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Dauphine Recherches en management, L’état du management 2023

Thomas Michaud
L'état du management 2023
Dauphine Recherches en management, L'état du management 2023, Paris, La Découverte, coll. « Repères Gestion », 2023, 128 p., EAN : 9782348078606.
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Texte intégral

1Le livre L’état du management 2023 propose plusieurs articles consacrés à des sujets très différents les uns des autres, qui retracent certaines recherches menées au sein de Dauphine Recherches Management (DRM), un des plus importants centres français de recherche en sciences de gestion. Ils ont pour point commun de s’intéresser à la transition de la société vers un modèle reposant sur davantage de sobriété, afin de répondre à la succession de crises qui ont frappé notre société ces dernières années (Covid-19, guerre en Ukraine, accélération du réchauffement climatique). Ces recherches abordent différents champs des sciences de gestion, comme la finance, le marketing et l’organisation et proposent des analyses ouvrant des perspectives de réforme des entreprises et des institutions économiques dans la perspective de les adapter aux mutations du monde contemporain, notamment écologiques.

  • 1 Ginsburger Maël, « De la norme à la pratique écocitoyenne. Position sociale, contraintes matérielle (...)

2Dans un chapitre intitulé « Savoir, vouloir et faire : quelles pratiques de sobriété numérique ? », Valérie Guillard, Stéphanie Monjon, Jean-Samuel Beuscart et Jean-Marc Josset s’attaquent au mythe d’une économie numérique décarbonée, distincte du monde physique et éthérée. En effet, l’économie numérique représente 4 % des émissions de CO2 et connait une croissance de 10 % par an. Les auteurs étudient ainsi les pistes permettant d’atteindre une plus grande sobriété numérique, avec un ensemble de gestes souhaitables comme la suppression des emails anciens ou la modération de consommation de vidéos en ligne. Leur enquête porte précisément sur la réception et la mise en œuvre de gestes de sobriété numérique par les utilisateurs. Leur problématique est « de mieux comprendre la façon dont le savoir, le vouloir et le faire s’articulent chez les individus et de comprendre si les gestes de sobriété numérique sont en lien avec une volonté de sobriété, numérique ou pas, et des connaissances sur la question » (p. 10). Il ressort de l’étude que la connaissance de la sobriété numérique est élevée, comme les déclarations d’intention de la pratique. Elle n’est toutefois pas suivie d’effets systématiques concernant le renouvellement et le recyclage des équipements. Il est aussi difficile de répandre la sobriété numérique en raison des offres illimitées des infrastructures. Sur le plan sociologique, il apparait que les franges les plus diplômées de la population sont plus réceptives que les classes populaires aux discours écologiques, et adoptent notamment une écologie du geste reposant sur le remplacement des produits de consommation par d’autres, plus sobres. L’article fait ainsi le lien avec l’« écologie de la sobriété » présentée par Ginsburger1, qui se caractérise par « une modération plus ou moins volontaire de certaines consommations » (p. 18).

3Par la suite, dans un article intitulé « Comment former pour transformer la mode ? », Colette Depeyre, Darja Richter et Véronique Perret travaillent sur les conditions favorables à l’émergence d’un secteur de la mode plus responsable, une nécessité mise en lumière en 2013 par l’effondrement au Bangladesh d’un immeuble qui avait causé la mort de 1 100 ouvriers du textile. Les chercheuses ont ainsi expérimenté de nouvelles manières de transmettre le savoir au sein du master « Mode et Matière » de l’École nationale de mode et matière (ENAMOMA/université PSL). Le but de la démarche est d’explorer les filières, usages et imaginaires afin de développer l’écoresponsabilité chez les étudiants. Ces derniers disposent par ailleurs d’une grande liberté dans le choix de leurs projets, dans la mesure où ils font évoluer les pratiques. Bien qu’ayant l’opportunité de travailler en groupe dans un cadre pluridisciplinaire, démarche valorisée par l’école, la majorité des étudiants a décidé de réaliser des projets individuels, ce qui s’explique par le fait que la mode est un monde dans lequel la place de l’égo est très importante.

  • 2 La normalisation comptable établit des règles communes pour uniformiser et rationaliser les informa (...)
  • 3 Un reporting financier permet de suivre la trésorerie d’une entreprise. Il permet notamment d’effec (...)
  • 4 Le reporting de développement durable (RDD) souligne les actions de l’entreprise en faveur du dével (...)

4Dans un chapitre nommé « Normaliser le reporting de la durabilité en Europe : rendre compte ou “agir à distance” ? », Rouba Chantiri et Céline Marie Michaïlesco s’interrogent sur l’extension du domaine du normalisateur comptable2 du reporting financier3 au reporting en matière de développement durable4. Cette tendance récente pourrait avoir des effets incitatifs pour les entreprises, qui auraient davantage intérêt à orienter leurs achats et leurs stratégies vers des enjeux écologiques. Les auteurs rappellent notamment que la modification des normes comptables a eu des effets sur l’incitation de la recherche et développement dans les années 1980 au Royaume-Uni, en demandant notamment l’introduction d’informations sur les dépenses de R&D dans les comptes. Cet article montre aussi la nécessité pour l’Union européenne de défendre ses intérêts économiques et une vision alternative au modèle anglo-saxon en faisant évoluer ses propres normes comptables.

5Sonia Adam-Ledunois et Marie Roussie consacrent quant à elles une contribution passionnante à « La science-fiction pour penser autrement l’innovation ». Elles s’intéressent ainsi au projet Red Team Défense, un programme lancé par l’armée française pour imaginer les conflits des années 2030-2060 en utilisant des récits produits par des auteurs de science-fiction. Les deux expertes ont ainsi bénéficié d’un statut privilégié, puisque leur recherche exploratoire s’est déroulée pendant plus d’un an auprès des acteurs du programme, réunis en trous groupes d’acteurs : des créatifs reconnus dans l’univers de la science-fiction francophone, des membres du ministère des Armées et des chercheurs ou experts scientifiques. Reposant sur l’innovation ouverte, ce programme a deux ambitions : « 1. Collecter hors de l’institution militaire des idées pour penser son futur. 2. Bousculer les méthodes d’appréhension du futur mobilisées par les directions internes en charge des réflexions stratégiques » (p. 45). La Red Team Defense produit ainsi des livres, vidéos et illustrations. Elle allie des phases de créativité entre auteurs, des rencontres avec des scientifiques, et des ateliers de co-conception entre auteurs et militaires. Le rôle des auteurs est ainsi en constante évolution : « Certains alertent sur les difficultés à conserver un regard suffisamment extérieur aux armées pour proposer des idées dissonantes : “Je parle leur langage maintenant” (auteur, avril 2022). D’autres soulignent les limites de ces connaissances acquises et appellent à en découvrir davantage » (p. 49). Quoi qu’il en soit, ce programme de recherche met en valeur une pratique de la créativité et de la prospective originale. L’enquête met ainsi en valeur comment cette Red Team emploie l’imaginaire et la science-fiction pour développer des visions et des représentations du futur innovantes, susceptibles d’orienter les décisions et les stratégies des leaders militaires. Il s’agit ainsi non pas de créer des technologies utopiques, mais d’expérimenter des méthodes alternatives pour appréhender le futur. La contribution s’avère particulièrement intéressante pour les recherches sur les rapports entre science-fiction et innovation, notamment pour les praticiens en design fiction, qui peuvent y trouver des pistes de recherche. Cette approche de l’innovation pourrait bien faire des émules à l’avenir, si ses résultats s’avèrent prometteurs.

6Dans « Comment manager une communauté professionnelle ? », Lionel Garreau et Serge Perrot étudient les actifs en poste qui appartiennent à une communauté professionnelle, représentant 36 % des Français. Pour les auteurs, ces acteurs ont une triple motivation : affective d’abord, (ils s’engagent car ils aiment la cause) ; normative ensuite (ils s’engagent par obligation morale) ; calculée enfin (ils s’engagent par intérêt). Il ressort de l’enquête que les personnes interviewées ont un besoin simultané de liberté et de structuration de l’activité qui peut apparaitre paradoxal. De même, les relations au sein de ces groupes sont à la fois utilitaires et affinitaires. Enfin, ces communautés sont parfois réticentes à une ouverture au monde extérieur, dans la mesure où l’influence d’autres organisations pourrait remettre en question leur identité.

7Dans un chapitre intitulé « Fans et stratégies de marques », Dina Rasolofoarison, souligne que les fans sont de plus en plus sollicités pour promouvoir des marques de biens et services. Le marketing bénéficie de leur loyauté et de leur créativité, une relation qui peut se retourner contre la marque si les fans jugent qu’ils ont été exploités, et que leur sous-culture a été marchandisée. Avec cette recherche inscrite dans le cadre des fans studies, l’auteur conclut en expliquant que « dans un souci de gestion de marque efficace, les professionnels du marketing ont intérêt à bien connaitre leurs fans pour savoir où se trouve la ligne de démarcation à ne pas franchir pour éviter de transformer des ambassadeurs de marques fidèles en adversaires haineux de la marque » (p. 87).

8Le livre se termine par un rappel des faits marquants de la vie des affaires de septembre 2021 à septembre 2022. Les différents articles présentés dans cette recension révèlent d’une recherche particulièrement dynamique dans le laboratoire à l’origine de l’ouvrage. Certains chapitres s’inscrivent pleinement dans la problématique initiale, à savoir mettre en œuvre des pratiques gestionnaires plus durables, responsables, et sobres. D’autres sont plus éloignés de cette problématique, qui pourrait toutefois mobiliser de plus en plus de recherches à l’heure où les pratiques de l’innovation sont remises en question pour concevoir un mode de vie plus sobre et moins orienté vers la course au progrès technique, souvent polluant et superflu.

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Notes

1 Ginsburger Maël, « De la norme à la pratique écocitoyenne. Position sociale, contraintes matérielles et diversité des rapports de l’écocitoyenneté », Revue française de sociologie, vol. 61, n° 1, 2020, p. 43-78.

2 La normalisation comptable établit des règles communes pour uniformiser et rationaliser les informations comptables.

3 Un reporting financier permet de suivre la trésorerie d’une entreprise. Il permet notamment d’effectuer des analyses des écarts entre les prévisions budgétaires et les réalisations.

4 Le reporting de développement durable (RDD) souligne les actions de l’entreprise en faveur du développement durable.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Thomas Michaud, « Dauphine Recherches en management, L’état du management 2023 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 20 septembre 2023, consulté le 11 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/62008 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.62008

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