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Marie Buscatto, Femmes du jazz. Musicalités, féminités, marginalités

Rémi Deslyper
Femmes du jazz
Marie Buscatto, Femmes du jazz. Musicalités, féminités, marginalités, CNRS, 2007, 222 p., @ean : 9782271065117.
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1A travers cette étude, Marie Buscatto se propose d'expliquer la situation particulière des femmes dans le monde du jazz français. Le constat est en effet sans appel : alors que les femmes se montrent relativement peu présentes dans le milieu (seulement 8% des musiciens de jazz sont des musiciennes), celles-ci sont victimes d'une double ségrégation. Ségrégation horizontale tout d'abord, qui les situe dans des emplois « féminins » (si 4% des instrumentistes sont des femmes, elles sont 65% à être chanteuses), mais aussi une ségrégation verticale qui limite leur accès aux positions les plus élevées de la hiérarchie des emplois et les empêche de vivre exclusivement de leur art. Cette situation, déjà suffisamment intéressante en soi, se révèle encore plus intrigante quand on apprend que le monde du jazz est non seulement pleinement conscient de cette réalité mais plus encore, qu'il la déplore et affiche une volonté de féminisation du milieu. Comment alors expliquer cette situation ? La simplicité apparente de la question ne doit pourtant pas masquer la richesse de l'analyse.

2Le travail d'enquête a en effet consisté en une immersion de longue durée (neuf ans) dans le monde du jazz français, d'une série de 46 entretiens et d'une analyse régulière de la presse spécialisée depuis 2001. Ce matériau permet à l'auteure d'investir son terrain sous différents angles. Ainsi, l'intérêt porté aux trajectoires professionnelles des musiciens et musiciennes interrogés est complété par une observation fine des interactions du quotidien de ces mêmes musiciens. Après avoir brièvement présenté, au cours du premier chapitre, les difficultés à s'insérer et à se maintenir, hommes et femmes confondus, dans un monde du jazz saturé et hiérarchisé, l'ouvrage se découpe en deux grandes parties traitant séparément du cas des chanteuses et des instrumentistes. Cette distinction se justifie par le fait que ces deux catégories de musiciennes n'ont pas à faire aux mêmes difficultés même si toutes deux luttent pour leur reconnaissance dans un monde très masculin.

3Si l'histoire du jazz reste marquée par quelques chanteuses emblématiques (d'Ella Fitzgerald à Diana Krall...) dont les critiques font régulièrement l'apologie, la réalité quotidienne des chanteuses françaises de jazz les relègue souvent aux positions les plus dévalorisées du milieu. La sociologue pointe trois processus sociaux explicatifs de cette hiérarchie musicale. Tout d'abord (chapitre 2), chanteuses et instrumentistes ne partagent pas les mêmes conceptions de la musique. Les premières privilégient l'interprétation là où les seconds placent la composition et la virtuosité au sommet de leur hiérarchie des valeurs. Cette différenciation s'accompagne d'une hiérarchisation qui se fait à la défaveur des chanteuses, le jazz vocal étant alors considéré comme « commercial » par opposition au « vrai » jazz défendu par les instrumentistes. Le deuxième facteur (chapitre 3) relève de la domination des conventions musicales, sociales et langagières masculines dans le monde du jazz. Pour être respectables, les chanteuses doivent se comporter « comme des hommes » (savoir s'imposer, adopter un langage formel...), or nombre d'entres elles se montrent mal à l'aise avec ce type de comportements. Enfin (chapitres 4 et 5), la performance de la chanteuse n'est pas reconnue comme le produit d'un travail au même titre que la pratique instrumentale. Leur voix et leur corps sont perçues comme des attributs « naturels » de la féminité faisant ainsi de la chanteuse une collègue moins légitime qu'un homme. L'observation des jams vocales amatrices (chapitre 6) illustre très bien le poids des trois processus évoqués plus haut. Sans la présence des hommes, les chanteuses développent une autre approche de la pratique, plus en phase avec leur conception de l'activité musicale.

4Mais, aussi rares soient-elles, le monde du jazz compte tout de même quelques femmes instrumentistes. Cette difficulté à s'insérer dans ce monde de l'art musical tient au fait que, pour intégrer le milieu, les femmes instrumentistes font l'objet d'une sur-dotation musicale, les femmes ont généralement poursuivie des études musicales plus poussées que les hommes, et/ou familiale, un membre de la famille se montre souvent plus ou moins proche du milieu. Une certaine faculté d'adaptation à un monde « masculin » se révèle aussi nécessaire (chapitre 7). Mais passé ce premier temps de l'insertion, relativement rapide pour ces jeunes femmes « très bien dotées », la difficulté consiste à se maintenir au sein de cet univers. Les chapitres 8 et 9 s'attachent à décrire cette difficulté. Rarement intégrées à un réseau professionnel stable, les femmes se montrent souvent dépendantes du réseau de leur conjoint. De plus, la tension entre vie personnelle et vie professionnelle se fait particulièrement forte pour ces femmes qui, contrairement à leurs homologues masculins, ne bénéficient pas d'un « conjoint-époux » leur permettant de se consacrer exclusivement à leur art. Enfin, avec le dernier chapitre, l'auteure évoque l'obligation pour ces femmes de se positionner quant à leur féminité. Qu'elles la rejettent ou l'affirment, on a bien là à faire à une particularité « féminine » qui n'est pas sans incidence sur leur carrière professionnelle.

5A travers cette enquête, Marie Buscatto décrit parfaitement comment le fonctionnement interne du monde du jazz français, indépendamment de toute volonté d'exclusion, tend à fermer son accès aux femmes. C'est peut être justement ce regard trop centré sur le monde étudié, et sur le clivage sexué qui le traverse, qui constitue la principale limite de ce travail. La question de la socialisation scolaire ou familiale des musiciens n'est que très brièvement évoquée (pp. 136-139, chapitre 7) alors qu'elle semble pourtant constituer un des facteurs de différenciation majeur entre hommes et femmes. En fait, les chanteuses et instrumentistes interrogées ne sont appréhendées qu'à travers leur appartenance de genre et leur pratique musicale, mais qui sont, socialement parlant (origine sociale, niveau de diplômes...), ces femmes de jazz ? La question mériterait d'être posée car elle pourrait se révéler éclairante pour la compréhension du phénomène étudié. Dans le même ordre d'idée, la nature même du questionnement (pourquoi le monde du jazz compte t'il aussi peu de femmes ?) nécessiterait, il nous semble, de porter un regard en amont du monde du jazz pour se pencher sur le processus de constitution d'un goût pour cette pratique musical. Autrement dit, si l'ouvrage nous démontre bien que le monde du jazz français contribue, par son mode de fonctionnement, à tenir à distance la gente féminine, à aucun moment il n'est envisagé que le faible taux de jazzwomen trouve peut être aussi son origine dans le fait que peu de femmes développent un intérêt pour ce type de pratique musicale. Une telle approche compléterait avantageusement le travail déjà réalisé.

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Referencia electrónica

Rémi Deslyper, « Marie Buscatto, Femmes du jazz. Musicalités, féminités, marginalités », Lectures [En línea], Reseñas, Publicado el 30 marzo 2008, consultado el 04 diciembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/573 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.573

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Redactor

Rémi Deslyper

Doctorant en sociologie à l'Université Lumière Lyon 2 sous la direction de Sylvia Faure (GRS).

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