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Sébastien Urbanski, La république à l’épreuve des nationalismes

Claire Morrier
La République à l'épreuve des nationalismes
Sébastien Urbanski, La République à l'épreuve des nationalismes. École publique, valeurs communes et religions en Europe, Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le Sens social », 2022, 231 p., préface d'Alban Bouvier, ISBN : 9782753583580.
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Texte intégral

1Qu’il s’agisse de la récente polémique sur le port du burkini dans les piscines municipales, des résultats d’élections présidentielles françaises faisant apparaître une forte résurgence des sentiments nationalistes, ou du risque de « Polexit », l’urgence de comprendre comment articuler valeurs libérales, nationales et religieuses est grande. L’ouvrage de Sébastien Urbanski s’inscrit dans cette thématique en ce qu’il s’intéresse aux liens étroits entre libéralisme politique et nationalisme, tout en esquissant une réflexion sur le concept de laïcité et son application dans divers domaines, notamment à l’école. à la fois essai de philosophie politique et de sociologie, il interroge la possibilité de concilier un attachement à la nation avec un libéralisme politique qui respecte les minorités et les droits individuels. Afin de répondre à ces différents questionnements, le livre est organisé en six temps.

2Dans un premier temps, l’auteur revient sur la notion de laïcité pour l’expliciter. Trois aspects fondamentaux de la relation entre école et religion sont abordés : les modèles politiques, qu’on peut étudier à travers les lois des pays, la mise en pratique de ces modèles dans des situations concrètes et le rapport entre experts et politiques. L’intérêt de croiser les approches philosophique et sociologique est souligné à plusieurs reprises par l’auteur, en ce que cela permet d’étudier des idéaux types tout en leur donnant une consistance dans le réel. Toutefois, Sébastien Urbanski souligne la complexité inhérente à son objet d’étude et le problème du rapport du chercheur aux valeurs étudiées, qui oriente la manière dont un objet est traité. Pour l’auteur, il n’est pas nécessaire d’être totalement neutre tant que le « rapport aux valeurs » (p. 54) est correctement explicité. L’ouvrage affiche donc le sien de manière claire : parmi trois idéaux possibles de liberté (non-interférence, réalisation de soi, non-domination), l’auteur choisit la liberté comme non-domination. Cette liberté garantit le statut : aucun citoyen n’a un statut qui en domine un autre. Cet idéal de liberté comme non-domination sous-tend la conception de laïcité ici défendue, en tant que l’État ne devrait ni financer ni favoriser une religion plutôt qu’une autre.

  • 1 International Social Survey Programme, 2013

3Un deuxième temps est consacré au lien entre nationalisme et libéralisme politique. Il s’agit de montrer que le nationalisme peut devenir libéral et que le libéralisme ne peut se défaire d’attaches à la nation. L’ouvrage s’interroge sur les moyens de créer une culture nationale qui soit inclusive, c’est-à-dire que tous les citoyens peuvent acquérir. Si la culture nationale est assez « mince » (p 99), c’est-à-dire seulement constituée d’éléments essentiels pour le vivre ensemble (par exemple une langue), que tout individu peut acquérir, et légitimée, alors elle peut être compatible avec le libéralisme. Toutefois, le risque d’arbitraire culturel, entendu comme le fait d’imposer comme culture nationale une culture historiquement ancrée et pas toujours assimilable par les individus, doit être pris en compte pour ne pas imposer comme légitime une culture de la majorité. L’enquête par questionnaire ISSP1 auprès de résidents français montre aussi qu’il est possible de concilier cosmopolitisme et attachement au territoire français. En effet, elle révèle que les Français sont, parmi 32 nationalités, les plus attachés à leur territoire et ceux ayant le plus fort sentiment d’être citoyens du monde. Seulement 15 % sont nativistes, c’est-à-dire qu’ils considèrent des critères innés comme importants pour se dire français.

4Le troisième chapitre, en mettant en lien républicanisme et libéralisme politique, montre qu’il est possible de protéger les droits des individus appartenant à des minorités, qu’elles soient culturelles ou religieuses, sans sortir du cadre du libéralisme. Il s’intéresse à la manière dont républicanisme et libéralisme s’articulent dans le système scolaire en rappelant la contradiction qui lui semble inhérente au système éducatif : l’école devrait à la fois respecter les choix et valeurs des familles (idéal de non-interférence), tout en essayant de former les élèves à des valeurs communes. En effet, pour l’auteur, le libéralisme ne peut tenir qu’à condition que les individus se sentent citoyens et participent aux institutions, que se constitue une sorte de « majorité ». Trois cas de politique scolaire, en Angleterre, en France et aux États-Unis sont étudiés. La France a un modèle scolaire républicain et laïc, tandis que les États-Unis ont un modèle libéral et laïc et l’Angleterre un modèle libéral et non laïc. Toutefois des incursions libérales existent dans le modèle français et des tendances républicaines (« british values ») apparaissent dans le modèle anglais. L’auteur montre ainsi que pour se défaire de cette vision oxymorique de l’éducation, il est possible d’hybrider les systèmes, qui sont de toute façon toujours en mouvance. De plus, la contradiction apparente dans l’éducation peut se résoudre en pratique dans les décisions des acteurs qui, au nom du vivre ensemble, font parfois des entorses à la laïcité.

5Le quatrième chapitre se consacre plus particulièrement au cas de l’Angleterre et à son modèle éducatif libéral et non laïc, voire multiculturaliste. L’auteur montre que même dans ce pays, le multiculturalisme a ses limites. L’ouvrage s’appuie sur l’affaire du « Cheval de Troie » (2009), qui débute par la publication d’un rapport ministériel, dit rapport Clark, présumant que des gouverneurs d’écoles islamistes avaient exercé une influence illégale sur des établissements non confessionnels de Birmingham. Cet événement, dont les interprétations ont été multiples, a cristallisé le sentiment chez les conservateurs d’une nécessité de remettre au goût du jour les « british values » et fait écho à la promotion des « valeurs républicaines » en France après les « affaires du foulard » (1989).

  • 2 Mahmood Saba, Politique de la piété. Le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique, La Découverte (...)

6Le cinquième chapitre tente de répondre à la problématique suivante : celle de savoir si le libéralisme politique peut prétendre à l’universalité. L’ouvrage part de la thèse de l’anthropologue Saba Mahmood2 selon laquelle le droit libéral est ancré dans une conception judéo-chrétienne et ne prend pas assez en compte les spécificités de la foi musulmane, une théorie explicitée à travers l’étude de cas des caricatures de Mahomet par le journal danois Jyllands-Posten. Sébastien Urbanski met ensuite en perspective cette position en s’intéressant à l’affaire de la vierge Marie auréolée des couleurs LGBT en Pologne, pour montrer que les sensibilités blessées peuvent aussi être catholiques. Le parallèle entre les deux affaires n’est bien sûr pas exempt de limites, que l’auteur souligne, mais il permet de nuancer l’idée selon laquelle le libéralisme politique assure une hégémonie occidentale.

  • 3 Willaime, Jean-Paul. « L’expression des religions, une chance pour la démocratie », Revue Projet, v (...)

7Enfin, le dernier chapitre met la focale sur le cas particulier de la Pologne, un des pays d’Europe les moins séculiers, pour discuter la thèse du philosophe politique Jürgen Habermas selon laquelle les sociétés européennes, aujourd’hui séculières, devraient devenir post-séculières. Le concept de post-sécularité renvoie à l’idée que le fait religieux redevienne partie intégrante des sociétés, à l’inverse d’une pensée séculariste qui vouait la religion à une disparition prochaine. Habermas cherche à réhabiliter les ressources religieuses dans l’espace public et plaide pour une laïcité plus ouverte. Le cas de la Pologne montre qu’un pays ne peut être post-séculier sans avoir été déjà séculier. Après une explicitation du contexte politico-religieux actuel, l’ouvrage s’intéresse aux cours d’éthique et de religions proposés à l’école en Pologne. Aujourd’hui, les cours d’éthique, censés être non religieux, sont soit décriés et marginalisés, soit enseignés par des prêtres. Cette mainmise forte de l’église dans le champ éducatif entraîne aussi des conséquences politiques : gouvernement et église étant très fortement liés. L’exemple polonais permet à l’auteur de nuancer le constat fait par le sociologue Jean Paul Willaime en 20143, selon lequel le fait de redonner plus de place à la religion dans le domaine public en Europe n’implique aucunement un risque de mise en place de sociétés cléricales et absolutistes.

8À travers une rigoureuse analyse de la laïcité et une mise en perspective de son application dans différents pays (France, Angleterre, Pologne, États-Unis), l’ouvrage permet de comprendre « ce qu’est la laïcité et ce qu’elle pourrait être » (p. 47). La manière dont on peut penser et articuler le rapport entre nation et libéralisme est aussi explicitée et permet, dans un contexte où les sentiments nationalistes flambent, de réconcilier valeurs libérales universelles et sentiment d’appartenance à une nation, pour peu que les éléments caractéristiques de celle-ci soient assez « minces et inclusifs » (p. 49), c’est-à-dire acquérables et utiles pour le vivre ensemble.

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Notes

1 International Social Survey Programme, 2013

2 Mahmood Saba, Politique de la piété. Le féminisme à l’épreuve du renouveau islamique, La Découverte, coll. « textes à l’appui », 2009 ; compte rendu de Julien Beaugé pour Lectures : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.893.

3 Willaime, Jean-Paul. « L’expression des religions, une chance pour la démocratie », Revue Projet, vol. 342, no. 5, 2014, pp. 5-14, disponible en ligne : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3917/pro.342.0005.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Claire Morrier, « Sébastien Urbanski, La république à l’épreuve des nationalismes », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 juin 2022, consulté le 15 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/56738 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.56738

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