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Arndt Weinrich, Nicolas Patin (dir.), Quel bilan scientifique pour le centenaire de 1914-1918 ?

Damien Accoulon
Quel bilan scientifique pour le centenaire de 1914-1918 ?
Arndt Weinrich, Nicolas Patin (dir.), Quel bilan scientifique pour le centenaire de 1914-1918 ?, Paris, Sorbonne Université Presses, coll. « Mondes contemporains », 2022, 503 p., préface de Stéphane Audoin-Rouzeau, ISBN : 979-10-231-0706-7.
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Texte intégral

1Officiellement ouvert par le président de la République en novembre 2013, le cycle commémoratif du centenaire de la Première Guerre mondiale a été clos cinq années plus tard par les cérémonies du 11 novembre 2018. Avec le bicentenaire de la Révolution française pour unique précédent, l’évènement se singularisait par son internationalisation et son pilotage par un groupement d’intérêt public, la Mission du Centenaire, lancé en 2012 et arrivé à son terme en 2019. Venait alors l’heure des bilans, dont le volet scientifique fut suggéré à l’Historial de la Grande Guerre de Péronne et aboutit à cet ouvrage collectif publié aux Presses Universitaires de la Sorbonne.

  • 1 Les deux hommes avaient déjà assuré une codirection commune pour une histoire franco-allemande du c (...)

2Sous la direction d’Arndt Weinrich et de Nicolas Patin, spécialistes reconnus de la guerre et du nazisme1, la problématique est double. Sur le plan disciplinaire d’abord, le Centenaire a-t-il été l’occasion de transformations du champ historiographique ? Concernant l’inscription de la discipline dans la société, dans quelle mesure l’histoire savante a-t-elle pénétré l’espace public ? Interrogeant ainsi la porosité de la frontière entre histoire et mémoire, l’ouvrage place en son cœur l’étude des acteurs qu’ont été les historiens et conservateurs au cours des commémorations, et leur triple mission de « produire de la connaissance, diffuser, conseiller » (p. 13).

3À cette fin, quatre autrices et sept auteurs – docteurs, doctorants et/ou agrégés spécialistes de la période – se partagent dix chapitres thématiques, organisés sur un mode progressif : des actions les plus proches de l’université (thèses, colloques, publications scientifiques) à celles plus ouvertes sur la société (activités des archives et bibliothèques, livres, expositions muséales, enseignement secondaire, conférences grand public, médias, réseaux sociaux). Pour rendre plus cohérent ce travail collectif, une taxonomie transversale a été élaborée qui autorise l’analyse des thématiques développées dans les différents travaux et permet leur comparaison à travers les chapitres. L’ensemble des données collectées pour l’analyse est par ailleurs mis à disposition dans l’important volume d’annexes, librement accessible en ligne, afin de faciliter d’éventuels travaux complémentaires à ce premier bilan2.

4Recensant plus de 2 300 ouvrages francophones, 1 725 conférences grand public, 226 colloques… les chapitres sont riches d’analyses de données rigoureusement construites et d’infographies qui donnent à voir l’ampleur et les rythmes du cycle. Il en ressort, par récurrence, plusieurs conclusions essentielles.

5La première est l’indéniable « effet Centenaire » qui a stimulé aussi bien la recherche que les acteurs publics et amateurs d’histoire sur l’ensemble du territoire. Cet intérêt a suivi le cours des commémorations, avec une acmé atteinte dès l’automne 2014, cumulant l’enthousiasme des débuts à la rentrée littéraire, au centenaire des premières grandes batailles et à la date symbolique du 11 novembre. Bien préparé en amont, le Centenaire était lancé. L’effort ne pouvait rester si soutenu bien qu’il demeurât continu, surtout dans les anciennes régions occupées et frontalières où les temps forts du conflit ravivaient régulièrement la flamme, de Verdun au Chemin des Dames. Le second temps fort a été le mois de novembre 2018 et ses commémorations internationales qui furent l’occasion d’une ultime reprise des activités scientifiques, en particulier centrées sur les questions de la mémoire et des sorties de guerre.

  • 3 Pour un état de la controverse, qui a été résumée rapidement par l’alternative consentement/contrai (...)

6L’ensemble des contributions s’accordent ensuite sur l’importante activité déployée par les historiens professionnels et les institutions culturelles en vue de diffuser les développements historiographiques les plus récents dans l’espace public. C’est particulièrement le cas des professeurs d’université et membres du comité scientifique de la Mission du Centenaire, plus visibles et, à ce titre, sans doute davantage sollicités. Le Centenaire a été l’occasion d’une relative décentralisation de la recherche sur la Grande Guerre alors que de nombreux universitaires ou érudits locaux se saisissaient du sujet. Si la « diagonale des faibles densités » et les outremers ont été relativement moins animés que le reste du territoire – en particulier Paris et les villes universitaires – aucun département n’est resté en marge de l’évènement. Certes, les ouvrages, expositions et conférences revêtaient souvent une dimension locale qui tendait à ancrer le conflit dans les territoires. Cependant, l’historiographie de la Grande Guerre, valorisant la réflexion sur les bornes chronologiques et les temporalités du conflit (notamment autour de la question des sorties de guerre), diversifiant les objets étudiés et variant les échelles par l’étude et la comparaison internationale ou locale, semble bien avoir été diffusée et sort renforcée de ce cycle. L’ouvrage souligne en particulier les rôles clés de Joseph Zimet, historien de formation aux commandes administratives et politiques de la Mission, et d’Antoine Prost, spécialiste respecté à la tête de son comité scientifique, qui favorisèrent sans doute aussi l’entente cordiale des historiens alors que la vive controverse historiographique qui avait animé la décennie précédente aurait pu menacer leur relative unité3.

7Souhaitant commémorer la « guerre des sociétés » sur l’ensemble du territoire national – ce dont témoigne le nombre de productions sur l’expérience des combattants (militaires et civils) et les mémoires de la guerre, bien plus important que celles sur les opérations militaires et l’entrée en guerre par exemple –, la Mission du Centenaire avait pour autre objectif de commémorer la « guerre mondiale ». Le cycle a effectivement été marqué par une relative internationalisation de la recherche, laquelle a été davantage marquée à partir de 2017. Le contexte politique européen joua beaucoup pour faire ressortir le couple franco-allemand. L’Allemagne, ancien ennemi, fut le plus étudié des pays étrangers tandis que les anciens alliés britanniques reculaient nettement dans les études, y compris derrière l’Amérique du Nord, l’Australie voire la Russie. Le reste du monde extra-européen a été relativement délaissé par le Centenaire scientifique.

8Prolonger cette internationalisation de la recherche française au-delà des frontières européennes est un des enjeux soulevés par les contributeurs, qui redoutent par ailleurs un éventuel déclin de l’intérêt du monde académique pour la période, à présent que les feux sont éteints. La dynamique commémorative a pourtant ouvert des perspectives prometteuses pour de nouvelles recherches, notamment en matière archivistique. Ainsi, la numérisation des registres matriculaires, opérée par l’ensemble des départements, et les « Grandes Collectes » qui ont abouti au dépôt de 1 600 fonds d’archives et à la numérisation de quelque 325 000 documents, sont des produits du Centenaire. Comme le relève Benjamin Gilles, si les résultats mémoriels de ces opérations sont tangibles, notamment pour les généalogistes, ceux scientifiques restent à venir.

9C’est finalement la place de l’historien dans la société qui est interrogée en filigrane, notamment dans ses relations avec des interlocuteurs non académiques. Lise Galand observe ainsi que si le Centenaire a accru l’espace médiatique offert aux historiens, une réflexion plus profonde sur l’histoire publique devrait être entreprise dans l’enseignement universitaire afin de faciliter les échanges entre académie et médias. Frédéric Clavert, dans un mouvement similaire, relève que seul un effort d’apprentissage des codes des réseaux sociaux permet de toucher efficacement un public large, ce que les historiens anglophones auraient mieux réalisé pendant le Centenaire. In fine, c’est la réception du discours scientifique et son appropriation par le public qui pose question, alors que Bérénice Zunino suggère que les contenus des expositions ont sans doute davantage été reçus comme une confirmation de la mémoire individuelle que comme l’occasion d’une mise à jour des connaissances historiques. Nicolas Patin constate pour l’édition d’ouvrages que les universitaires ne sont pas parvenus, sauf exception (Christopher Clark), à rivaliser avec les vulgarisateurs (Max Gallo, Jean-Pierre Guéno) aux palmarès des meilleures ventes d’histoire, tandis que l’essentiel des ventes allait aux romans d’histoire et, dans une moindre mesure, aux bandes dessinées.

10Autant de réflexions que soumet, au fil des chapitres, ce solide bilan du Centenaire. Portrait d’un champ en rapide évolution et de ses acteurs, analyse d’une séquence mémorielle d’ampleur inédite au temps du « devoir de mémoire », il invite chacun à interroger son rapport à l’histoire comme pratique, mais aussi ce qu’implique le métier d’historien, tout en réévaluant la relation entre histoire et mémoire.

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Notes

1 Les deux hommes avaient déjà assuré une codirection commune pour une histoire franco-allemande du conflit : Nicolas Beaupré, Gerd Krumeich, Nicolas Patin, Arndt Weinrich (dir.), La Grande Guerre vue d’en face. 1914-1918, Nachbarn im Krieg, Paris, Albin Michel, 2016.

2 Pour le volume d’annexes : http://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-03484213. Une base de références Zotero, employée par Franziska Heimburger pour son chapitre sur les publications académiques, est également consultable en ligne : http://zotero.org/groups/2153792/bilan_scientifique_du_centenaire/items.

3 Pour un état de la controverse, qui a été résumée rapidement par l’alternative consentement/contrainte des sociétés engagées dans la guerre, voir Élise Julien, « Tenir en guerre, au front et à l’arrière » dans Rivalités et interdépendances 1870-1918, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2018, p. 307‑323.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Damien Accoulon, « Arndt Weinrich, Nicolas Patin (dir.), Quel bilan scientifique pour le centenaire de 1914-1918 ? », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 26 avril 2022, consulté le 23 mars 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/55780 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.55780

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Rédacteur

Damien Accoulon

Agrégé d’histoire, Attaché temporaire d’enseignement et de recherche à l’Université Paris Nanterre (EA 4414 « HAR »), en cotutelle de thèse avec la Technische Universität Braunschweig (Institut für Geschichtswissenschaft).

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