Nicolas Bédu, Fabien Foureault et Jean-Étienne Palard, Le private equity
Texte intégral
1Depuis la grave crise de 2007-2008, la finance a mauvaise presse. Pourtant, la première mission du système financier est éminemment vertueuse : mettre en relation les agents économiques qui disposent de capacités de financement (grâce à leur épargne) et les agents économiques qui ont besoin de financement. De façon structurelle, les entreprises sont en quête de fonds pour investir. Elles peuvent alors s’adresser aux banques mais le modèle de financement bancaire est à la fois rigide et couteux. Les entreprises ont aussi la possibilité de trouver des fonds directement sur les marchés financiers en émettant des titres ; outre l’incertitude inhérente aux marchés financiers, cette modalité de financement reste peu accessible pour les petites et moyennes entreprises (PME). Les fonds de private equity (ou capital-investissement), auxquels cet ouvrage est consacré, apparaissent alors comme l’une des alternatives envisageables : ils investissent en fonds propres (equity) dans des entreprises le plus souvent non cotées (private) ayant d’importants besoins de financement. Il s’agit donc bien d’une nouvelle solution de financement pour les entreprises, en particulier les start-up et les PME, envisagées à fort potentiel de croissance économique. Les gestionnaires des fonds de private equity apportent également une expertise aux entreprises dans lesquelles ils investissent, intervenant auprès des dirigeants pour encadrer leurs décisions afin de favoriser la croissance des actifs. Depuis le début des années 1980, le private equity ne cesse de ne se développer, au point que les fonds qui le composent sont désormais devenus des acteurs clés du système financier mondial.
2Chiffres à l’appui, le premier chapitre révèle que les fonds de private equity ont acquis un poids économique conséquent : entre 2010 et 2020, la croissance moyenne des actifs sous gestion dans le private equity (10,7 % en moyenne chaque année sur la période) a été presque deux fois plus rapide que celle de l’ensemble des actifs (5,9 %). Les auteurs montrent cependant que ces données moyennes masquent un paysage complexe et morcelé, aux performances financières contrastées : ainsi, le capital-développement (intervention du private equity dans une entreprise en pleine maturité) engendre une rentabilité moyenne deux fois moins élevée que le capital transmission (les entreprises sont au dernier stade de leur développement).
3Le deuxième chapitre montre que les fonds de private equity interviennent généralement selon un processus qui se déroule en quatre étapes : tout d’abord, il faut commencer par la levée des capitaux auprès des investisseurs ; ensuite, la détection des cibles et des modalités d’intervention au capital est un passage obligé ; l’accompagnement des dirigeants dans la stratégie et la gouvernance des entreprises au cours de leur développement apparait comme la troisième étape ; enfin, au bout du processus, il convient de déterminer le choix de mode de sortie et la distribution des plus-values aux investisseurs.
4Le troisième chapitre de l’ouvrage est très original puisqu’il vise à démontrer que le private equity est encastré dans la société dont il dépend tant pour son existence que pour son développement. En faisant cet effort de contextualisation sociale, on comprend immédiatement pourquoi ces fonds sont nés dans le capitalisme libéral des États-Unis, soit un environnement économique et social qui a institutionnalisé le pouvoir des actionnaires. Cet « encastrement » dans la société explique également pourquoi les fonds de private equity peuvent épouser des particularités locales dans le cadre d’un capitalisme davantage coordonnée (comme en Europe). Dans cette perspective, les auteurs reviennent notamment sur le cas français : les « capitalistes financiers » naviguant dans le private equity sont souvent issus des grandes écoles de commerce (par exemple, en 2007, une chaire private equity a été créée en 2007 par l’ESSEC). Ils y apprennent les savoirs de l’économie financière et les finesses de la théorie de l’agence (qui traite des coûts engendrés par les actes de délégation, dans lesquels un mandant – le principal – s’expose à l’opportunisme d’un mandataire – l’agent – entrainant des inefficiences).
5Enfin, le quatrième et dernier chapitre analyse l’impact économique et social du private equity. Et force est de constater que le bilan est contrasté. Si l’incapacité des banques et des marchés financiers à assurer le flux de financement nécessaire à toutes les entreprises justifie le développement de l’industrie du private equity, il convient de ne pas négliger les enjeux économiques, sociaux et financiers qu’impose son développement. En participant à la financiarisation de l’économie, elle alimente en effet très directement un capitalisme financier déjà très important et reconnu comme instable. Les fonds de private equity relèvent d’ailleurs du shadow banking, cette partie du système financier mondial qui échappe globalement à la réglementation financière (contrairement aux intermédiaires financiers traditionnels que sont les banques). Par conséquent, ils renforcent mécaniquement le risque d’apparition d’une crise systémique, ce qui viendrait à nouveau affaiblir le capitalisme mondial. Il ne s’agit pas seulement de faire de « l’économie-fiction » : il est solidement établi que le private equity a joué un rôle dans l’importance de la crise de 2007-2008, soit la dernière crise systémique issue du monde de la finance.
6Exhaustif dans son approche, l’ouvrage de Nicolas Bédu, Fabien Foureault et Jean-Étienne Palard peut se révéler assez « technique » par endroits.
Pour citer cet article
Référence électronique
Éric Keslassy, « Nicolas Bédu, Fabien Foureault et Jean-Étienne Palard, Le private equity », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 22 juillet 2022, consulté le 03 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/57397 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.57397
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page