Mikael Rask Madsen, La genèse de l’Europe des droits de l’Homme
Texte intégral
1« Le second âge des droits de l’homme ». C’est en ces termes que le professeur de droit et d’intégration européenne Mikael RaskMadsen présente la société européenne contemporaine. En effet, observe le professeur de l’université de Copenhague dans l’introduction de son récent ouvrage intitulé La genèse de l’Europe des droits de l’Homme. Enjeux juridiques et stratégie d’Etat paru aux presses universitaires de Strasbourg, « l’idée politique et juridique des droits de l’homme n’a jamais occupé une position aussi dominante depuis les mouvements pour la reconnaissance de droits inaliénables de l’Homme lors de la Révolution française ».
2Dans une perspective ouvertement sociologique, la recherche de l’universitaire porte sur ce qu’il appelle la « seconde révolution des droits de l’homme en Europe ». A cet égard, la Convention européenne des droits de l’homme de 1950 en est le symbole. L’adoption de ce texte fondateur de l’Europe des droits de l’homme a marqué, il est vrai, le commencement d’un processus européen sans précédent de transposition en droit positif du droit naturel relatif au droit de l’homme. Les implications de ce processus ont finalement été aussi imprévisibles que durables. Comme le note à ce propos le philosophe du droit Costas Douzinas, « pour la première fois de l’histoire, ces fictions non écrites, inaltérables, éternelles, d’essence divine ou rationnelles ont cessé d’être contestées. Elles ont acquis une force légale et bénéficient de la dignité du droit même s’il s’agit d’une forme souple de droit ».
3Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la promotion et la protection des droits de l’homme est devenue, d’une manière globale, le principe d’une nouvelle architecture juridique. Cela a également conduit à enrichir les droits de l’homme d’une dimension supplémentaire au niveau national : en effet, les droits sociaux et économiques se sont peu à peu imposés. Ces droits dits de la deuxième génération ont été institutionnalisés. Ils se sont incarnés dans la mise en place des Etats-providence européens. Le domaine des droits de l’homme s’est donc considérablement élargi et leur prestige ainsi que leur centralité se sont sensiblement accrus. « Si dieu est mort, merci au dieu du droit international » parait être devenu le credo de la nouvelle orthodoxie, laquelle considère les droits de l’homme comme la « valeur suprême ».
4C’est en mobilisant les outils de la sociologie juridique que Mikael Rask Madsen analyse cette révolution. Ainsi, le professeur de droit se focalise « sur le rôle et sur la position des juristes et du droit dans l’émergence des droits de l’homme en tant qu’espace social différencié et finalement en tant que champ émergent au sens bourdieusien ». Cette évolution, si poussée qu’elle prend souvent les atours d’une véritable révolution, a concerné pratiquement l’intégralité de toute l’Europe occidentale. Pourtant, même s’il prend en compte l’extrême diversité des traditions du continent européen en matière juridique, politique et culturelle, l’universitaire danois s’est borné à l’étude détaillée de la France, de la Grande-Bretagne et des pays scandinaves, i.e. du Danemark, de la Norvège et de la Suède.
5En l’espèce, il ne s’agit pas seulement d’opérer une comparaison entre ces différents pays. Transcendant le cadre des spécificités régionales et nationales, le travail de recherche de l’auteur vise à analyser l’étroite imbrication des scènes nationale et internationale. Mikael Rask Madsen entend en sus étudier l’impact de cette interdépendance sur la diffusion de l’idée des droits de l’homme depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est à partir de ce cadre transnational que le professeur de droit souhaite infine proposer une représentation et une analyse plus large des droits de l’homme en Europe de l’Ouest sur le fondement de ces cas emblématiques.
6Pour ce faire, Mikael Rask Madsenne recourt pas à « une forme d’approche neutre en termes de réseau », à la différence par exemple de Manuel Castells « dans sa conceptualisation de la société internationale et des échanges globaux ». Au lieu de cela, l’universitaire danois utilise la sociologie de Pierre Bourdieu : il la développe et l’étend au niveau international. Il se fonde en outre sur les enseignements de Christophe Charle sur l’Europe de l’entre-deux-guerres. Ainsi, la scène internationale est considérée comme le fruit de projections et de productions nationales concurrentes. Dans cette perspective, « l’Europe ne doit pas seulement être analysée sui generis, mais plutôt comme le terrain du croisement et du compromis entre les impérialismes nationaux, c’est-à-dire comme un champ d’interaction et de compétition entre les Etats ». L’auteur prend aussi en compte les recherches d’Yves Dezelay et de Bryant Garth sur l’interdépendance croissante entre les producteurs des droits de l’homme et leurs récepteurs dans le champ international. Au fil des pages, faisant montre d’une érudition tout azimut, le professeur de droit remet donc en cause les théories de la mondialisation comme facteur de convergence. Il suggère un modèle plus pluraliste, dans lequel les Etats jouent un rôle renouvelé.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-Paul Fourmont, « Mikael Rask Madsen, La genèse de l’Europe des droits de l’Homme », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 11 juillet 2011, consulté le 12 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/6006 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.6006
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