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Thomas Frinault, Introduction à l’analyse des politiques publiques

Sophie Louey
Introduction à l'analyse des politiques publiques
Thomas Frinault, Introduction à l'analyse des politiques publiques, Rennes, Presses universitaires de Rennes, col. « Didact Sciences politiques », 2023, 325 p., ISBN : 978-2-7535-8764-9.
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1Les différentes crises observées au cours de ces dernières années (crise économique de 2008, mouvement des gilets jaunes de 2018 ou encore crise pandémique de 2019) sont des exemples de moments où l’État a déployé des politiques publiques importantes, par leurs étendues, coûts économiques, etc. Ces interventions rappellent combien l’État, en tant que puissance publique, est détenteur d’un pouvoir fort d’organisation et de coordination d’actions visant à résoudre des problèmes. Ces actions, en tant que politiques publiques, peuvent être analysées pour comprendre comment elles ont été construites, déployées, ou encore quels en sont les effets. Cette démarche s’inscrit ainsi dans le domaine de « l’analyse des politiques publiques » auquel Thomas Frinault consacre un manuel en s’appuyant sur une abondante littérature francophone et anglophone. L’ouvrage retrace en effet la genèse, les évolutions et enjeux contemporains de ce qui est devenu un champ de recherche à part entière. Si les réflexions sur les actions de l’État sont anciennes, l’analyse des politiques publiques devient un champ spécifique de recherche au cours des années 1970, sous l’impulsion d’universitaires qui l’importent des États-Unis vers la France, et grâce au dynamisme de deux pôles de recherche en France : l’un localisé à Paris (le Centre de Sociologie des Organisations) et l’autre à Grenoble (ladite « école grenobloise »). La multiplication des recherches et leur diffusion progressive vont progressivement fédérer et institutionnaliser le champ des politiques publiques (p. 11).

2L’auteur rappelle dès l’introduction que la « politique publique » est un concept qui, tel que défini en 1985 par Madeleine Grawitz et Jean Leca, correspond aux « interventions d’une autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique de la société ou du territoire » (p. 7). Les politiques publiques sont à la fois « instituées » (construites) et « instituantes » (porteuses d’effets) et peuvent dès lors être analysées à partir de multiples entrées dont l’auteur rend compte au fil de l’ouvrage.

3Le livre est structuré en 7 chapitres pouvant être lus successivement ou indépendamment. Il s’adresse tant aux chercheurs et chercheuses qu’aux étudiants et étudiantes de sciences politiques, de sociologie politique ou encore d’administration publique. L’auteur tient ainsi le pari de livrer un outil dressant un panorama sociohistorique, contemporain et théorique de l’analyse des politiques publiques. Les trois premiers chapitres sont consacrés au cadre des politiques publiques à partir de leurs processus de désignation (chapitre 1), de construction et de mise en œuvre (chapitres 2 et 3). Les quatre chapitres suivants portent sur les évaluations, expertises et savoirs des politiques publiques (chapitres 4, 5, 6 et 7).

4Le chapitre 1, « Problèmes publics et dynamiques de publicisation », éclaire les façons dont une politique publique peut être initiée. Une politique publique vise à répondre à un objectif qui a le plus souvent été identifié comme relevant du « problème » (p. 26) à résoudre. L’auteur analyse alors les différentes étapes conduisant à ce qu’un évènement ou encore un thème soit ainsi catégorisé. Le processus d’étiquetage du « problème » conduit logiquement à une mise à l’agenda de son traitement voire de sa résolution. S’il existe bien des « critères objectifs » pouvant conduire à établir un problème (l’auteur cite des exemples comme ceux du degré de pollution, ou encore du niveau de chômage), un tel processus nécessite la mobilisation d’acteurs et de ressources qui vont permettre de révéler puis de traiter le problème.

5Si le « problème » peut être à la base d’une politique publique, celle-ci implique aussi une série de processus décisionnels auxquels l’auteur consacre le chapitre 2, intitulé « Décision(s) et dynamiques de changement dans les politiques publiques ». L’auteur montre tout d’abord que la responsabilité des politiques publiques est systématiquement rattachée au personnel politique plutôt qu’au personnel administratif. Il montre ensuite comment peut s’observer la circulation des politiques publiques à l’échelle internationale. Thomas Frinault fait notamment dialoguer dans ce chapitre les travaux menés au cours de ces dernières décennies sur l’européanisation des politiques publiques (p. 93). Ainsi l’Union européenne recourt-elle par exemple à des pratiques de comparaison et d’incitation à l’uniformité dans une « stratégie de coordination » (p. 95).

6On pourra retenir ici un exemple donné par l’auteur concernant l’emploi (p. 89). En 2000, le Conseil européen fixe des objectifs statistiques ciblés en matière d’emploi. Si les États n’ont alors pas obligation de les atteindre, l’initiative a pour effet de distinguer les bons et les mauvais États et vise à « susciter l’émulation des autres dans une sorte de concurrence économique » (p. 89). Ces derniers observent ainsi les dispositifs mis en place dans les autres États et discutent de ces derniers pour les dupliquer ou au contraire les écarter de l’arsenal des actions possibles, avec une tendance à homogénéiser certaines méthodes et actions. Pour autant, ces décisions relatives aux politiques publiques ne renseignent pas sur les conditions de leur mise en œuvre, sur lesquelles le chapitre suivant porte.

7Le chapitre 3, « La mise en œuvre : objet d’analyse, problème de gouvernement », montre les apports heuristiques d’un déplacement du regard des décideurs (chapitre 2) vers les applicateurs des politiques publiques. Au cours de ces dernières années, c’est d’ailleurs peut-être cette approche qui a dominé dans les enquêtes menées sur les politiques publiques. Cette entrée « par le bas » consiste à s’intéresser aux acteurs responsables de la mise en œuvre des décisions politiques. Appliquer ces dernières conduit à certains écarts, révélant parfois des échecs initiaux en matière de diagnostic (p. 110), ou encore à des formes de résistances par les agents dont le rôle professionnel consiste pourtant à concrétiser et déployer l’action publique (p. 115).

  • 1 Epstein Renaud, La rénovation urbaine, Presses de Sciences Po, Paris, 2013.

8L’évaluation des politiques publiques est devenue un incontournable des formations en science politique et en administration publique. Le chapitre 4, « L’action publique à l’aune de l’évaluation de ses résultats », porte sur ces processus d’évaluation qui conduisent à la fois à juger de la réussite ou de l’échec d’une politique publique et à préparer la mise en œuvre d’autres politiques publiques. Cités par l’auteur, les travaux menés par Renaud Epstein sur les politiques de la ville montrent bien combien les premières évaluations, mises en œuvre à partir des années 19801, ont été les motrices d’une généralisation progressive de ce recours. Il semble aujourd’hui impossible de « détacher » une politique publique d’une projection en matière d’évaluation, au point que l’on puisse désormais parler d’une « institutionnalisation de la démarche évaluative » (p. 163).

9Si l’évaluation peut prendre plusieurs formes (participative par exemple), elle peut aussi être empreinte d’une dimension politique comme on le constate dans le chapitre 5, « Décider des politiques : la politique dans les politiques publiques ». Dans ce chapitre, l’auteur se focalise sur la place de « la » politique qui fait référence aux luttes concurrentielles pour les obtentions et/ou répartitions du pouvoir. Les acteurs politiques sont présents selon l’auteur à au moins deux niveaux dans les politiques publiques. Tout d’abord, « la norme représentative » reste dominante « dans la vie démocratique » (p. 217) : des acteurs politiques sont élus à partir de programmes présentant des politiques publiques et peuvent avoir la charge de les initier. Puis, les calendriers des élections jouent eux-mêmes sur les conditions de lancement, d’ajustement voire d’abandon de politiques publiques.

  • 2 Offerlé Michel, Sociologie des groupes d’intérêt, Montcrestien, Paris, 1998 [1994].

10Les chapitres 6, « Influencer les politiques : place et stratégies d’action dans les groupes d’intérêts », et 7, « Des savoirs pour gouverner : l’expertise et les experts dans l’action publique », sont consacrés aux pratiques de lobbying. L’attention porte à la fois sur les acteurs de ces pratiques et les recours aux expertises. L’auteur mobilise en particulier la sociologie des groupes d’intérêt2 afin d’éclairer certaines des transformations de l’action publique se caractérisant par des liens de plus en forts avec d’autres sphères (privées, politiques, associatives). L’auteur relève en effet une « omniprésence générale » de ces groupes « dans la fabrique des politiques publiques » (p. 257). Dès lors, l’analyse des savoirs mobilisés à partir de la parole d’acteurs autodésignés ou désignés comme « experts » rend aussi compte des stratégies pouvant être adoptées pour orienter une politique publique. L’usage grandissant de l’expertise est d’ailleurs corrélé à un autre phénomène, celui d’une montée de la « contre-expertise » (p. 276). Cette configuration montre bien combien les politiques publiques sont des enjeux de lutte.

11Pour conclure, le manuel de Thomas Frinault dresse un panorama précieux de l’analyse des politiques publiques. L’expression « action publique » semble aujourd’hui davantage employée que celle d’« analyse des politiques publiques ». Thomas Frinault discute de ces qualifications qu’il estime « complémentaires » plutôt que « concurrentes » (p. 21). Toujours est-il que la présence de nombreux encadrés, portant la focale sur des enquêtes aux thèmes et terrains variés, contribue à rendre l’ouvrage particulièrement précieux pour incarner les notions mobilisées tout au long de l’ouvrage. La construction du livre permet par ailleurs plusieurs niveaux de lecture permettant de s’en saisir comme d’un ouvrage d’introduction ou de spécialisation.

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Notas

1 Epstein Renaud, La rénovation urbaine, Presses de Sciences Po, Paris, 2013.

2 Offerlé Michel, Sociologie des groupes d’intérêt, Montcrestien, Paris, 1998 [1994].

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Para citar este artículo

Referencia electrónica

Sophie Louey, « Thomas Frinault, Introduction à l’analyse des politiques publiques », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 02 octubre 2023, consultado el 04 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/62205 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.62205

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Redactor

Sophie Louey

Sociologue diplômée de l’Université de Picardie Jules Verne, Sophie Louey est membre associée du CURAPP-ESS (UMR7319) et du Centre d’études de l’emploi et du travail (CNAM). Elle est spécialiste du petit patronat et des organisations patronales.

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