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Anne Lehmans, Éric Letonturier (dir.), « Confiance et communication. Une aporie démocratique », Hermès, La Revue, n° 88, 2021

Nicolas Bina
Confiance et communication
Anne Lehmans, Éric Letonturier (dir.), « Confiance et communication. Une aporie démocratique », Hermès, La Revue, n° 88, 2021, 358 p., Paris, CNRS, ISBN : 9782271138996.
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Texte intégral

1En dénouant les imbrications nombreuses qui lient la confiance et la communication, les auteur∙es tentent d’éclairer le sens de ces notions, avec le concours d’une cinquantaine d’acteurs∙rices, de chercheur∙es et d’observateur∙rices politiques. Décliné en trois parties (définir la confiance, appréhender la défiance, agir sur la confiance), l’ensemble contribue à une lecture intrinsèquement pluridisciplinaires de ces notions, élevées au rang de valeurs. La confiance et la communication « ne peuvent être séparées [bien que] tout pousse à cette dissociation dans un milieu ouvert où tout circule » (Dominique Wolton, p. 11). Que désignent-elles réellement ?

  • 1 La formule de Niklas Luhmann décrit la capacité de la confiance à libérer un individu d’une quantit (...)

2L’ensemble des contributions notent le caractère relationnel de la confiance, décrite à la fois comme un « mécanisme de réduction de la complexité sociale »1 et comme un outil de « mise en œuvre des relations » entre les individus : « On peut avancer que des conceptions de la confiance font partie du patrimoine de l’humanité et qu’en ce sens une forme de précompréhension […] en soit possible » (Patrick Watier, p. 53) La confiance serait ainsi une prénotion innée. Patrick Watier élargit la possibilité d’entretenir une relation de confiance « avec des institutions, des organisations, des systèmes politiques, des moyens d’informations » (p. 54). C’est-à-dire que l’expérience de la confiance n’est pas seulement vécue par des personnes physiques mais peut être transposée de manière désincarnée « envers des mécanismes et procédures à la fois impersonnels et bénéfiques au développement » de chacun, précise Joëlle Zask, en citant par exemple les droits et les « lois constitutives de la démocratie libérale » (p. 97).

3Le cœur de l’ouvrage, consacré à des lectures thématiques de la confiance et de la communication, revêt un intérêt particulier. L’observation de la communication externe des préfectures durant la crise sanitaire permet de comprendre comment l’État vise à « acquérir la confiance de l’opinion publique et des élus en vue de faire appliquer des mesures sanitaires » (Hélène Defleur, p. 134). L’analyse des commentaires d’une interview du porte-parole du gouvernement sur une chaîne Youtube illustre la difficulté des gouvernants à interagir « directement avec les citoyens sur les réseaux sociaux numériques » (Nadia Hassani, p. 144). L’étude de la communication sur la présence du loup dans les parcs nationaux témoigne de la difficulté de concilier les points de vue des différentes parties dans une expression unique… au risque d’entretenir la défiance (Mikaël Chambru et Coralie Mounet, p. 147). De même, la recension par Hervé Flanquart des études qu’il a menées sur la réception des campagnes de prévention des « risques territoriaux » de toutes natures par les habitant∙es dessine une hiérarchie de l’efficience des communications institutionnelles et de la confiance suscitée par celles-ci (Hervé Flanquart, p. 150) ; la pédagogie est l’art de la répétition. Ces contributions confirment l’enjeu relationnel de la confiance et l’importance de liens directs et de proximité – quels qu’en soient les vecteurs : « Faire confiance à une personne implique toujours une certaine forme de dépendance à son égard », précise Michela Marzano (p. 39) ; c’est « le fondement même du rapport politique », selon François Hollande (p. 87).

4Cette lecture positive de la confiance trouve quelques détracteurs, regrettant la tendance généralisée de certains « à infantiliser les citoyens désemparés » pour parvenir à leurs fins : « la confiance n’est qu’un sentiment et elle relève de l’ordre de la croyance », estime Jean-Michel Besnier (p. 70-71). Transformée en simple slogan, la confiance est ainsi dévoyée pour des impératifs commerciaux, à travers la « métamorphose de l’espace public à l’ère numérique » (Pierre-Antoine Chardel, p. 73), ce qui conduit les individus à morceler donc à fragiliser la qualité leurs échanges. Face à ces dérives, une communication renouvelée pourrait constituer une antidote solide, en capacité de « pourvoir une diplomatie de l’autorité et [de] restaurer ainsi le crédit accordé aux hommes et aux institutions » (Eric Letonturier, p. 79). La communication apparaîtrait alors comme un medium de confiance.

  • 2 La nature de la confiance recouvrée est fonction du point de vue des protagonistes : entre les cito (...)

5La définition de pistes de solutions pour améliorer la qualité des relations interpersonnelles ou mieux apprécier les interactions avec les institutions complète le tableau général de l’ouvrage2. Il est recommandé, pêle-mêle, d’éveiller l’esprit critique des jeunes en les formant aux médias (Anne Cordier, p. 168 ; Céline Paganelli et al., p. 248) et en valorisant de la démarche scientifique (Antoine Petit, p. 27), de réfléchir à l’influence de la religion sur les relations entre individus (François Euvé, p. 175 ; Laurent Stella-Bourdillon, p. 180 ; Denis Metzinger, p. 184) et de développer les liens entre les personnes et les supports d’intelligence artificielle pour fiabiliser certaines informations (Gilles Desclaux, p. 192 ; Lionel Lavarec, p. 197 ; Evelyne Broudoux et Madjid Ihadjadene, p. 202).

6L’on peut retenir quelques lignes communes de ces différentes approches : si la confiance et la communication relèvent de relations entre parties, l’objectif visant à leur redonner du crédit constitue avant tout d’un défi collectif, exacerbé par le décalage entre le niveau microscopique des liens interpersonnels et les masses astronomiques d’informations et de données qui nous entourent. À cet égard, la responsabilité des plateformes, des « réseaux socionumériques » et des médias est pointée à plusieurs reprises.

7Le dossier décrit par le menu les intérêts encastrés de la confiance et de la communication, appliqués à de nombreuses disciplines. Aux côtés de politistes et de communicant∙es, des militaires et des professionnel∙les de santé, des historien∙nes et des journalistes, des philosophes et des sondeurs, des sociologues et des élu∙es, des diplomates et des anthropologues nourrissent ces travaux de leurs regards et de leurs expertises. L’ensemble tend vers une large revue de la littérature sur le sujet. Si la diversité des contributions ne permet pas de figer une définition unique de la confiance, elle éclaire en revanche avec précision l’une des questions initiales, « Pourquoi cette obsession de la confiance ? » (Anne Lehmans et Eric Letonturier, p. 19), en dessinant l’étendue de son implication.

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Notes

1 La formule de Niklas Luhmann décrit la capacité de la confiance à libérer un individu d’une quantité de questionnements qui rendrait la vie invivable d’incertitudes. Voir Luhmann Niklas, La confiance. Un mécanisme de réduction de la complexité sociale, Paris, Economica, coll. « Études sociologiques », 2006 [1968].

2 La nature de la confiance recouvrée est fonction du point de vue des protagonistes : entre les citoyen∙nes et l’État, entre deux individus, entre le clergé et les fidèles, entre les armées et la population, etc.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Bina, « Anne Lehmans, Éric Letonturier (dir.), « Confiance et communication. Une aporie démocratique », Hermès, La Revue, n° 88, 2021 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 juillet 2022, consulté le 23 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/57065 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.57065

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Rédacteur

Nicolas Bina

Nicolas Bina est doctorant en science politique au Centre Émile Durkheim (UMR 5116, Sciences Po Bordeaux) et travaille sur les directeurs∙rices d’administrations centrales et la haute fonction publique. Il poursuit, en parallèle de ses travaux, un emploi au sein de la fonction publique d’État.

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