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Fabien Cardoni, Michel Margairaz (dir.), L’État des finances publiques en France. Comprendre les dynamiques du long XXe siècle

Théo Régniez
L’État des finances publiques en France
Fabien Cardoni, Michel Margairaz (dir.), L’État des finances publiques en France. Comprendre les dynamiques du long XXe siècle, Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, coll. « Histoire économique et financière - XIXe-XXe », 2022, 294 p., ISBN : 978-2-11-162092-6.
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Texte intégral

1On a parfois pu parler d’un « retour de l’histoire économique » ces dernières années1, porté par le succès d’ouvrages d’histoire économique trouvant écho dans le débat public2, mais aussi par les crises économiques et financières qui invitent les économistes à prendre du recul sur leur manière de penser le fonctionnement de l’économie. La collection « Histoire économique et financière de la France »3 éditée par l’Institut de la gestion publique et du développement économique a activement contribué à bâtir un socle de connaissance solide et interdisciplinaire en traitant de sujets, notamment l’histoire des finances publiques au XXe siècle. Ainsi, l’IGPDE a déjà publié deux ouvrages réunissant juristes, historiens et politistes : les Finances publiques en temps de guerre (1914-1918)4, et L’invention de la gestion des finances publiques (1914-1967)5. Nouvelle pierre à l’édifice de cette collection, le présent ouvrage dirigé par Fabien Cardoni et Michel Margairaz porte explicitement sur L’État des finances publiques en France sur le long XXe siècle avec l’ambition d’en proposer une « vue d’ensemble » (p. 4).

  • 6 On pense ici bien évidemment au programme de recherche dessiné par Alain Desrosières dans Desrosièr (...)

2Le livre s’ouvre sur une première partie qui fait office de cadrage du sujet. Le chapitre de Michel Margairaz propose ainsi une synthèse qui structure le « long » XXe siècle (1880-2019) en trois périodes. Si, dans un premier temps (1880-1944), la dépense publique s’oriente vers la défense du régime républicain, les années d’après-guerre sont marquées par le financement public de l’économie. L’auteur justifie une telle explosion de la dépense publique à destination de l’économie par un contexte alliant, entre autres, la requalification de l’État démocratique et social et une volonté sociopolitique transpartisane qui peut s’appuyer sur l’aide économique des États-Unis. En effet, comme le rappellent Gérard Bossuat et Laurent Warlouzet dans le chapitre qu’ils consacrent aux « dynamiques des finances publiques et construction européenne en France après 1945 », la France refusant de se financer par création monétaire par peur de l’hyper-inflation, elle se retrouve alors « sous dépendance [américaine] dans le domaine économique et civil » (p. 183). L’apparition du chômage de masse dans les années 1970, la fin d’une période de forte croissance du PIB, et un freinage délibéré de la dépense publique « comme moyen d’éviter les déséquilibres extérieurs » caractérisent la dernière période (1976-2019) proposée par l’auteur. Le second chapitre, rédigé par Laure Quennouëlle-Corre, complète cette analyse en prenant l’angle de la dette publique. Le texte est très riche en données mais l’opacité des politiques de la dette ne permet cependant pas, comme le précise l’auteure, de rentrer dans le détail des rapports de force qui dictent les fluctuations de la dette et de ses composantes. Finalement, cette première partie offre une très bonne synthèse descriptive de l’évolution des finances publiques en France au fil du XXe siècle et facilite incontestablement la compréhension des approches thématiques qui suivent. Le lecteur a tout intérêt à lire ces deux chapitres de synthèse, extrêmement documentés, en gardant en tête celui que Béatrice Touchelay consacre aux « Statistiques publiques et finances publiques », dans lequel elle s’attache à « décrire le combat acharné que livrent SGF [Statistique générale de la France] puis l’INSEE contre [le ministère des] Finances, pour imposer leur expertise et faire valoir leur légitimité de producteur d’informations économiques au service de la décision politique » (p. 126). Se trouve ici illustrée la « portée civique » souhaitée par Fabien Cardoni et Michel Margairaz dans leur propos introductif. Il s’agit tout autant de donner à voir l’évolution des finances publiques par ses chiffres que de rendre compte de la contingence de ces derniers et des difficultés propres à la production de statistiques, d’autant plus dans l’analyse de séries longues d’un siècle. On pourrait alors regretter la relative absence de dialogue avec les approches socio-historiques de la quantification6, pourtant parfaitement adaptées à un objet comme les finances publiques qui, comme le rappellent eux-mêmes les directeurs de l’ouvrage en conclusion, « ne sont jamais déconnectées des phénomènes sociaux, économiques ou encore politiques de leur époque » (p. 256).

3Les deux chapitres revenant sur les lois de finance en sont d’ailleurs un parfait exemple. Rémi Pellet revient sur les différentes configurations qui entourent l’élaboration du budget au fil du XXe siècle. Se pensant initialement comme « pleinement législateur en matière financière », le Parlement voit son pouvoir décroître dans les années 1930 avec la multiplication des décrets-lois. Le retour après-guerre des discussions sur l’importance d’un débat parlementaire sur le budget contraste avec la mise en place de l’ordonnance de 1959 qui renforce le pouvoir de l’exécutif. La lecture de ce chapitre convainc alors de l’intérêt d’une étude conjointe de « l’évolution de la démocratie parlementaire » et de « l’évolution du droit financier français » (p. 99). Les outils et leurs échelles ont eux aussi évolué, comme le rappelle Fabien Cardoni dans son chapitre. L’affaiblissement du législatif en matière budgétaire passe aussi par de nouveaux instruments et, dès 1958, « les lois de programmes renforcent l’arsenal financier du pouvoir exécutif » (p. 114). Sans pour autant nier l’importance des chiffres indiqués dans ces différentes lois de programmes, Cardoni interroge la capacité de ce dispositif à perdurer malgré des objectifs financiers rarement atteints. Si les chiffres sont un outil de communication politique et si la programmation témoigne d’une tendance à la quantification, l’auteur conclut que « la programmation reste largement utilisée car elle n’oblige rien » (p. 124). De tels développements mériteraient certainement d’être complétés par une analyse du rôle de l’Union européenne dans le développement de logiques de programmation. Depuis 2013, et dans le cadre du Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG), les États membres l’doivent instaurer une « institution budgétaire indépendante ». Une telle contrainte laisse pressentir le rôle qu’a pu jouer la construction européenne dans l’évolution des finances publiques en France. Que penser notamment de la mise en place, en réponse à cette obligation européenne, d’un Haut Conseil des finances publiques qui doit être saisi pour avis dans le cadre des différentes procédures budgétaires ? Ce point est relativement peu traité dans le chapitre de Gérard Bossuat et Laurent Warlouzet sur la construction européenne, lequel insiste plutôt sur la question de l’union monétaire puis sur la problématique plus récente de l’union bancaire.

  • 7 On trouvera une bonne présentation de cette complexité dans le récent dossier : « Les deux sous de (...)

4Les deux derniers chapitres apportent un regard plus sectoriel à l’analyse de la dynamique des finances publiques. Le choix est fait de présenter deux cas très différents. S’intéressant au premier poste budgétaire de l’État, Clémence Cardon-Quint revient sur la place accordée à l’Éducation nationale dans les dépenses publiques. Les chiffres se font moins nombreux que dans les autres chapitres, au profit d’une approche « au niveau des acteurs » qui rend compte des « instruments dont ils se sont dotés, avec plus ou moins de succès pour décrire, orienter et contrôler cette dynamique des dépenses » (p. 223). L’autrice insiste par exemple sur les spécificités du budget de l’Éducation nationale, dans lequel le poids du traitement des personnels fait l’objet de frictions avec le ministère de l’Économie et des Finances. Moins bien doté financièrement, le secteur de la culture est au centre du chapitre de Jean-François Chougnet. Là encore, ce sont moins les chiffres qui sont éloquents que les nombreuses citations d’acteurs, rendant particulièrement palpable la frustration d’un ministère qui peine à émerger et à atteindre son objectif de se voir allouer 1% du budget de l’État. Un autre point fort de ce texte réside dans le niveau de détail du propos, intégrant toute la complexité du monde de la culture et de ses financements7. Une telle approche permet par exemple d’insister sur les spécificités économiques et financières du cinéma. Ces deux chapitres portant sur deux ministères bien différents, au moins par les budgets qui leurs sont alloués, ont pour point commun une analyse multiscalaire qui intègre les relations entre les collectivités territoriales et l’État dans le cadre de l’allocation et la circulation des finances publiques.

  • 8 « Scientifiquement parlant, il n’est d’histoire sociale que quantitative ». Daumard Adeline et Fure (...)

5Très complet sur les mécanismes de dépenses publiques, cet ouvrage n’évoque qu’insuffisamment la question des recettes de l’État. Conscients de cette limite, Fabien Cardoni et Michel Margairaz annoncent en conclusion un second tome qui insistera plus longuement sur cette dimension. Adoptant une posture réflexive sur la valeur des données quantifiées utilisées, ils rappellent par ailleurs une des difficultés majeures de l’histoire économique dans sa forme quantitative : « Les chercheurs d’aujourd’hui construisent et raisonnent sur des ratios qui n’existaient pas à l’époque étudiée » (p. 255). Autrement dit, loin d’affirmer que, scientifiquement parlant, il n’est d’histoire économique que quantitative, pour paraphraser Daumard et Furet8, ce livre est la preuve qu’un bon usage de la quantification associé à des données plus qualitatives offre une lecture stimulante de l’histoire économique et, en particulier ici, de la dynamique des finances publiques au XXe siècle.

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Notes

1 Calafat Guillaume et Monnet Éric, « Le retour de l’histoire économique ? », La vie des idées, 5 janvier 2016, en ligne : https://laviedesidees.fr/Le-retour-de-l-histoire-economique.html.

2 On peut penser au livre de Thomas Piketty, Le capital au XXIe qui, dans sa version anglaise, a occupé plusieurs mois une place dans la liste des meilleures ventes du New York Times. Sur les raisons et conséquences d’un tel succès, voir Brissaud Constantin et Chahsiche Jean-Michel, « How to become an international intellectual? Thomas Piketty and The Capital in the 21st century », Sociologica. Italian Journal of Sociology, vol. 27, n° 1, 2018.

3 https://www.economie.gouv.fr/igpde-editions-publications/edition-et-publication-en-histoire-economique.

4 Descamps Florence et Quennouëlle-Corre Laure (dir.). Finances publiques en temps de guerre, 1914-1918. Déstabilisation et recomposition des pouvoirs, Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, 2016.

5 Bezes Philippe, Descamps Florence, Kott Sébastien et Lucile Tallineau (dir.), L’invention de la gestion des finances publiques. Élaborations et pratiques du droit budgétaire et comptable au XIXe siècle (1815-1914), Paris, Institut de la gestion publique et du développement économique, 2010.

6 On pense ici bien évidemment au programme de recherche dessiné par Alain Desrosières dans Desrosières Alain, Pour une sociologie historique de la quantification. L’Argument statistique I, Paris, Presses des Mines, 2008.

7 On trouvera une bonne présentation de cette complexité dans le récent dossier : « Les deux sous de la culture. Financer le secteur culturel », Regards croisés sur l’économie, n° 30-31, 2022, disponible en ligne : https://0-www-cairn-info.catalogue.libraries.london.ac.uk/revue-regards-croises-sur-l-economie-2022-1.htm.

8 « Scientifiquement parlant, il n’est d’histoire sociale que quantitative ». Daumard Adeline et Furet François, « Méthodes de l’histoire sociale : les archives notariales et la mécanographie », Annales : Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 14, n° 4, p. 676-693.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Théo Régniez, « Fabien Cardoni, Michel Margairaz (dir.), L’État des finances publiques en France. Comprendre les dynamiques du long XXe siècle », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 10 janvier 2023, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/59438

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