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Michèle Lelievre, Emmanuelle Nauze-Fichet, RMI, l'état des lieux. 1988-2008

Cédric Frétigné
RMI, l'état des lieux
Michèle Lelievre, Emmanuelle Nauze-Fichet (dir.), RMI, l'état des lieux. 1988-2008, La Découverte, coll. « recherches », 2008, 284 p., EAN : 9782707153845.
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Texte intégral

  • 1 Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du Ministère du travail, (...)

1A l'heure de la fusion annoncée de l'ensemble des minima sociaux et de leur remplacement par le Revenu de Solidarité Active (RSA), plusieurs enquêtes coordonnées par la DREES1 ont dernièrement pris pour objet d'étude le RMI et ses bénéficiaires (allocataires et ayants droit). RMI, l'état des lieux fait état des principaux enseignements de cette série d'investigations statistiques.

2Le RMI a vingt ans en 2008. Si l'on exclut les années 2000 et 2001, ce dispositif a concerné un nombre croissant de personnes sur l'ensemble de la période. Il est aujourd'hui versé à 1,3 millions de foyers, soit 2,5 millions de bénéficiaires, soit encore 4% de la population française. Sortis de ces grands repères quantitatifs, les auteurs de l'ouvrage insistent sur la variété des figures de RMIstes. Faire jouer les principales coordonnées sociales habituellement mobilisées (sexe, âge, statut matrimonial, niveau de formation, etc.) interdit de fait l'établissement de franches régularités statistiques. Au demeurant, suivant les indicateurs pris en compte, les typologies (les types et leur nombre) évoluent au fil des chapitres. Prétendre aboutir à un profil type du RMIste est donc une illusion dont les auteurs invitent à se déprendre.

  • 2 Par exemple, « le constat majeur est celui du lien étroit entre RMI et chômage, manifeste dans le t (...)
  • 3 Concepts qui ambitionnent de rendre compte des situations où la désutilité du travail est avérée. I (...)

3Parmi l'ensemble des résultats auxquels les auteurs aboutissent, il en est un qui retient plus particulièrement l'attention. D'une part, car la conclusion est, plus que d'autres, clairement (statistiquement) établie. D'autre part, car elle engage des discussions qui débordent le cadre des controverses académiques. « La carte du RMI est analogue à celle du chômage » (p.64) est-il ainsi fixé. Ce constat, réitéré à plusieurs reprises2, met de fait au cœur de la réflexion la situation du marché du travail. Cette observation est renforcée par l'invalidation empirique, du moins est-ce ainsi que nous l'analysons, de la rhétorique des « trappes à pauvreté/inactivité ». Ces concepts à vocation descriptive3 sont de fait faiblement opératoires, la saisie statistique des pratiques ne rendant que très imparfaitement compte de ce que les modèles supposent a priori.

4Qu'est-ce à dire ? Hommage du vice à la vertu, différents contributeurs pointent que la faible « rationalité » (sic) des allocataires ne permet pas de leur imputer une volonté expresse de profiter de leur situation, au motif que la reprise d'une activité serait économiquement rendue « irrationnelle » par le désutilité du travail. De fait, peu d'entre eux ont connaissance des mécanismes incitatifs au retour à l'emploi. Et ceux qui ont déjà été conduits à décliner une offre d'emploi argumentent que les considérations financières ont peu influé sur leur prise de décision. Des problèmes de « déqualification » professionnelle prononcée, de garde d'enfants ou d'accessibilité rendent principalement raison des justifications avancées pour expliquer leur défection.

5Conclusion majeure donc : si elle se présente comme un mot d'ordre politiquement attractif, l'« activation » des politiques sociales (et des RMIstes singulièrement) apparaît de prime abord singulièrement limitée dans ses effets. Douée d'une puissance réformatrice dans un cadre où les allocataires seraient effectivement et consciemment pris dans des trappes à inactivité, cette mesure tombe semble-t-il assez à plat avec des RMIstes qui ne calculent pas ainsi que les économistes et décideurs politiques imaginent qu'ils le font. « Ces résultats, soulignent les auteurs, montrent que les mécanismes d'intéressement à la reprise d'emploi (conçues comme un remède aux trappes à inactivité) sont peu connus. Ils sont donc peu susceptibles d'influencer la recherche d'emploi des allocataires du RMI. Les raisons financières ne sont que très rarement un frein à la recherche d'emploi et n'empêchent pas dans la pratique l'occupation d'un emploi faiblement rémunéré. Le retour à l'emploi ne s'accompagne pas systématiquement d'un sentiment d'amélioration de la situation financière. Cela peut poser la question de la rationalité effective des bénéficiaires d'un minimum social, mais cela met surtout en évidence l'influence de facteurs autres que financiers dans leur appréciation, comme l'insertion sociale que procure la reprise d'emploi. » (p.184)

6Evidemment et quoique l'observation ne s'accompagne d'aucun jugement de valeurs chez les auteurs, le sociologue ne peut se satisfaire du déni de rationalité des allocataires du RMI auquel aboutissent bien des développements. Suivant ce schéma, les RMIstes sont bien sûr largement dédouanés des accusations qui pèsent assez fréquemment sur eux : profiteurs du système arc-boutés au maintien de leur intérêt bien compris, fainéants préférant le repos au travail, etc. Mais, pour expliquer qu'ils n'adoptent pas les règles de calcul que les modèles établissent a priori, c'est le défaut de rationalité qui est mis en avant. Si l'on échappe bien aux affres du raisonnement économétrique le plus étroit, on perd de la sorte la commune humanité du RMIste. Ce dernier semble en effet agir suivant des règles que la rationalité économique la plus élémentaire invalide.

7Entre le marteau de la maximisation sous contraintes et l'enclume de l'irrationalité, il y a place pour une prise en compte de la pluralité des rationalités propres aux homo sociologicus. Quelles que soient les qualités des diverses contributions réunies dans l'ouvrage, elles achoppent sur cet écueil : in fine, seule la grille de lecture coût/bénéfice est déployée pour rendre compte de la situation des RMIstes face à l'emploi.

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Notes

1 Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques du Ministère du travail, des relations sociales et de la solidarité.

2 Par exemple, « le constat majeur est celui du lien étroit entre RMI et chômage, manifeste dans le temps ou dans l'espace » (p.97).

3 Concepts qui ambitionnent de rendre compte des situations où la désutilité du travail est avérée. Il s'agit, pour les statisticiens, de repérer les effets de seuil, les configurations au sein desquelles les revenus générés par la reprise d'une activité professionnelle sont équivalents voire inférieurs à ceux obtenus par le biais de la protection sociale et de l'assistance réunies.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cédric Frétigné, « Michèle Lelievre, Emmanuelle Nauze-Fichet, RMI, l'état des lieux. 1988-2008 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 15 juin 2008, consulté le 09 février 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/617 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.617

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Rédacteur

Cédric Frétigné

Cédric Frétigné est maître de conférences en sciences de l'éducation à l'Université Paris-XII Val-de-Marne, et membre du laboratoire Genre, Travail et Mobilités (Université Paris-X Nanterre).

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