que « la publicité est certes une forme de propagande, mais [que] tout le monde le sait » (p. 60).

  • 7 Rao Hayagreeva, Market Rebels, Princeton, Princeton University Press, 2008.

7Le chapitre V de l’ouvrage a particulièrement retenu notre attention. Intitulé « Morale et marketing », il examine comment les professionnels du marketing sont engagés dans des controverses morales. Le marketing est en effet impliqué dans des processus de moralisation des marchés, Hayagreeva Rao7 concevant ainsi le marketeur comme un entrepreneur de morale. Le but est d’attirer les consommateurs vers des produits associés à des valeurs morales présentées comme positives, si bien que les marketeurs finissent par jouer un rôle dans la moralisation des marchés. Par exemple, un yaourt est bon pour la santé ; un jouet en bois fabriqué en France est meilleur qu’un autre fabriqué ailleurs. Il arrive aussi que les acteurs de l’offre soient issus de causes contestant l’ordre établi. C’est d’ailleurs le cas de l’informatique, qui provient en partie de la contreculture des années 1960. Toutefois, l’étude de Roa montre « qu’il n’existe pas de réponse tranchée et unilatérale à la question de savoir si le marketing freine, accompagne, initie ou provoque un changement culturel, politique et social » (p. 93).

  • 8 Cohen Liz, A Consumer’s Republic. The Politics of Mass Consumption in Postwar America, New York, Al (...)

8En revanche, le marketing peut aussi être investi de missions extra-économiques, permettant de moraliser au-delà du marché et de devenir un instrument politique. En guise d’exemple, Kevin Mellet retrace le projet politique et social porté par des « réformateurs » pendant le New Deal, la Seconde Guerre mondiale et l’après-guerre, visant à construire des citoyens-consommateurs réunis au sein d’une « République des consommateurs », pour reprendre l’expression de l’historienne Liz Cohen8. Le marketing apparait dès lors au service d’une société plus égalitaire, inclusive, avec une forte mobilité sociale. Toutefois, cette approche n’a pas eu les effets escomptés selon Cohen, puisque le marketing, en développant les centres commerciaux, a renforcé la ségrégation urbaine, la stratification et l’augmentation des inégalités sociales.

  • 9 Dubuisson-Quellier Sophie, « How does affluent consumption come to consumers ? A research agenda fo (...)

9Enfin, l’auteur identifie une autre forme de marketing : le marketing social, qui a vu le jour dans les années 1970 en se mettant au service d’acteurs non économiques comme les États, les syndicats, les organisations religieuses, les partis politiques ou les organisations non gouvernementales. De plus, on assiste à la montée du marketing responsable, prenant sa source dans le mouvement de l’éthique des affaires. Il participe notamment à la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises). L’émergence de ces nouveaux courants amène l’auteur à poser cette question en guise de conclusion : « L’ingénierie comportementale, historiquement construite pour promouvoir la consommation d’“affluence”9 pourrait-elle être mise au service d’un projet sociopolitique tourné vers la sobriété ? » (p. 110).

10Ce livre propose une approche originale de la sociologie du marketing dans la mesure où il appelle à repenser cette discipline à la lueur de sa fonction de moralisation des marchés. En effet, s’il est souvent assimilé à un outil de manipulation des consommateurs par les critiques du capitalisme, nous assistons depuis quelques années à l’émergence de nouvelles approches du marketing diffusant de nouvelles valeurs. Kevin Mellet propose une synthèse remarquable des connaissances sur ce sujet complexe en moins de 130 pages, accessibles aux non-spécialistes de la discipline. L’auteur déduit de son enquête que le marketing est une institution du capitalisme. Il sert en effet à légitimer l’idéologie dominante et contribue au développement d’une culture consumériste que certains jugeront positive et d’autres contraire aux intérêts de l’humanité. L’intérêt d’une sociologie du marketing est de mieux connaitre cette discipline et de se servir de ces connaissances pour en améliorer l’efficacité ou pour le combattre.

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Notes

1 Packard Vance, The Hidden Persuaders, New York, D. McKay Co, 1957.

2 Galbraith John K., The Affluent Society, Boston, Houghton Mifflin Harcourt, 1958.

3 Shudson Michael, « Criticizing the critics of advertising : towards a sociological view of marketing », Media, Culture & Society, vol. 3, n° 1, p. 3-12, 1981.

4 Miller Daniel, « Advertising, production and consumption as cultural economy », in de Waal Malefyt Timothy et Moeran Brian (dir.), Advertising Cultures, Londres, Routledge, p. 75-89, 2003.

5 Pridmore Jason, Zwick Detlev, « Marketing and the rise of commercial consumer surveillance », Surveillance & Society, vol. 8, n° 3, p. 269-277, 2011.

6 Schudson Michael, Advertising, the Uneasy Persuasion. Its Dubious Impact on American Society, New York, Routledge, 1984.

7 Rao Hayagreeva, Market Rebels, Princeton, Princeton University Press, 2008.

8 Cohen Liz, A Consumer’s Republic. The Politics of Mass Consumption in Postwar America, New York, Alfred A. Knopf.

9 Dubuisson-Quellier Sophie, « How does affluent consumption come to consumers ? A research agenda for exploring the foundations and lock-ins of affluent consumption », Consumption and Society, vol. 1, n° 1, p. 31-50. L’auteure critique la consommation d’affluence et son impact sur l’environnement. Cette notion est proche de celle de consommation de masse.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Thomas Michaud, « Kevin Mellet, Sociologie du marketing », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 03 juillet 2024, consulté le 15 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/65077 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/11xm3

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Rédacteur

Thomas Michaud

Chercheur associé au Laboratoire ISI/Lab RII, Université du Littoral, Côté d’Opale. Docteur en sciences de gestion et MBA.

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