Régis Malet (dir.), « Former sous influence internationale. Circulation, emprunts et transferts », Recherche & Formation, n°65, 2010
Texte intégral
1Dans une note adressée fin décembre 2010 aux partis politiques, accompagnée d’une lettre ouverte aux deux ministres, diffusé en mars 2011, la Conférence des directeurs d’IUFM a contribué à la réflexion sur l’évolution de la formation des enseignants. L’examen de « l’impact social des nouveaux modèles de la formation » placé parmi les six enjeux prioritaires d’une formation adéquate amène les rédacteurs à déplorer le modèle de formation consécutif encore en vigueur en France. Si l’entrée dans le métier peut s’effectuer progressivement, le modèle français de formation induit un parcours d’études plus long où se chevauchent la préparation du concours de recrutement des enseignants et le cursus en Master.
2Ce décalage à propos de la formation initiale française des enseignants fait l’objet d’analyses dans le dernier numéro de Recherche et Formation intitulé « Former sous influence internationale : circulation, emprunts et transfert ». En préambule Régis Malet envisage les contenus de ce numéro, porteurs d’une investigation globalisante sur la problématique de la formation actuelle des enseignants en fonction des contextes internationaux. Situant la formation initiale et continue dans la perspective des politiques éducatives européennes et anglo saxonnes, le numéro pose que les curricula de formation des enseignants peuvent se fonder en partie sur l’universitarisation et la valorisation de la formation en situation de travail qui se constituent ainsi en critères d’harmonisation. Reste à savoir si l’on parvient à approcher plus finement la nature et le degré de cohérence ou de contraste de la formation enseignante vue sous un plan transnational.
3Il semble donc utile que les articles rassemblés dans le numéro entreprennent d’examiner des lignes de force des politiques éducatives au niveau international. Car il s’agit d’en mesurer les accommodements qui permettent de saisir la mondialisation des politiques en direction des enseignants comme il est mentionné « entre le global et le local ». Les contributions prennent ainsi en charge, selon l’angle d’attaque de chacun des auteurs, l’analyse des effets de l’influence internationale qu’elle soit de l’ordre de la diffusion, de l’appropriation et des transpositions des orientations politiques actés dans les curricula de formation des enseignants dans l’espace francophone.
4Les articles rassemblent ainsi des cartographies ancrées dans l’histoire de la formation des enseignants. Par exemple B. Cattonar informe sur l’impact de la conception de la professionnalité définie en lien avec des référentiels de politique éducative en communauté française de Belgique. Ce à quoi répond l’article de D. Périsset qui analyse au plus près les ambigüités relatives au concept de l’expertise professionnelle à partir des textes institutionnels orientant la formation dans les Hautes Écoles Pédagogiques suisses. Par ailleurs, l’entretien avec M. Tardif permet de retenir deux phénomènes significatifs tirés des influences des politiques internationales qui pèsent sur les formats nationaux de formation. D’abord la notion de praticien réflexif couvre largement les enjeux et les objectifs de formation des enseignants de la francophonie. Il s’avère ainsi que cette notion a pu facilement circuler internationalement relayée par les politiques nationales en tant que d’indice de professionnalisation. La notion de praticien réflexif acquiert alors les vertus paradoxales de neutraliser l’engagement sociopolitique pourtant constitutif des enjeux culturels de la formation des enseignants. Ensuite les formations élaborées en France et en Suisse montrent par leurs spécificités l’indépendance des politiques nationales qui déclinent a minima les formes discursives des politiques ou les « rhétoriques » à vocation transnationales. Notons un autre cas marquant d’influence rapporté dans l’article de C. Lessard. Celui de la Commission Parent au Québec qui a emprunté au modèle de formation anglo saxon la visée d’universitarisation de la formation initiale sans pouvoir préserver les articulations équilibrées entre les formations disciplinaires, pédagogiques et didactiques.
5Mais une fois inventoriée la cartographie des grandes tendances de la formation internationale, il s’agit de ne pas occulter leurs controverses sous jacentes. J. Crinon et E. Fersing rendent compte des zones de frictions des politiques de formation anglo saxonne voulant ramener la formation des enseignants et celle de leurs élèves au mode de l’« evidence based »qui stipule une formation pilotée par les preuves d’efficacité que se donne l’enseignant. Cette conception diffuse à partir des modèles référentiels de compétences qui conçoivent la qualité de l’enseignant comme la variable déterminante dans la réussite des élèves. Là encore l’ensemble des composantes socioculturelles des situations éducatives, comme l’effet établissement ou les rapports avec les pairs ne sont pas prises en compte. Voyant se dessiner une possible subordination de la spécificité professionnelle aux demandes institutionnelles, il est alors nécessaire selon les deux auteurs de théoriser davantage les situations éducatives et le métier d’enseignant grâce aux travaux de recherche en éducation, capables de donner une professionnalité à partir des programmes internationaux. Un paradigme possible en formation d’enseignants serait porté par « une pensée pédagogique » se faisant fort de clarifier la posture nécessaire aux enseignants. À savoir leur intention d’efficacité qui intègrerait de façon productive les contradictions des attentes institutionnelles mondiales.
6Venant après le dernier article sur l’évolution des paradigmes en formation des enseignants, l’intervention de J.Y. Rochex dans la partie Varia du numéro prolonge l’espace argumentatif des controverses. Elles se situent ici dans le contexte d’influence interne et non plus dans celui des demandes internationales des sociétés actuelles. C’est le versant recherche qui est analysé et particulièrement les approches cliniques de la recherche en éducation. Appuyant l’objectif de théorisation des situations éducatives, J.Y Rochex démêle « le brouillage épistémologique » qui repose sur des constats récurrents. Premièrement, il apparait que des travaux d’inspiration cliniques accumulent des descriptions illustratives d’étude de cas sans que l’on puisse envisager autre chose que des commentaires redondants. Ceux-ci n’éclairent en aucune sorte les résultats obtenus car ils ne sont pas étayés par la conceptualisation d’analyse de la situation éducative observée. Deuxièmement, en s’interrogeant sur les retombées de la description par approche clinique, il s’agit de distinguer les usages du dispositif et de l’intervention du clinicien. En co élaborant avec les sujets impliqués dans la situation analysée, le clinicien engage un processus de formation qui donne au praticien des ressources sur l’art de combiner sa propre régulation de réactions aux contraintes de la situation. Et ceci au plus près d’un métier qui se constitue en artisanat de l’ajustement et de la réactivité pertinente. Pour le chercheur en théorie clinique qui exploite ses données dans une temporalité différée et auprès de publics de pairs, il s’agit donc d’autre chose. Il s’emploie à confronter les résultats de l’analyse clinique aux concepts théoriques des autres chercheurs afin de réévaluer la pertinence épistémologique des résultats obtenus. On peut avancer que des constituants de la pensée pédagogique réclamée par J. Crinon et E. Fersing traitée également par J.P. Levain et J.P. Minary dans L’analyse de pratiques professionnelles en IUFM trouve là une modalité envisageable Le fait de construire le partage tout autant que les convergences des postures de l’enseignant en situation d’enseignement, du formateur qui peut se faire clinicien et du chercheur à qui incombe de construire un cadre commun et spécifique d’intelligibilité ; peut s’envisager sans que pour autant ne se hiérarchisent des postures institutionnelles plus valorisées les unes par rapport aux autres. Il est probable alors de récupérer la valeur socio culturelle pour l’affermissement d’une offre de formation locale sans reproduire les dérives de reproduction d’inégalités. Au final, il n’est pas surprenant de trouver dans le texte de J.Y. Rochex la variable socioculturelle indispensable à toute conception de la formation qui semblait manquer aux dires des commentateurs à l’approche globale des principales politiques éducatives passées ici en revue.
7Les responsabilités de la mise en œuvre de la formation se situent sans doute comme il a été dit dans ce numéro entre le local et le global. L’émergence d’une formation d’enseignants valorisée en s’actualisant grâce aux circulations, emprunts et transferts des postures des acteurs de la formation enseignante permettrait de favoriser la promotion de formes de travail dans les actions de formation qui prendraient en charge les responsabilités locales en clarifiant les enjeux internationaux.
Pour citer cet article
Référence électronique
Catherine Dupuy, « Régis Malet (dir.), « Former sous influence internationale. Circulation, emprunts et transferts », Recherche & Formation, n°65, 2010 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 juillet 2011, consulté le 05 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/5978 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.5978
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