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Annick Lacroix, Un service pour quel public ? Postes et télécommunications dans l’Algérie colonisée (1830-1939)

Bouba Latyr Seck
Un service pour quel public ?
Annick Lacroix, Un service pour quel public ? Postes et télécommunications dans l'Algérie colonisée (1830-1939), Rennes, Presses universitaires de Rennes, coll. « Histoire », 2022, 456 p., préf. Omar Carlier, EAN : 9782753582446.
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Texte intégral

  • 1 P&T : Postes et télégraphes ; PTT : Postes, télégraphes et téléphones.

1Institution clé de l’effort colonial, l’institution postale (d’abord nommée « la poste » puis « P&T » et encore « PTT »1) offre à l’analyse un tableau riche et complexe des processus coloniaux ainsi que des relations entre la France et l’Algérie au fil des années. L’étude d’Annick Lacroix, historienne du Maghreb, s’éloigne de l’historiographie habituelle, proposant d’observer l’État colonial par les services de postes et de télécommunications. Les PTT, en « prise directe avec le quotidien et au contact des populations » (p. 32), composées d’acteurs citoyens et non citoyens, exemplifient une entreprise coloniale dont la composition, l’évolution et l’utilisation sont marquées d’une empreinte algérienne. Comme le montre l’ouvrage, cette influence va dans les deux sens, le quotidien des populations administrées étant fortement marqué par le développement des PTT.

2L’ouvrage est composé de deux parties. La première, « Administrer un territoire colonisé avec des outils métropolitains », retrace les premiers temps des services postaux et télégraphiques coloniaux en Algérie, de 1830 à 1901, et leur intégration dans la vie quotidienne des Français vivant sur le sol algérien, puis dans celle des populations locales. Le réseau postal et télégraphique sert initialement des objectifs militaires, la gestion de celui-ci étant justement sous la responsabilité de l’armée. Cependant, dès les débuts des P&T en tant que service public sur le sol algérien, ceux-ci sont marqués par l’ambivalence dans l’organisation et dans l’attribution des tâches, entre administration militaire et administration civile. Le premier chapitre explique cet aménagement difficile : « La limite reste longtemps confuse entre les attributions des services civils et les tâches dévolues aux militaires » (p. 60). Le second chapitre questionne l’existence d’une continuité organisationnelle entre les P&T algériens et ceux de la métropole. Le réseau algérien n’est pas indépendant de la métropole. Pour exemples, la fusion des services postaux et télégraphiques dans les années 1870 est une décision de la métropole, de même que le décret du 11 mars 1881 rattachant les services de P&T à l’administration métropolitaine. Néanmoins, un dynamisme certain est visible de la part des acteurs algériens. Ceux-ci « ne laissent pas sans mot dire la métropole façonner l’Algérie à son image » (p. 94), et l’expérience du terrain algérien leurs permet de mettre en place une extension du réseau pertinente pour répondre aux besoins de contrôle du territoire. Le troisième chapitre, en se concentrant sur « la morphologie » du réseau des P&T, révèle la création d’un réseau de communications agencé avant tout pour servir l’effort colonial. Cependant, l’utilité publique est prise en compte dans cette morphologie, les services postaux servant, avec le temps, de plus en plus les particuliers. . Le quatrième et dernier chapitre de la première partie de l’ouvrage se concentre sur les usagers. Ce faisant, c’est avant tout la « multitude de chemins parallèles et de façons de se saisir des services des P&T à la fin du XIXe siècle » (p. 178) qu’Annick Lacroix met en lumière. Tandis que les usagers principaux sont les commerçants, avocats et notaires, les écrivains publics (particulièrement utiles à la population lorsqu’elle doit communiquer avec l’administration), les touristes fortunés, les voyageurs, les immigré italiens et espagnols ou encore les missionnaires sont autant de groupes qui utilisent les P&T de façon plus ou moins intensive.

3La seconde partie aborde la période allant de 1898 à 1939. L’autonomie budgétaire de l’Algérie, obtenue en décembre 1900, donne « de nouvelles marges de manœuvres » (p.183) au développement de l’organisation des PTT et aux agents qui y participent. Le cinquième chapitre montre comment, la colonie ayant son budget entre les mains, le développement des services des PTT prend un nouvel essor, le service des postes et télécommunications devenant un véritable « outil au service de la colonisation » (p. 227). Dans le sixième chapitre, Annick Lacroix proposer une (des) histoire(s) du travail en contexte colonial, à travers le prisme d’étude qu’offrent les PTT. Elle analyse ainsi les liens entre les profils, les parcours professionnels et les salaires des employés, puis aux représentations de leurs métiers (celle qu’ils ont d’eux-mêmes et celle que le public s’en fait). Ainsi, nous dit Annick Lacroix, le facteur « acquiert une position sociale identifiée et valorisée » (p. 272). Le septième chapitre poursuit l’histoire du développement du réseau au lendemain de la Grande Guerre. Celui-ci se modernise, s’agrandit, étend ses liaisons avec les autres colonies françaises comme avec la métropole. Le lien qu’entretient la population avec les services des PTT et les bureaux de poste durant l’entre-deux-guerres est étudié dans le huitième chapitre. Les Algériens, en ayant recours aux PTT, voient reléguée au second plan leur position d’administrés de la colonie. Ils deviennent des usagers à part entière, et sont considérés comme tel par les PTT. L’étude de la situation professionnelle des postiers, faisant suite aux réformes et aux inflations de l’entre-deux-guerres, constitue le dernier chapitre de l’ouvrage. Un écart se creuse entre les employés appartenant à différents groupes sociaux, entre les postiers citoyens et non citoyens, mais aussi entre les titulaires et les non-titulaires (p. 398). Certaines réformes, quand elles n’accroissent pas l’écart entre ces groupes, restent sans effet. Par exemple, la loi Jonnart rend accessible à la population colonisée un grand nombre d’emplois autrefois peu accessibles. Cependant, elle reste sans effet, « parce que seuls les Algériens scolarisés plusieurs années consécutives peuvent dans les faits prétendre aux emplois intermédiaires et supérieurs » (p. 398).

4Les deux parties sont précédées d’une préface rédigée par le défunt Omar Carlier et complétées par un lexique très utile (qui explicite notamment les termes tirés de l’arabe et les termes spécialisés), une documentation riche des sources-archives, une bibliographie, un index des lieux et une table des illustrations (celles-ci sont nombreuses, 53 à travers l’ouvrage, utiles à la compréhension des données).

5Un des point fort de l’ouvrage tient à sa documentation : la diversité des sources et des archives utilisées (des correspondances privés aux arrêtés en passant par les articles de presse) permet d’appréhender des informations d’une précision remarquable. Annick Lacroix mobilise aussi de nombreux cas individuels pour exemplifier des tendances plus générales, comme lorsqu’elle décrit l’utilisation des services postaux par les citoyens pour communiquer avec leur famille restée en France. Si ces exemples, peuvent paraître trop nombreux (particulièrement dans le quatrième chapitre), ils restent d’une utilité notable. C’est donc un bel ouvrage que propose Annick Lacroix, riche dans sa documentation et dans les thématiques qu’il développe au fil des chapitres, qui revisite les réalités de la présence française en Algérie par une entrée nouvelle.

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Notes

1 P&T : Postes et télégraphes ; PTT : Postes, télégraphes et téléphones.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Bouba Latyr Seck, « Annick Lacroix, Un service pour quel public ? Postes et télécommunications dans l’Algérie colonisée (1830-1939) », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 25 avril 2022, consulté le 07 décembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/55725 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.55725

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Rédacteur

Bouba Latyr Seck

Étudiant en histoire générale et philosophie à l’université de Genève.

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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