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Collectif Focale, Votes populaires ! Les bases sociales de la polarisation électorale dans la présidentielle de 2017

Lou-Andréa Chéradame
Votes populaires !
Collectif Focale, Votes populaires ! Les bases sociales de la polarisation électorale dans la présidentielle de 2017, Vulaines-sur-Seine, Éditions du Croquant, 2022, 212 p., ISBN : 978-2-36512-290-0.
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Texte intégral

  • 1 L’enquête de l’Ifop, intitulée « Le profil des électeurs et les clés du premier tour de l’élection (...)
  • 2 Le collectif Focale (FOndement de la Crise des ALternatives Electorales) est composé de 10 chercheu (...)

1Cet ouvrage va à l’encontre des thèses qui réduiraient le vote des classes populaires à celui de l’extrême droite, ou qui considéreraient ces classes populaires comme dépolitisées. Si leur pratique de la démocratie représentative est, certes, moins régulière et moins intense que celle des catégories sociales plus favorisées, leur participation aux élections présidentielles est pourtant relativement élevée : lors des élections présidentielles de 2017, 76 % des employés et ouvriers inscrits sur les listes électorales sont allés voter, soit seulement trois points de moins que la participation au niveau de l’ensemble du corps électoral1. En cela, cette élection est un moment clé pour étudier l’expression électorale de ces populations et mieux comprendre leur rapport au politique. S’en saisissant, les chercheurs du collectif Focale2 ont réussi à mettre en évidence certaines composantes sociales de ce vote populaire. Pour ces auteurs, le vote populaire existe donc bien : il est pluriel, car composé d’un bloc d’extrême droite et d’un bloc de gauche radicale, et cette fracturation répond à des logiques sociales déterminées. L’analyse de « petites variations sociales », au sein d’une condition socio-économique relativement similaire – celle d’un « salariat subalterne » englobant « les franges du salariat économiquement et symboliquement les plus dévalorisées » (p. 12) –, permet aux auteurs de montrer pourquoi certains ouvriers et employés choisissent de voter pour Marine Le Pen, quand d’autres choisissent Jean-Luc Mélenchon. L’enjeu de cette recherche consiste à montrer que ce clivage dans le vote s’explique avant tout par des expériences différenciées du rapport au travail. En mobilisant le concept de subjectivation politique, les auteurs insistent sur l’idée que le rapport au politique de ces populations se transforme, depuis un certain temps déjà, sous l’effet notamment de la marchandisation du travail et des formes différenciées de discrimination et de dévalorisation qui l’accompagnent. Les nouveaux segments du marché du travail induisent alors de nouveaux segments électoraux.

2S’appuyant sur un dispositif d’enquête par questionnaire de grande envergure, ces chercheurs ont pu s’appuyer sur un matériau contenant les réponses de plus de 2 000 enquêtés interpellés à la sortie des bureaux de vote lors du premier tour des élections présidentielles de 2017, dans deux villes historiquement marquées par une forte identité ouvrière : Méricourt, ville du bassin minier lensois, dans le Nord–Pas-de-Calais, et Villeneuve-Saint-Georges, en banlieue parisienne. Le corps de l’ouvrage repose ainsi sur l’analyse quantitative de ces données, que les auteurs présentent de façon simple et claire. Ces analyses statistiques leur permettent de faire apparaître les différents profils sociaux qui se cachent derrière le choix d’un candidat à la présidentielle de 2017, avec l’idée d’expliquer comment certaines propriétés sociales des enquêtés, mais aussi des territoires, peuvent influencer le choix du candidat.

  • 3 Au moment de l’enquête le Front national n’avait pas encore changé de nom. Il deviendra le Rassembl (...)

3Le résultat le plus important de cette enquête est la mise en évidence du poids de la variable ethno-raciale. Cette variable, loin d’être associée à un vote ethnique, est articulée au rapport au travail afin d’expliquer la différenciation des subjectivations politiques (l’articulation du genre est également étudiée, mais apparaît comme plus secondaire et liée à une répartition sectorielle genrée de l’emploi). L’origine migratoire extra-européenne des enquêtés (qu’ils soient eux-mêmes immigrés, ou ayant des parents ou grands-parents immigrés) agit ainsi en annulant presque le vote pour l’extrême droite. Les auteurs expliquent ce résultat en inférant de cette origine extra-européenne une expérience de discrimination raciale dans l’insertion professionnelle. Au contraire, chez les populations non racisées, c’est-à-dire les populations n’ayant pas connu de discriminations liées à la couleur de leur peau, le vote vers l’extrême droite connaît une forte dynamique. Cette tendance est accentuée par l’instabilité de l’emploi et son exposition à la concurrence internationale, ainsi que par le faible niveau de diplôme. Pour les auteurs, ce vote à l’extrême droite s’expliquerait ainsi, d’une certaine manière, par la faiblesse des ressources à faire valoir sur un marché du travail devenu défavorable à ces travailleurs : il ne leur resterait plus, alors, que « leur peau » et l’espoir d’une protection par la « survalorisation de l’appartenance nationale » (p. 209) que prône le Front National3, propriétés sociales sur lesquelles ne peuvent compter les populations racisées.

  • 4 Les auteurs ont construit pour leur analyse un indicateur de précarité combinant le type de contrat (...)

4Cette polarisation du vote doit cependant être nuancée par l’ancrage territorial de ces expériences de discriminations et de dévalorisation sur le marché du travail. L’histoire respective de ces deux territoires, tant d’un point de vue économique que politique ou migratoire, permet ainsi de comprendre que ce n’est pas la précarité de l’emploi en tant que telle, c’est-à-dire l’expérience d’un emploi procurant une faible sécurité en termes de revenus notamment4, qui alimenterait le choix de l’extrême droite, mais plutôt le manque d’opportunités économiques et la faible dynamique du bassin d’emploi. La possibilité de retrouver rapidement un emploi, après un contrat court ou une période de chômage, est donc particulièrement importante pour comprendre le rapport au travail et, in fine, le rapport au politique. L’expérience du chômage et des emplois atypiques (CDD et intérim) à Méricourt, où la désindustrialisation et le chômage de masse sont particulièrement prononcés, est ainsi bien plus menaçante qu’à Villeneuve-Saint-Georges, où la proximité de Paris assure une offre d’emploi plus abondante et permet de vivre l’expérience de la précarité comme une phase, une « transition » et non comme une fatalité. Le vote pour l’extrême droite est ainsi plus significatif dans les classes populaires non racisées de Méricourt que dans celles de Villeneuve-Saint-Georges.

  • 5 Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire  (...)

5Enfin, en considérant ces communes sous l’angle de « territoires productifs » (p. 18 et 171), les auteurs mettent en évidence les particularités socio-économiques propres à chacun en s’attachant également à la coloration politique des réseaux de sociabilité qui font leur maillage social. Ce n’est pas ainsi l’intensité des sociabilités, ou a contrario l’absence de liens sociaux, qui polarise le choix électoral, mais l’existence, ou non, d’une dimension idéologique et politisée au sein de ces interactions sociales. L’histoire ouvrière, communiste et socialiste de ces territoires joue ainsi sur la socialisation politique des électeurs, même cinquante ans après leur désindustrialisation. Si le « capital d’autochtonie5 » (p. 188), au sens d’un ancrage durable sur le territoire et remontant au moins à la génération précédente, favorise un vote à gauche, l’arrivée plus tardive dans ces territoires en crise économique s’apparente plutôt à une expérience de déclassement, qui alimente quant à elle un vote à l’extrême droite.

6Au final, on décèle dans la problématique de ce collectif une certaine forme d’engagement, déjà perceptible dans le titre de l’ouvrage à travers le pluriel donné à « votes populaires » et le point d’exclamation qui suit ces deux mots. L’enjeu est de redonner une certaine place au vote populaire de gauche, et d’en identifier les déterminants, tout en montrant comment les formes de dévalorisations vécues dans le rapport au travail vont polariser le choix des électeurs populaires. Les auteurs posent ainsi la question des propriétés sociales que peuvent faire valoir les travailleurs sur un marché du travail de plus en plus soumis à la concurrence, et de plus en plus segmenté. Le matériau, essentiellement basé sur la passation de questionnaires, limite néanmoins énormément la volonté des auteurs de rendre compte des processus de subjectivation politique. Si les analyses présentées dans l’ouvrage ouvrent certaines pistes, en proposant un « repérage » des variables qui déterminent une polarisation du vote, parfois sur des sous-groupes aux effectifs très faibles, on aimerait pouvoir mieux saisir la manière dont ces expériences de discrimination et de dévalorisation prennent forme, et comment elles prennent sens dans le vécu des enquêtés. La volonté d’ancrer ces explications dans une approche territorialisée est un élément fort de cette enquête et appelle à poursuivre ces investigations dans une dimension plus ethnographique. On pourra regretter à ce titre que l’apport photographique et artistique soit réduit à une illustration en début de chapitre, alors que la présence d’une photographe dans le collectif de recherche souligne au contraire cette volonté de donner vie et réalité aux habitants et à leur territoire.

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Notes

1 L’enquête de l’Ifop, intitulée « Le profil des électeurs et les clés du premier tour de l’élection présidentielle » et menée en 2017, est disponible à l’adresse suivante : https://www.ifop.com/publication/le-profil-des-electeurs-et-les-clefs-du-premier-tour-de-lelection-presidentielle/

2 Le collectif Focale (FOndement de la Crise des ALternatives Electorales) est composé de 10 chercheurs en sciences sociales et d’une photographe. Ces chercheurs appartiennent en grande partie à la sociologie et à la science politique, mais aussi à l’histoire. Ils sont doctorants, maîtres de conférence, professeurs : Zakaria Bendali, Antoine de Cabanes, Lucille Dupréelle, Maxime Gaborit, Yann Le Lann, Amélie Marissal, Claire Miot, Samuel Pinaud, Hugo Touzet, Daniel Véron. Cécile Harari est photographe.

3 Au moment de l’enquête le Front national n’avait pas encore changé de nom. Il deviendra le Rassemblement national en 2018.

4 Les auteurs ont construit pour leur analyse un indicateur de précarité combinant le type de contrat, le niveau de diplôme et le sentiment subjectif d’exposition à la concurrence internationale.

5 Jean-Noël Retière, « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, 2003, vol. 16, n° 63, p. 121 à 143 ; disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2003_num_16_63_1295

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lou-Andréa Chéradame, « Collectif Focale, Votes populaires ! Les bases sociales de la polarisation électorale dans la présidentielle de 2017 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 29 juin 2022, consulté le 18 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/56910 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.56910

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