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Daniel Gaxie, Nicolas Hubé, Marine De Lassalle, Jay Rowell (dir.), L'Europe des Européens. Enquête comparative sur les perceptions de l'Europe

Cyril Jayet
L'Europe des Européens
Daniel Gaxie, Nicolas Hubé, Marine de Lassalle, Jay Rowell (dir.), L'Europe des Européens. Enquête comparative sur les perceptions de l'Europe, Paris, Économica, coll. « Etudes Politiques », 2011, 295 p., ISBN : 9782717859638.
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Texte intégral

1Cet ouvrage dirigé par Daniel Gaxie, Nicolas Hubé, Marine de Lassalle et Jay Rowell restitue les résultats du projet Concorde financé par l’Agence Nationale de la Recherche et dont l’objectif était « de comprendre et d’expliquer les attitudes des diverses catégories de citoyens à l’égard de l’Europe » au moyen de méthodes qualitatives, principalement d’entretiens. Portant initialement sur la France et l’Allemagne, avec respectivement 332 et 132 entretiens, le projet a été étendu par la suite par la réalisation d’entretiens en Pologne (n=100), en Italie (n=60) et en République Tchèque (n=44). La place laissée à la mise en lumière de différences entre ces pays est néanmoins très restreinte, la démarche étant d’abord généralisante : l’objectif est ainsi de décrire les différences d’attitudes ou de jugements à l’aide de typologies et de rapporter ces différences aux positions des enquêtés dans l’espace social. L’ouvrage contient quatre grandes parties rassemblant les contributions, la plupart cosignées, de 15 auteurs. La première partie porte sur les questions méthodologiques, la seconde présente différents types d’attitudes à l’égard de l’Europe et la troisième est consacrée aux « ressources » et « instruments » (catégories de pensées, connaissances, raisonnements…) mobilisés par les individus pour porter des jugements et exprimer des opinions sur l’Europe. Enfin, la dernière s’intéresse au point de vue de groupes spécifiques, comme les agriculteurs ou les classes populaires.

2L’ouvrage se présente très largement comme une critique de l’utilisation des Eurobaromètres (EB), vaste programme d’études quantitatives de l’opinion publique mené par la Direction générale Communication de la Commission Européenne (CE). Ces enquêtes sont notamment utilisées par une partie des publications académiques portant sur la construction européenne afin d’identifier les déterminants socioéconomiques du soutien à l’Union Européenne (UE), ce qui amène généralement à montrer que ce soutien croît avec le niveau de diplôme et varie très largement selon la nationalité ou les positionnements politiques. Aucun chapitre ne manquera de s’attaquer à ces travaux.

3Dans la première partie, intitulée « Méthode », Daniel Gaxie commence par présenter certains des résultats de ces travaux utilisant les EB et en développe une critique systématique. Parmi de nombreux arguments, il relève notamment que ces enquêtes produisent des artefacts en agrégeant des réponses formellement identiques mais impliquant des degrés d’information ou de conviction différents. Cette critique se retrouve dans le second chapitre dans lequel Philippe Aldrin analyse les biais internes aux EB, mettant par exemple en lumière l’ « irréalisme des sollicitations » ou l’alignement des instructions « sur la problématisation et le lexique des sondeurs et de leurs commanditaires ». Les artefacts ainsi construits contribuent selon lui à « naturaliser l’idée d’une opinion publique européenne ». Le troisième chapitre se propose de présenter les apports des méthodes qualitatives. Celles-ci doivent essentiellement permettre de mettre en lumière la diversité des attitudes à l’égard de l’Europe et de parvenir à une meilleure connaissance des perceptions et évaluations subjectives des enquêtés.

4La seconde partie commence par l’établissement d’une typologie des attitudes envers l’Europe. « L’implication synoptique », que l’on retrouve dans les « régions supérieures » de l’espace social, est ainsi caractérisée par la capacité à exprimer un point de vue d’ensemble et à se situer dans les débats politiques courants sur l’UE. Elle est opposée à une « évaluation à distance » et peu informée dans les « régions basses ». Un point de vue situé entre les deux se retrouve dans les « régions intermédiaires » (« implication générale restreinte »). Une « implication circonscrite » est distinguée dans les cas où l’Europe est « immédiatement identifiée à des interventions précises et familières de l’UE » comme chez les agriculteurs ou les restaurateurs. Ces attitudes peuvent être positives ou négatives, selon la satisfaction de l’enquêté dans son travail ou l’avantage qu’il tire de l’UE. Si cette typologie construite à partir des entretiens menés en France rend compte des différences d’attitudes dans l’ensemble des pays de l’enquête, on trouvera cependant quelques spécificités nationales détaillées dans trois courts sous-chapitres consacrés respectivement à l’Allemagne, l’Italie et la Pologne. Dans un chapitre plus général consacré à cette question des spécificités nationales, Dorota Dakowska et Jay Rowell affirment que s’il existe bien des représentations de l’Europe particulières à chaque pays, elles ne constituent néanmoins pas, dans chacun de ces pays, un cadre de pensée national, mais plutôt un répertoire de références disponibles.

5La troisième partie est consacrée aux « ressources » et « instruments » mobilisés par les individus pour porter des jugements et exprimer des points de vue sur l’Europe. Philippe Aldrin et Marine de Lassalle étudient ainsi la parole décentrée, situant son propos le plus souvent sur le plan général des problèmes sociopolitiques, la parole sociocentrée s’appuyant plus sur l’expérience personnelle et s’inscrivant dans une situation collective et la parole excentrée caractérisant ceux se considérant comme extérieurs aux affaires européennes. Dans le chapitre suivant, Patrick Lehingue prend pour objet les compétences nécessaires pour pouvoir s’exprimer sur l’Europe et notamment les relations entre compétences cognitives et compétences statutaires, ces dernières autorisant ou contraignant les individus à porter des jugements. Giuliano Bobba et al étudient ensuite la façon dont les citoyens s’informent sur l’Europe et dont ils réagissent à cette information. Ils notent par exemple que « les connaissances sur le fonctionnement institutionnel de l’Europe » sont « très lacunaires quel que soit le niveau d’instruction ou la catégorie socioprofessionnelle des personnes interrogées » ou que les enquêtés utilisent principalement les catégories de la vie quotidienne pour formuler leurs jugements, mobilisant ainsi des « bribes d’information », l’expérience personnelle et le « bon sens » ou la « sagesse populaire ».

6L’objectif de la quatrième partie est de mettre en lumière des « points de vue » de groupes spécifiques. Le premier chapitre de cette partie porte ainsi sur « des formes d’appropriation différenciées de l’Europe » chez plusieurs groupes sociaux, notamment des citoyens « politisés » disposant de capitaux scolaires et politiques importants, des agriculteurs et le monde des affaires. Le second chapitre porte sur les milieux populaires et le troisième est consacré au discours engagé sur l’Europe. Il s’appuie ainsi sur l’étude de courriers envoyés à la presse lors du débat sur le Traité Constitutionnelle Européen et sur l’analyse quantitative de données provenant d’un sondage réalisé par le site internet Touteleurope.eu, cette fois légitime puisque les enquêtés y ont répondu spontanément sur internet. Les auteurs confirment là encore les mêmes résultats : la diversité des attitudes, la plus ou moins grande généralité des opinions (plus synoptiques chez les lecteurs de Télérama…), le fait que le diplôme représente la variable la plus clivante, etc.

7En conclusion, Daniel Gaxie résume les résultats de l’enquête, principalement la description de la diversité des attitudes à l’égard de l’Europe, et, dans un geste final d’ouverture, en appelle à un croisement des méthodes de recherche. Les apports de l’ouvrage à un éventuel dialogue entre méthodes qualitatives et utilisation de sondages d’opinion restent néanmoins limités du fait de l’approche essentiellement offensive adoptée par les auteurs. Ils attaquent ainsi sur tous les fronts (épistémologique, méthodologique, sociologique et politique), cherchant à affaiblir l’adversaire mais sans dégager les limites spécifiques de l’utilisation des sondages que les méthodes qualitatives permettraient de dépasser. Au contraire, nombre de critiques qu’ils formulent à l’encontre des EB pourraient s’appliquer tout aussi bien aux méthodes qualitatives. Plusieurs s’appliquent sans doute à certains utilisateurs des EB, mais elles sont malheureusement présentées comme valant contre l’utilisation en elle-même de ces données ou de toutes données provenant de sondages. Les auteurs ne distinguent ainsi pas assez les critiques portant sur les données d’opinion de celles visant leur utilisation politique ou encore de celles ayant trait à leur mauvaise utilisation dans certains travaux académiques.

8Les résultats présentés confirment généralement la littérature existante et relèvent finalement pour une large part de raisonnements quantitatifs sans les chiffres. Les auteurs créent ainsi des catégories assez générales et étudient leurs relations ou corrélations avec le capital culturel et la position dans l’espace social. Le qualitatif n’apparaît ainsi malheureusement que comme une absence de systématisation ou de précision. Sans même évoquer des questions statistiques plus techniques concernant les corrélations rapportées, on ne sait pas non plus comment est conçu l’espace social, ce que sont concrètement les régions supérieures de cet espace ou ce qui autorise à la comparaison internationale de structures sociales différentes. Les auteurs ne font ainsi appel à aucune objectivation par une nomenclature, ce qui donne l’impression qu’ils ne font que s’appuyer sur l’évidence du savoir spontané concernant la hiérarchie sociale. La même remarque vaudrait tout aussi bien concernant le « capital culturel ».

9Enfin, la problématique uniquement descriptive, connaître les « vraies » attitudes des citoyens contre celles « produites » par les EB, reflète une absence de prise en compte de très nombreux débats académiques portant sur la construction européenne. Les auteurs s’inscrivent ainsi dans la critique d’une partie extrêmement limitée de la littérature, l’étude des déterminants du soutien à l’Union Européenne ou de l’opposition entre pro- et anti-européens, qu’ils assimilent de façon très contestable à l’essentiel des Études Européennes.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Cyril Jayet, « Daniel Gaxie, Nicolas Hubé, Marine De Lassalle, Jay Rowell (dir.), L'Europe des Européens. Enquête comparative sur les perceptions de l'Europe », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 16 août 2011, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/6102 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.6102

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Rédacteur

Cyril Jayet

Doctorant à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) et à l'Université Humboldt de Berlin.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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