Dominique Plihon, La monnaie et ses mécanismes
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1Usant de ses qualités de pédagogue, Dominique Plihon décrit très clairement des mécanismes monétaires trop souvent perçues comme très complexes par les non économistes. Il parvient à le faire, sans jamais manquer de rigueur et dans un format court, celui de la célèbre collection « Repères » de La Découverte (128 pages).
2Depuis Aristote, on a pris l’habitude de définir la monnaie suivant ses trois grandes fonctions : intermédiaire des échanges, unité de compte et réserve de valeur. Contrairement à la « fable du troc », la monnaie n’a pas été « inventée » pour résoudre les difficultés liées au troc (comme la double coïncidence des désirs/besoins). Dominique Plihon rappelle en effet que la monnaie a toujours existé, sous des formes diverses (coquillages, pierres etc…) mais reposant toujours sur la confiance de ses utilisateurs. Le premier chapitre revient sur l’évolution des formes de la monnaie, et en particulier le passage progressif de la monnaie métallique à la monnaie scripturale (qui représente aujourd’hui près de 90 % des moyens de paiement utilisés dans la zone euro). Dans ce chapitre, l’auteur présente les mécanismes de la création monétaire, et notamment le crédit bancaire, et analyse le rôle essentiel de la banque centrale qui gère et contrôle la masse monétaire en circulation dans une économie.
- 1 On doit cette expression à Jean Tirole (voir : Économie du bien commun, Paris, PUF, 2016).
3En tant que réserve de valeur, la monnaie peut être pensée comme une forme particulière de richesse. Ce sont les caractéristiques de cet « actif de patrimoine » que Dominique Plihon recense dans son deuxième chapitre. La monnaie est un actif parfaitement liquide (soit directement utilisable sur le marché des biens et services) dont la valeur peut cependant varier (en raison de l’inflation notamment). L’auteur s’intéresse alors aux comportements d’épargne des ménages et montre que, compte tenu de leur (nouvelle et plus grande) liquidité, les actifs financiers constitue une modalité de placement de plus en plus utilisée, ce qui participe à l’augmentation des risques engendrés par le financement de l’économie. On sait par exemple que la « montagne de liquidités »1 qui s’est déversée sur l’économie américaine à partir du début des années 2000 est une des explications de la crise de 2007-2008.
4Dans le troisième chapitre, Dominique Plihon montre comment la monnaie circule dans l’économie. L’auteur y rend compte d’une controverse théorique structurante dans la science économique : la question de la neutralité de la monnaie. Pour les classiques, la monnaie n’est qu’un « voile » jetée sur l’économie dans le sens où elle ne sert finalement qu’à favoriser l’échange de biens et services. La théorie quantitative de la monnaie, formulée une première fois par Irvin Fisher en 1911, reprend cette idée et la formalise pour conclure au fait que, sous certaines conditions, une hausse de la masse monétaire ne conduit qu’à une hausse de l’inflation. Autrement dit, il y aurait une séparation stricte entre la sphère monétaire et la sphère réelle d’une économie (celle de la croissance économique, du niveau de l’emploi…). Cette théorie est au cœur de l’approche monétariste développée dans les années 1970 notamment par Milton Friedman contre une autre approche, proposée par John M. Keynes dans les années 1930. Celui-ci systématise l’idée que la monnaie, loin d’être neutre, est un facteur de croissance économique, et souligne rôle moteur du crédit dans l’économie. La création monétaire serait nécessaire pour permettre aux acteurs économiques, en particulier les entreprises, de répondre à la demande globale qu’ils anticipent. Aussi, dans le quatrième chapitre, Dominique Plihon explique combien les banques et la monnaie se trouvent au cœur de la finance moderne (notamment par l’octroi des crédits). Avec la montée de la financiarisation de l’économie, les banques se sont ajoutées de nouvelles missions comme le conseil en épargne financière ou encore l’intermédiation de marché (elles achètent des titres financiers pour le compte de leurs clients). Mais elles ont aussi fait évoluer la nature de leur bilan qui, désormais est bien davantage composé d’actifs financiers. On comprend ici que la relation entre les banques et la finance est très étroite et que cela a considérablement accru les risques de déclenchement de crises financières…
5Le cinquième chapitre analyse d’ailleurs les caractéristiques de la globalisation financière qui s’est mise en place au début des années 1980 : il se constitue progressivement un marché unifié de l’argent à l’échelle internationale. De moins en moins « économie d’endettement » (s’appuyant sur le financement intermédié ou bancaire), comme c’était principalement le cas durant les Trente Glorieuses (1945-1973), l’économie est de plus en plus une « économie de marché financier » (reposant sur le financement direct). Le tournant politique intervient au début des années 1980 lorsque sont mis en place les « 3D » (désintermédiation, déréglementation et décloisonnement) dans les économies des pays développés à économie de marché. Les banques se sont parfaitement adaptées en se « réinventant », devenant notamment des « intermédiaires de marché », mais elles sont aussi, par-là, au cœur des risques de déclenchement des crises financières.
6Ces transformations et l’avènement du capitalisme financier ont profondément affecté la conduite de la politique monétaire par les banques centrales. Aussi, dans son dernier chapitre, Dominique Plihon entreprend d’analyser les différents objectifs et instruments que possèdent les autorités monétaires pour tenter d’influencer l’économie réelle. Alors que la principale mission des banques centrales se concentrait auparavant sur la maitrise de l’inflation (et, dans le cas de la FED, la banque centrale des États-Unis, sur l’obtention du plein-emploi), les grandes banques centrales ont désormais un mandat supplémentaire : celui de surveiller la stabilité financière. Par exemple, dans le cadre de l’Union bancaire, la Banque Centrale Européenne effectue des « stress tests » pour mesurer la résistance et la résilience des grandes banques de l’Union européenne en cas de crise financière : elle les place dans une situation (fictive) de devoir affronter un violent choc financier et fait ensuite ressortir les éventuels points de fragilité. Si une banque n’est pas en mesure d’absorber les effets d’une crise financière, la BCE lui demande de réajuster son bilan et/ou d’augmenter sa réserve de fonds propres.
7Bien que brève, la conclusion de l’auteur est tout à fait fondamentale puisqu’elle rappelle à juste titre que la monnaie n’intéresse pas que l’économie. Comprendre la monnaie suppose aussi de mobiliser l’ensemble des sciences sociales (histoire, sciences politiques, sociologie, anthropologie…). Il faut dire que la monnaie est un instrument de souveraineté et, comme l’affirment les économistes institutionnalistes (comme Michel Aglietta ou André Orléan), un vecteur important de lien social. L’expérience de l’euro le démontre parfaitement : s’il s’agit d’un pilier économique, la monnaie européenne renforce le sentiment d’appartenance des citoyens européens à une même communauté.
- 2 On pense notamment à Les pièges de la finance mondiale, Paris, Syros, 2000 et Collectif ATTAC & Bas (...)
8Cet ouvrage est parfait pour les élèves qui suivent la discipline Sciences économiques et sociales au lycée ou pour les étudiants qui débutent leur cursus universitaire en économie. En revanche, ceux qui possèdent déjà des connaissances n’apprendront pas grand-chose. On pourrait alors utilement les orienter vers les autres ouvrages de l’auteur2.
Notas
1 On doit cette expression à Jean Tirole (voir : Économie du bien commun, Paris, PUF, 2016).
2 On pense notamment à Les pièges de la finance mondiale, Paris, Syros, 2000 et Collectif ATTAC & Basta!, Le livre noir des banques, Paris, Les liens qui libères, 2015.
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Referencia electrónica
Éric Keslassy, « Dominique Plihon, La monnaie et ses mécanismes », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 20 enero 2023, consultado el 14 noviembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/59563 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.59563
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