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Andy Arleo, Julie Delalande (dir.), Cultures enfantines. Universalité et diversité

Hélène Kane
Cultures enfantines
Andy Arleo, Julie Delalande (dir.), Cultures enfantines. Universalité et diversité, Presses universitaires de Rennes, coll. « Le sens social », 2011, 464 p., EAN : 9782753512498.
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Texte intégral

1Sous la direction d’Andy Arleo, linguiste, et de Julie Delalande, anthropologue de l’enfance, cet ouvrage collectif fait suite à l’organisation d’un colloque du même nom, qui s’est tenu en 2007 à Nantes. L’ouvrage, produit d’un travail éditorial conséquent, dépasse le simple format d’une publication d’« Actes », le terme étant d’ailleurs significativement absent de la page de couverture. Or, passer de l’organisation d’un colloque sur appel à communication à la réalisation d’un projet d’ouvrage relève d’un véritable défi éditorial. Andy Arleo et Julie Delalande ont ainsi composé à partir d’une riche mosaïque de 34 contributions variées, tant par leurs disciplines, leurs méthodologies que par leurs objets et leurs ancrages géographiques. Anthropologues, didacticiens, ethnologues, folkloristes, historiens, linguistes, littéraires, psychologues, sociologues sont rassemblés, éclairant chacun une facette des « cultures enfantines », produisant une « polyphonie transdisciplinaire ». Il faut aussi féliciter le travail de traduction effectué sur plusieurs contributions, permettant la publication en français de travaux anglophones aux côtés des contributions francophones. Bien que l’ouvrage n’ait pas vocation épistémologique et méthodologique, à l’instar d’une des principales publications auxquelles Julie Delalande a collaboré1, cette variété en fait une petite mine d’or d’approches et de méthodologies pour étudier l’enfance.

2L’apposition en couverture d’un titre aussi ambitieux que « Cultures enfantines. Universalité et diversité » laisse prise à une lecture critique des limites de l’ouvrage, aussi riche soit-il. Dans un sens, cet intitulé titre bien les différentes parties qui problématisent des aspects situés de cultures enfantines, tout en mettant explicitement en relief leurs diversités et leurs universalités. Mais, dans le même temps, le corpus est centré sur les enfances des pays développés, hormis quelques contributions forts intéressantes telles que celles d’Andy Arleo et Amina Mettouchi à propos d’un jeu sur les écolières berbères, ou celle de Joseph-Marie Zambo Belinga sur le parler Camfranglais chez les adolescents au Cameroun. Ces contributions, qui introduisent d’autres réalités sociales de l’enfance, ne suffisent pas à contrebalancer un centrage sur des enfances « privilégiées », qui rime assez mal avec les termes « Universalité et diversité ». Dans le même ordre d’idées, nous pouvons souligner que l’étude des jeux des enfants occupe une place prédominante dans l’ouvrage, tandis qu’il faut attendre la fin de l’ouvrage pour que soit abordée la question du « travail dans les cultures enfantines », avec la contribution de Sandy Hobbs, Seonaid Anderson et Jim McKechnie. Heureusement, le lecteur trouve, au fil des présentations, des éléments théoriques et illustratifs sur la place du jeu dans les cultures enfantines, notamment avec les contributions de Sylvie Octobre, d’Angela Meyer Borba ou June Factor.

3Ces réserves émises, notons que le titre de l’ouvrage est brillamment secondé par l’introduction d’Andy Arleo et Julie Delalande, qui présentent de grands traits de conceptualisation des « Cultures enfantines », en particulier au travers des approches et enjeux de cet objet pour les sciences sociales. Différentes contributions apportent ensuite, ça et là, divers éclairages sur ce qu’il est possible de recouvrir par le terme de « Cultures enfantines ». L’indissociable lien des cultures enfantines avec la socialisation entre pairs trouve de nombreuses illustrations. Les auteurs Angela Meyer Borba, June Factor, Gwenda Davey et Judy McKinty se rejoignent notamment dans l’idée que les cultures enfantines sont menacées lorsque les temps et lieux d’interactions entre enfants sont réduits par les interventions adultes. Illustrant autrement cette problématique, deux contributions éclairent les conditions et limites du partage d’une culture enfantine parmi les enfants souffrant d’un handicap. Marion Blondel interroge l’existence d’une culture enfantine spécifique au travers les jeux de mains chez les enfants sourds muets, tandis Cornelia Schneider analyse comment les enfants présentant des besoins éducatifs particuliers peuvent passer membres de la culture enfantine. Autre idée forte traversant l’ouvrage et l’introduction dans son ensemble, la volonté de prendre au sérieux des pratiques longtemps négligées et considérées comme triviales. En ce sens, je retiendrais particulièrement deux belles contributions. Celle de Gilles Brougère, qui s’intéresse aux rapports entre la culture de masse et la culture enfantine, étudiant le succès des Powers Rangers, Barbies et autre Pokémons, refusant « la dichotomie entre une culture produite par l’enfant qui résulterait de son action et une culture de masse aliénante ». Dans une même lignée de questionnement, celle de Catherine Monnot, qui propose une immersion dans l’univers des chansons pop écoutées par les préadolescentes, révélant les enjeux de construction identitaire et de sociabilisation qui sous-tendent ces pratiques.

4L’ouvrage se structure en six grandes parties, organisées autours de grandes thématiques recoupant des champs d’approches disciplinaires. La première partie « Réflexions sur la notion de cultures enfantines. Définitions, contenus » regroupe cinq contributions de grande qualité laissant une part conséquente à la réflexion sur les cultures enfantines aux côtés de la présentation de données descriptives. Dans le sillage de l’introduction, ces contributions articulent leur problématique à la tension fondamentale entre universalité et diversité. Ainsi, Carole Carpenter identifie « les universaux de la culture enfantine », tandis que la sociologue Isabelle Danic dépeint « la culture enfantine comme réalité dynamique et plurielle ». La seconde partie, « Collecter un folklore enfantin universel. Jeux chantés, musicaux », davantage tournée vers la description ethnographique, regroupe un ensemble cohérent et consistant de cinq contributions sur les jeux chantés, les tape-mains, les comptines. Des modes de description divers et ingénieux sont mobilisés pour rendre compte des schèmes gestuels et linguistiques. Remarquons notamment la nette distinction de perspective entre une approche comparative telle que celle de Francis Corpataux sur les jeux chantés au sein de trois continents, et celle d’Andy Arleo et Amina Mettouchi autour de la description d’un jeu chanté, précisément resitué dans son contexte social et culturel local. Ensuite, une troisième partie porte sur la sociabilité enfantine, dans ses oppositions et rapprochement avec le monde des adultes. Les différentes contributions illustrent comment les enfants construisent, dans les contextes sociaux et culturels qui sont les leurs, des environnements normatifs qui organisent leurs relations entre pairs. Notamment, Ana Christina Coll Delgado décrit la socialisation différenciée des petites filles et des petits garçons dans une crèche domiciliaire, Berit Overa Johannesen, les positionnements moraux d’enfants lors de jeux de construction Lego et Angela Meyer Borba, la manière dont les groupes d’enfants résistent et intègrent de nouveaux joueurs. La quatrième partie, « Comment les enfants perçoivent et disent le monde » rassemble des contributions plus hétérogènes. Contrairement à ce qu’évoque le titre de la partie, son contenu contient assez peu de voix d’enfants, ce qui est un peu décevant lorsque l’on attend le point de vue des enfants. Les perceptions des enfants y sont davantage explorées au travers d’activités suscitées, organisées et observées. Ainsi, Amy B. Shuffelton présente comment les enfants mettent en œuvre une culture politique dans un jeu de personnage miniature, Claire B. Callagher raconte comment les enfants ont réalisé un exercice de conception d’une ville, Laetitia  Peifer comment les enfants reformulent des contes qu’on leur propose de lire. Plus décalées par rapport au titre de cette quatrième partie, les contributions d’Hervé Le Bihan sur le bestiaire des enfants en Breton et de Camille Ferdenzi, Olivier Wathelet et Benoist Schaal sur le genre et les cultures olfactives enfantines, sont intéressantes mais trouvent difficilement leur place. Ce problème d’hétérogénéité ne se pose pas s’agissant de la cinquième partie qui rassemble clairement des études portant sur « la culture enfantine dans la littérature ». Ce détour par la littérature interroge notamment la manière dont les écrivains mobilisent leur culture enfantine lorsqu’ils s’adressent aux lecteurs enfants, et ainsi éclairent une nouvelle facette de la définition des cultures enfantines : celle que les adultes ont en mémoire de leurs propres enfances. Enfin, la sixième et dernière partie, intitulée « le regard de l’adulte sur l’enfant », s’avère également plus hétérogène. Le ton des contributions qui la constituent est plus philosophique, et plusieurs auteurs prennent position, notamment Gwenda Davey et Judy McKinty pour la défense du jeu enfantin « Digne de respect », ou Marie-Françoise Crouzier pour le développement d’une « école inclusive » en Guyane.

5Pour conclure sur la multiplicité d’approches et de regards rassemblés dans cet ouvrage, disons que toutes sont de qualité, mais que toutes n’ont pu être pareillement mises en valeur. Ainsi, les contributions des trois premières parties prennent plus aisément corps dans un ensemble de réflexions et de problématiques qui traversent l’ouvrage. D’autres obligent davantage le lecteur à des sauts interdisciplinaires sans transitions, qui rendent parfois leur appréciation difficile. Ces changements d’une discipline à l’autre peuvent être déroutantes voire étourdissantes, en ce sens qu’elles impliquent des définitions des cultures enfantines plurielles, mais aussi qu’elles s’appuient sur des relations d’enquête et d’écoute des enfants contrastées.

61  Danic, I., J. Delalande, et al. Enquêter auprès d'enfants et de jeunes. Objets, méthodes et terrains de recherche en sciences sociales, Rennes, Presse Universitaires de Rennes, 2006.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Hélène Kane, « Andy Arleo, Julie Delalande (dir.), Cultures enfantines. Universalité et diversité », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 12 mai 2011, consulté le 02 novembre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/5469 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.5469

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Rédacteur

Hélène Kane

Doctorante, Centre Norbert Elias, EHESS

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