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Francesca Artioli, Patrick Le Galès (dir.), La métropole parisienne, une anarchie organisée

Pauline Herold
La métropole parisienne, une anarchie organisée
Francesca Artioli, Patrick Le Galès (dir.), La métropole parisienne, une anarchie organisée, Paris, Les Presses de Sciences Po, coll. « Domaine Gouvernances », 2023, 330 p., ISBN : 978-2-7246-4170-7.
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Texte intégral

  • 1 Michael D. Cohen, James G. March, Johan P. Olsen, « A Garbage Can Model of Organizational Choice », (...)
  • 2 Voir par exemple Patrick Le Galès (dir.), Gouverner la métropole parisienne, Paris, Presses de Scie (...)
  • 3 Robert A. Dahl, Who Governs? Democracy and Power in an American City, New Haven, Yale Université Pr (...)

1Étudier les métropoles, c’est analyser la fragmentation institutionnelle, la coordination contrariée voire la mise en concurrence entre une pluralité d’échelles territoriales, d’acteurs et d’instruments d’action publique. À travers l’étude de la métropole parisienne, l’ouvrage collectif dirigé par Francesca Artioli et Patrick Le Galès rend compte de cette complexité en utilisant le concept d’« anarchie organisée1 ». Présentée comme une situation « où coexistent des organisations faiblement liées entre elles (loosely coupled), des objectifs souvent flous et potentiellement contradictoires, des ensembles de solutions et de problèmes peu articulés entre eux » (p. 10), l’anarchie organisée de la métropole parisienne est analysée à travers onze études de cas. L’ouvrage, qui réunit dix-huit auteurs, s’inscrit dans le sillage des études dirigées par Patrick Le Galès2 portant sur la gouvernance urbaine. Leur objectif était de répondre à une question classique de science politique, à savoir « qui gouverne ?3 » Elles soulignaient les limites et les contradictions de la gouvernance de la métropole parisienne et étaient orientées par un questionnement principal : la métropole parisienne est-elle gouvernable ? L’ouvrage présenté ici a pour ambition de dépasser ces questionnements. Celui-ci interroge plutôt la manière dont la métropole parisienne est gouvernée.

2Pour traiter cette problématique, les auteurs s’intéressent autant à la pluralité des acteurs qu’au contenu des politiques publiques issues de cette anarchie organisée. Ils ont pour ambition « de [rechercher] les traces d’un ou plusieurs ordres au sein d’une gouvernance qui paraît, à première vue, désordonnée » (p. 9) et de montrer que l’action publique oscille entre « contingence » et « capacités d’actions stabilisées et orientées à la poursuite d’objectifs qui ne sont pas ambigus » (p. 30).

3Pour cela, l’ouvrage est divisé en deux parties principales qui mettent au travail ce cadre analytique à travers l’étude de l’action collective des acteurs de la gouvernance. Les chapitres étudient successivement quatre formes de coordination d’acteurs aux ressources inégales : l’étude des coalitions, des acteurs veto, de la contingence, ainsi que des instruments et des données.

4En termes de méthode, si cette étude monographique se focalise sur la métropole parisienne, une comparaison implicite avec d’autres métropoles traverse l’ouvrage. Celui-ci entend également considérer le rôle particulier que joue l’État dans la gouvernance de la métropole parisienne. Toutes les études de cas utilisent principalement des méthodes qualitatives puisqu’elles s’appuient sur des données récoltées essentiellement lors d’entretiens ou à partir de sources écrites variées.

5La première partie de l’ouvrage explore « les contingences et les données. » Dans le chapitre 4, Roberto Rodriguez s’intéresse à la contingence de la prise en charge de la politique sur la pollution de l’air par la Métropole du Grand Paris (MGP). En effet, la création de cette dernière a requis « l’identification de problèmes auxquels elle pouvait apporter une solution » (p. 129) comme celui de la pollution de l’air. La métropolisation de cette politique est donc le fruit de « fenêtres d’opportunités ponctuelles au sein desquelles des solutions et des idées en attente ont pu rencontrer des problème à résoudre » (p. 52). La captation de ce problème a permis à cette institution récente, dont les prérogatives étaient, au départ, incertaines, de proposer des solutions d’action publique. Cela lui a permis de « s’insérer » au sein de la gouvernance urbaine, quoique de façon conflictuelle. Car toutes les communes situées à l’intérieur du périmètre de l’autoroute A86 devaient adopter progressivement les zones à faible émission (ZFE), mais les conflits entre les différentes institutions territoriales ont retardé la mise en œuvre de cette politique métropolitaine. Certaines communes, à l’image de Montrouge et de Bobigny, étaient réticentes à le faire, défendant l’échelon communal. Le pilotage de cette action publique était aussi disputé par plusieurs institutions : d’un côté la MGP soutenue par la Ville de Paris, de l’autre la Région qui se considérait compétente sur cette question.

6Néanmoins, la contingence de l’action publique est compensée par la production de données et d’instruments d’action publique dont l’objectif est de réduire l’incertitude de l’action publique par la planification. En effet, ces productions servent parfois d’appui à l’intégration métropolitaine. Analysant les instruments du secteur de l’immobilier de bureaux professionnels, Nadia Arab et Gilles Crague (chapitre 2) démontrent qu’à défaut d’observer une intégration forte au sein d’une institution métropolitaine réglant ce problème, certains acteurs, plus discrets, produisent des instruments d’action publique intégrateurs malgré tout. C’est le cas de l’Observatoire régional de l’immobilier d’entreprise (ORIE), association qui organise les interactions entre les différents professionnels du secteur de l’immobilier de bureaux ainsi qu’entre les acteurs publics concernés. En tant que méta-organisation productrice d’études et de données, l’ORIE détient une fonction d’intégration sectorielle et territoriale au sein de ce champ. Il contribue à la métrologie, c’est-à-dire à la mesure du nombre de mètres carrés des bureaux professionnels du parc francilien à travers trois modes d’intervention : la production de données, la construction de cadres cognitifs ainsi que l’influence dans l’orientation de l’usage des sols. L’ORIE a par exemple été consulté lors de l’élaboration du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) de la région Île-de-France.

7Au contraire, d’autres études mettent en lumière la pluralité d’acteurs qui construisent des données fragmentées au sein d’un même territoire. D’après l’étude de Jean-Baptiste Chambon et Antoine Courmont (chapitre 3), les données géographiques sont produites par plusieurs acteurs concurrents au sein de la gouvernance : l’Institut Paris Région, l’Atelier Parisien d’Urbanisme, les collectivités territoriales, ainsi que des acteurs privés. Les deux auteurs montrent que cette multiplicité de producteurs de données alimente la fragmentation territoriale, notamment en laissant peu de place à la MGP, qui s’insère difficilement. Elle ne peut en effet produire de données que dans les interstices laissés par les acteurs préexistants. Aucune institution n’est donc en mesure de faire « émerger des représentations communes de l’espace » (p. 100) métropolitain.

8La seconde partie de l’ouvrage s’intéresse « aux coalitions et aux veto » au sein de la métropole parisienne. Si l’action publique est parfois contingente, certaines coalitions poursuivent néanmoins des objectifs précis dans d’autres cas. Celles-ci partagent des intérêts et des idées qui façonnent leur réception et leurs représentations de la métropolisation. Agnès Bastin et Éric Verdeil (chapitre 7) étudient la gestion des déblais issus des travaux du Grand Paris Express. Considérés comme une ressource matérielle, les déblais organisent des rapports de pouvoir. Dans un premier temps, leur gestion est structurée autour de plusieurs coalitions réunissant les gestionnaires privés des terres, les municipalités de la seconde couronne et les propriétaires fonciers. L’arrivée d’un nouvel acteur, la Société du Grand Paris (SGP), fait évoluer les réglementations et les pratiques sectorielles de valorisation des terres. La SGP met en place plusieurs expérimentations visant à développer la production d’éco-matériaux. Ces innovations créent de nouvelles formes de partenariats avec les collectivités et les propriétaires fonciers sans pour autant déstabiliser les coalitions en place.

9Par ailleurs, Emmanuel Bellanger et Christine Lelévrier (chapitre 8) relatent la trajectoire de l’intercommunalité de Plaine Commune située en Seine-Saint-Denis. Ils analysent la constitution d’une coalition autour de son ancien président communiste, Patrick Braouezec. Son objectif était de développer économiquement ce territoire populaire et désindustrialisé. Alors qu’initialement, la Seine-Saint-Denis était bénéficiaire des « politiques de rattrapage » de la puissance publique, cette stratégie politique locale a permis à Plaine Commune d’être considérée par l’État et la Région comme un territoire central de « reconquête urbaine ». La coalition a négocié avec l’État la construction du Stade-de-France sur ce territoire. Ce chantier a contribué au développement local de Plaine Commune par la constitution d’alliances avec les entreprises locales, pour inciter à l’embauche de jeunes des quartiers populaires sur les chantiers. Le développement économique qui s’en est suivi a par la suite alimenté une opposition politique entre les élus socialistes et communistes car les seconds craignaient la gentrification de leur territoire. Ce dernier est donc devenu à la fois un « espace intégré à la métropole » mais également « un symbole des inégalités sociales et territoriales » (p. 44). Ces deux études de cas permettent donc de comprendre que des acteurs peuvent se coaliser et construire des objectifs d’action communs sur le long terme et que les solutions d’action publique ne relèvent pas uniquement de la contingence.

10Pour autant, le degré de conflictualité entre ces coalitions est parfois élevé et des acteurs veto cherchent à défendre leurs intérêts propres. À titre d’exemple, Camille Allé (chapitre 6) démontre que le fonctionnement de la MGP est freiné par la présence d’acteurs veto, les Établissements publics territoriaux (EPT), qui sont des intercommunalités mises en place sur son périmètre. Ces derniers se sont coalisés afin d’empêcher le transfert de certaines de leurs ressources fiscales, celles issues de la Cotisation foncière des entreprises (CFE) notamment, à la MGP. Ce transfert était pourtant initialement prévu par la loi et jugé nécessaire à l’exercice de ses compétences.

11L’étude des actions collectives permet de rendre compte de la présence d’une multitude d’institutions et d’instruments enchevêtrés au sein de la gouvernance. Les analyses présentées dans cet ouvrage suggèrent que la complexité associée à l’anarchie organisée n’est pas toujours synonyme « d’échecs » de l’action publique. Florence Artioli et Patrick Le Galès affirment en ce sens que « dans le désordre décrit en termes d’anarchie, il existe aussi des formes d’ordre partiel, d’intégration limitée, de répétitions et de rapports de pouvoir » (p. 28).

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Notes

1 Michael D. Cohen, James G. March, Johan P. Olsen, « A Garbage Can Model of Organizational Choice », Administrative Science Quarterly, vol. 17, n° 1, 1972, p. 1-25.

2 Voir par exemple Patrick Le Galès (dir.), Gouverner la métropole parisienne, Paris, Presses de Sciences Po, coll. « Académique », 2020.

3 Robert A. Dahl, Who Governs? Democracy and Power in an American City, New Haven, Yale Université Press, 1961.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pauline Herold, « Francesca Artioli, Patrick Le Galès (dir.), La métropole parisienne, une anarchie organisée », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 26 avril 2024, consulté le 30 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/64533 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.64533

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Rédacteur

Pauline Herold

Doctorante contractuelle en Science Politique à Panthéon-Assas Université et rattachée au CERSA-CNRS. Sa thèse porte sur la mise en place des institutions métropolitaines à Paris et à Marseille (2001-à nos jours).

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