Manel Benzerafa-Alilat, Danièle Lamarque & Gérald Orange (dir.), Encyclopédie du management public
Texte intégral
- 1 Parmi ces nombreuses publications on trouve notamment : Arthur Jatteau, Faire preuve par le chiffre (...)
- 2 À cet égard, l’encyclopédie souligne que le nouveau management public (NPM) souffrait de cette appr (...)
1Cette Encyclopédie du management public est une publication de l’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE), organisme rattaché au ministère de l’Économie et des Finances en charge d’assurer la promotion et le développement des compétences des agents publics, d’accompagner la transformation de l’action publique, de déployer des activités de recherche et de diffuser des savoirs. C’est dans le cadre de cette partie des missions que l’IGPDE publie des ouvrages, principalement de gestion publique et d’histoire économique1. Dans cette collection consacrée à la modernisation de l’action publique, l’entrée qui porte sur le terme « management public » semble s’imposer comme lecture préalable. Marcel Guenoun, enseignant chercheur, en apporte la définition qui éclaire la bonne compréhension des débats que synthétise cette encyclopédie : il s’agit d’une pratique ou d’un art qui « renvoie aux activités opérées par des acteurs individuels ou collectifs, publics ou privés, pour réaliser ou faire réaliser des actions et politiques publiques » (p. 435). Ce n’est donc pas une simple application des principes et concepts du management privé à des entités publiques2.
2Cette encyclopédie repose sur un travail réellement pluridisciplinaire et interdisciplinaire. De nombreux champs du savoir y sont mobilisés pour éclairer l’action publique : la sociologie, la science politique, la gestion, le management, la comptabilité, la finance, l’économie, le droit, les sciences de l’éducation… Cet effort de dialogue entre les savoirs, qui vise à établir les acquis et les perceptions de chaque discipline et à les confronter aux autres, fournit une richesse de points de vue remarquable. On peut aussi saluer la prise en considération des controverses scientifiques dans le domaine des sciences sociales, où cohabitent des points de vue réducteurs (le management n’a pas sa place pour piloter l’action publique voire en corrompt le fonctionnement d’un côté ; le management suffit pour gérer l’État et les collectivités de l’autre) et des constats pessimistes (impossibilité de trouver des solutions consensuelles, des méthodes efficaces, des principes d’action simples…). Une des grandes forces de cet ouvrage est de compiler les nombreux apports qui permettent d’expliquer et de comprendre les politiques publiques, depuis leur conception jusqu’à leurs résultats en passant par leur mise en œuvre. Bien sûr, le choix d’une présentation sous forme encyclopédique invite à une lecture non linéaire, afin d’éviter l’enchaînement des entrées. À cet égard, on peut regretter que certaines thématiques ne soient pas davantage mises en valeur dans l’organisation des contributions.
- 3 Il vient ainsi compléter les travaux de sciences politiques comme ceux de Patrick Hassenteufel, Soc (...)
3Dans une brève introduction, qui apparaît juste après une préface de Jean Arthuis, homme politique et ancien ministre de l’Économie et des Finances, cette dimension pluridisciplinaire est soulignée. Elle s’explique par le fait que, si le management public s’est affirmé comme un champ de connaissances à part entière, il puise en permanence dans l’ensemble des savoirs issus d’autres domaines. Ce n’est donc pas simplement l’analyse de la gestion des organisations publiques (choix des ressources et des compétences mobilisées pour atteindre des buts dans un contexte contraignant) mais bien une modalité d’analyse des politiques publiques dans leur ensemble qui s’ouvre avec le management public3. Dans sa contribution sur le concept, Marcel Guenoun évoque ainsi avec malice le fait que : « sans objet ni méthode propre, le management public pourrait revendiquer d’être une indiscipline, une inter-sous discipline, qui forge une culture générale théorique et méthodologique car les praticiens comme les chercheurs doivent se promener dans les différents champs du savoir » (p. 437).
4L’encyclopédie dans son ensemble fournit un guide de lecture à trois niveaux : on y découvre la diversité des courants de recherche et leurs apports dans la compréhension de l’action publique ; on apprécie la réflexion de fond sur la construction de cette discipline ; on obtient un éclairage simple et clair sur des concepts fondamentaux dont le sens ou les enjeux sont parfois mal compris. Ainsi chaque contribution, chaque notice est structurée de manière identique et socio-historique : des spécialistes y définissent et expliquent l’origine du terme retenu, en montrent le sous-bassement théorique, décrivent ses applications par les acteurs publics et s’efforcent de mettre en perspective ses usages par des comparaisons internationales. Chaque entrée comporte des références bibliographiques qui réunissent les travaux classiques, les recherches plus récentes et au-delà de la francophonie. Le tout est rédigé dans un langage agréable et accessible, tout à fait éclairant.
5En termes de contenu, à l’image du management en général, cet ouvrage réunit des contributions qui portent sur des instruments (plutôt orientés vers la pratique et la mise en œuvre) et des concepts (plutôt orientés vers la compréhension et l’analyse). Ainsi plusieurs entrées abordent des aspects techniques : Nathalie Commeiras et Véronique Achmet évoquent les enjeux de l’absentéisme dans la fonction publique, en particulier pour l’hôpital public ; Brice Malm décrit les spécificités de l’achat public avec des processus réglementaires contraignants ; Clément Lacouette-Fougère précise la notion d’impact et montre que nous sommes passés d’une approche balistique (mécanique et déterministe) à une vision plus complexe et qualitative ; Jean-Luc Pissaloux aborde l’inspection qui est passée d’un contrôle de la régularité à un processus plus riche avec des missions d’enquête, de formation ou de coopération internationale.
- 4 Démarche qui fait également l’objet de travaux de recherches sociologiques à l’image de : François (...)
- 5 Que l’on peut prolonger par les travaux de Corine Eyraud, Le capitalisme au cœur de l’État. Comptab (...)
- 6 Approche que l’on peut approfondir avec Mathieu Quet, Flux. Comment la pensée logistique gouverne l (...)
6L’encyclopédie traite aussi de nombreux outils à disposition des acteurs du management public. Danièle Lamarque se penche sur l’évaluation qui vise à « classer, juger, gérer et décider, comprendre et rendre compte » (p. 309) et dont les nombreuses modalités peuvent conduire à des analyses basées aussi bien sur la performance que sur la légitimité de l’action publique4. Sébastien Rocher étudie les normes comptables applicables au secteur public et à la comptabilité nationale en mettant en valeur l’importance du droit européen dans ce domaine5. Aurélien Rouquet insiste sur la place de la logistique dans le management public car la gestion des flux physiques est essentielle pour atteindre les objectifs fixés par des politiques publiques6. Manel Benzerafa-Alilat présente le tableau de bord, outil qui permet de réunir des indicateurs de manière cohérente afin de mesurer et maîtriser les performances d’une entité. Le tableau de bord s’est imposé comme outil incontournable du management public, sans pour autant s’avérer suffisant. Thibaut de Saint Pol précise quant à lui les caractéristiques de la statistique publique, que le développement du numérique a poussé à évoluer dans la mise à disposition et que les données privées viennent concurrencer.
7L’ouvrage réunit également des contributions méthodologiques. Plusieurs entrées sont consacrées à des pratiques, comme la rationalisation des choix budgétaires (RCB) que Jacques Spindler décrit dans une perspective historique pour montrer l’échec de cette importation d’une approche de gestion des coûts du privé dans le management public. L’analyse d’impact est traitée par Antoine Bozio, qui en présente l’objectif de recherche d’un lien causal entre une action et un résultat, et la distingue les démarches ex post et ex ante. Démarche d’anticipation exposée par Philippe Durance, la prospective est basée sur une exploration systématique de l’avenir pour éclairer la décision. D’autres méthodes font aussi l’objet d’une présentation synthétique : l’expérimentation, la qualité, les politiques fondées sur les preuves… Elles prennent tout leur sens quand on les combine aux notions théoriques et concepts spécifiques qui sont présents dans l’ouvrage. Ces savoirs sont parfois issus du management (hypocrisie organisationnelle, contingence, leadership) ou en sont proches (care management, organisation apprenante) mais relèvent aussi des autres disciplines mobilisées : souveraineté, légitimité, politique, financiarisation, gouvernance… Certains concepts classiques des politiques publiques sont par ailleurs clarifiés, qu’il s’agisse des usagers, du Parlement, du Préfet, de la haute fonction publique ou des Autorités administratives indépendantes notamment.
8De cette publication dense et d’une rigueur appréciable, on retient la mise en valeur de problématiques transversales fondamentales. On comprend ainsi que l’action publique a puisé dans le management public pour mieux prendre en considération les coûts des interventions et leur poids sur les finances publiques. L’existence d’une spécificité de la gestion publique est mise en tension en raison d’une hybridation de plus en plus forte entre l’État, les collectivités et les agents privés. Enfin, on constate des flux et des reflux dans l’évolution des concepts : l’objectif de modernisation semble permanent et justifie ces tâtonnements fréquents dans l’usage des outils ou des notions. Les raisons d’éviter la tentation du managérialisme sont exposées avec force : il convient de ne pas faire de l’utilité du management un simple postulat idéologique et de confronter les concepts aux faits dans une perspective historique et contextuelle.
Notes
1 Parmi ces nombreuses publications on trouve notamment : Arthur Jatteau, Faire preuve par le chiffre ? Le cas des expérimentations aléatoires en économie, Paris, IGPDE, 2020 ; compte rendu d’Ali Choukroun pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.49555. Cet ouvrage combine sociologie et économie pour étudier les apports aux sciences sociales des essais contrôlés randomisés inspirés de la recherche médicale.
2 À cet égard, l’encyclopédie souligne que le nouveau management public (NPM) souffrait de cette approche réductrice, soulignée dans Philippe Bezes, Réinventer l’État. Les réformes de l'administration française (1962-2008), PUF, 2009 ; compte rendu d’Igor Martinache pour Lectures :https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.765.
3 Il vient ainsi compléter les travaux de sciences politiques comme ceux de Patrick Hassenteufel, Sociologie politique : l'action publique, Armand Colin, 2008 ; compte rendu d’Elieth P. Eyebiyi pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.795.
4 Démarche qui fait également l’objet de travaux de recherches sociologiques à l’image de : François Vatin (dir.), Évaluer et valoriser. Une sociologie économique de la mesure, Presses universitaires du Mirail, 2009 ; compte rendu de Diane Rodet pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.857.
5 Que l’on peut prolonger par les travaux de Corine Eyraud, Le capitalisme au cœur de l’État. Comptabilité privée et action publique, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2013 ; compte rendu de Corinne Delmas pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.12689.
6 Approche que l’on peut approfondir avec Mathieu Quet, Flux. Comment la pensée logistique gouverne le monde, Paris, Zones, 2022 ; compte rendu de Dorian Debrand pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.55475.
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Référence électronique
Guillaume Arnould, « Manel Benzerafa-Alilat, Danièle Lamarque & Gérald Orange (dir.), Encyclopédie du management public », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 17 janvier 2023, consulté le 07 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/59529
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