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Marcel Maget, Remarques sur le village comme cadre de recherches anthropologiques

Matthias Fringant
Remarques sur le village comme cadre de recherches anthropologiques
Marcel Maget, Remarques sur le village comme cadre de recherches anthropologiques, Paris, Éditions de la Sorbonne, coll. « Tirés à part », 2022, 43 p., édité par Florence Weber, ISBN : 979-10-351-0788-8.
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Texte intégral

  • 1 Maget Marcel, « Remarques sur le village comme cadre de recherches anthropologiques », Bulletin de (...)

1La collection « Tirés à part » détourne la pratique savante du même nom, qui désigne l’envoi par un·e auteur·e d’un de ses articles, accompagné d’un mot en signe de reconnaissance envers son destinataire. En effet, l’objectif ici poursuivi est plutôt de remettre en circulation des textes parfois mal connus, en les dotant d’une courte introduction. Ce 22e opus de la collection « Tirés à part » remet ainsi en lumière un article de Marcel Maget, intitulé « Remarques sur le village comme cadre de recherches anthropologiques » (désormais « Remarques ») et publié pour la première fois par en 19551, présenté par Florence Weber.

2Né en 1909, Marcel Maget a été formé à la sociologie durkheimienne et a soutenu un mémoire de recherche sur l’Italie fasciste, sous la direction de Célestin Bouglé. Suite à sa rencontre avec Lucien Febvre, le jeune chercheur a travaillé à la collecte de faits folkloriques regroupés au sein de ce que l’on nommait alors l’atlas ethnographique. Entre 1938 et 1962, période marquée par l’Occupation et la fin de la guerre d’Algérie, Maget a occupé la fonction de conservateur-adjoint du Musée des arts et traditions populaires. Il a ensuite rejoint son ami Maxime Chastaing à l’Université de Dijon. Sous sa direction, il a soutenu une thèse de doctorat de psychologie sociale, discipline principale qu’il a enseignée jusqu’à la fin de sa carrière universitaire.

  • 2 Maget Marcel, Guide d’étude directe des comportements culturels, Paris, Civilisations du Sud, 1953.

3Au milieu des années 1950, lorsqu’il publie dans une revue assez mineure les « Remarques » qui accompagnent son Guide d’étude directe des comportements culturels2 (désormais Guide) paru un peu plus tôt, les sciences sociales françaises se trouvent mal en point. En particulier, la sociologie se réorganise suite à l’effondrement du durkheimisme au sein de diverses institutions, tandis que l’anthropologie se centre sur les recherches folklorisantes menées au Musée des arts et traditions populaires. En s’interrogeant dans ce court texte sur les manières dont le village peut constituer un cadre pour des recherches anthropologiques, Marcel Maget pose donc une question assez novatrice par rapport aux pratiques de recherche de l’époque. Dans les cinq sections qui composent le texte, l’anthropologue cherche en effet à cerner au mieux les propriétés essentielles du village, dans lequel « se trouve incluse la vie entière de la plupart de ses membres et dont les rapports avec le milieu ambiant sont plus facilement définissables à la faveur d’une discontinuité spatiale plus tranchée » (p. 20).

4Maget commence par détailler un ensemble de caractéristiques autorisant à parler de village. Il s’agit selon lui d’un territoire communal d’une superficie de 7,5 km2 à 33 km2, comprenant un domaine bâti et abritant une population résidente de 20 à 2 000 habitants, dont la densité varie entre 9 et 50 habitant·es au kilomètre carré. Cette population est homogène au plan des pratiques sociales, majoritairement tournées vers l’agriculture, comme à celui du niveau de formation scolaire, ce que traduit le sentiment partagé que « tout le monde se connaît ».

5Les modalités de la connaissance d’autrui, largement liées à la fréquentation d’une même école, sont ensuite abordées. C’est à ce stade que Marcel Maget introduit le concept d’interconnaissance, central dans le texte. Dans un village, chaque individu « se trouve au centre d’une étoile d’interconnaissance » (p. 32). Les habitant·es disposent les un·es sur les autres d’informations qui sont à la fois totales et symétriques, si bien que le village constitue un groupe d’« interconnaissance dispersante ». Au contraire, au sein d’une agglomération urbaine, les habitant·es ne possèdent mutuellement que des informations partielles et asymétriques. On parle alors d’« interconnaissance dispersée ».

6Après avoir rappelé la visée du texte, qui est de « souligner les traits principaux du village comme groupe d’interconnaissance dispersant et quelques conditions spécifiques dans lesquelles se présentent de nombreux problèmes » (p. 36), Maget expose un ensemble de travaux récents qui prennent en compte cette catégorie de groupes territoriaux. Il aborde aussi bien ceux des démographes Jean Sutter et Léon Tabah sur la notion d’isolat que ceux du sociologue Jean Stoetzel sur la ville de Paris, en passant par des réflexions sur la place de l’anthropologie dans les sciences sociales formulées par Claude Lévi-Strauss. C’est en effet à partir de cet ensemble foisonnant que l’anthropologue appelle de ses vœux en conclusion « un important travail de validation à opérer dans l’ensemble des agglomérations qui, à des degrés divers, se rapprochent de cette situation » (p. 42).

  • 3 Heilbron Johan, Issenhuth Pernelle, « Une recherche anamnestique, le Béarn », in Duval Julien, Heil (...)
  • 4 Bourdieu Pierre, Chamboredon Jean-Claude, Passeron Jean-Claude, Le métier de sociologue, Paris, EHE (...)
  • 5 Bourdieu Pierre, « Introduction » in Le bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn(...)
  • 6 Maget Marcel, « Remarques sur la village comme cadre de recherches anthropologiques », Cahiers d’éc (...)

7Par cette publication, Marcel Maget contribue donc à ouvrir une réflexion rigoureuse sur les conditions de validité de l’ethnographie en milieu rural, méthode alors largement étrangère à la pratique anthropologique française. Si la terminologie mise en place par l’anthropologue n’a pas bénéficié d’une large diffusion, ses problématiques et réflexions ont néanmoins connu jusqu’aujourd’hui une série d’usages aussi discrets qu’importants. Pendant l’été 1959, Marcel Maget et Pierre Bourdieu se sont rencontrés lors d’un colloque sur les peuples ruraux méditerranéens3. Le premier a rapidement adressé au second son Guide ainsi que ses « Remarques ». Ces textes ont suscité l’enthousiasme du jeune Bourdieu, qui en a fait deux types d’usages. D’une part, il a mis a profit les conseils du Guide pour l’enquête qu’il était en train de mener dans le Béarn. Puis, à partir de cette enquête ainsi que de celles menées en Algérie, il a réfléchi aux conditions de généralisation du concept d’interconnaissance. Au cours des décennies 1960 et 1970, les travaux de Maget ont circulé dans l’entourage de Bourdieu, comme en témoigne notamment la reproduction d’un extrait du Guide dans Le métier de sociologue4. À la fin de sa vie, Bourdieu décrivait ces textes comme un « formidable antidote hyperempiriste à la fascination qu’exercent alors les constructions structuralistes de Claude Lévi-Strauss »5. Vers la fin des années 1970 ou le début des années 1980, Florence Weber a à son tour rencontré Marcel Maget, alors qu’il était invité par Jean-Claude Chamboredon à présenter aux étudiant·es du diplôme d’études avancées de l’École des hautes études en sciences sociales et de l’École normale supérieure une partie de ses recherches passées. Comme Florence Weber l’explique dans sa courte introduction, cette rencontre a rapidement été suivie d’une correspondance puis de la republication des « Remarques »6 au sein d’un dossier consacré aux travaux de l’anthropologue en 1989. Cette réédition n’est pas parvenue à étendre les usages du concept d’interconnaissance, dont Florence Weber souligne cependant la portée heuristique pour des enquêtes portant sur des pratiques contemporaines (comme par exemple les usages d’Internet).

8Si l’on peut regretter la disparition au sein de la présente édition du résumé et de la bibliographie, accompagnant les versions précédentes, on ne peut en revanche que se réjouir de la remise en circulation de ce texte accompagné de la très riche introduction de Florence Weber. Comme l’explique justement cette dernière, ce texte « resté confidentiel, […] a pourtant joué un rôle clé dans la transmission de la méthode ethnographique en France » (p. 5). Espérons que cette publication contribue à établir le statut de ce texte, et puisse nourrir des recherches à propos d’une méthode qui, aussi pratiquée soit-elle dans les sciences sociales contemporaines françaises, est le produit d’une histoire spécifique qu’il semble utile de mieux connaître.

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Notes

1 Maget Marcel, « Remarques sur le village comme cadre de recherches anthropologiques », Bulletin de psychologie, vol. VIII, n° 7-8, avril 1955, p. 373-382.

2 Maget Marcel, Guide d’étude directe des comportements culturels, Paris, Civilisations du Sud, 1953.

3 Heilbron Johan, Issenhuth Pernelle, « Une recherche anamnestique, le Béarn », in Duval Julien, Heilbron Johan, Issenhuth Pernelle (dir.), Pierre Bourdieu et l’art de l’invention scientifique. Enquêter au Centre de sociologie européenne (1959-1969), Paris, Classiques Garnier, coll. « Bibliothèque des sciences sociales », 2022, p. 71-120 ; compte rendu de Cyprien Rousset pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.54970.

4 Bourdieu Pierre, Chamboredon Jean-Claude, Passeron Jean-Claude, Le métier de sociologue, Paris, EHESS, 2021 [1968] ; compte rendu de Gaspard Sénéchal pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.48814.

5 Bourdieu Pierre, « Introduction » in Le bal des célibataires. Crise de la société paysanne en Béarn, Paris, Le Seuil, coll. « Points Essais », 2002, p. 9-14.

6 Maget Marcel, « Remarques sur la village comme cadre de recherches anthropologiques », Cahiers d’économie et sociologie rurales, n° 11, 1989, p. 77-91.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Matthias Fringant, « Marcel Maget, Remarques sur le village comme cadre de recherches anthropologiques », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 janvier 2023, consulté le 14 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/59462 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.59462

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