Patrick Le Galès (dir.), Gouverner la métropole parisienne
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- 1 Raco Mike et Frances Brill, London: The Privatised City, Newcastle upon Tyne, Agenda Publishing, 20 (...)
- 2 Marques Eduardo (dir.), The Politics of Incremental Progressivism. Governments, Governances and Urb (...)
- 3 Le Galès Patrick et Ugalde Vicente (dir.), Gobernando la Ciudad de México. Lo que se gobierna y lo (...)
- 4 Andreotti Alberta (dir.), Governare Milano nel nuovo millennio, Bologne, Il Mulino, 2019.
1Coordonné par Patrick Le Galès, doyen de l’école urbaine de Sciences Po Paris et politiste spécialiste des études comparatives sur les grandes métropoles, cet ouvrage s’inscrit dans un projet de recherche international baptisé Cities are back in town. Ce dernier réunit notamment Tommaso Vitale (Sciences Po Paris), Eduardo Marques (Université de São Paolo), Vicente Ugalde (Colmex), Alberta Andreotti (Université de Milan-Bicocca), ainsi que Claire Colomb et Mike Raco (University College de Londres). Sous leur direction, plusieurs livres associés à ce projet ont déjà été publiés ou sont en cours de publication en anglais, en italien, en portugais et en espagnol. Ce faisant, cet ouvrage collectif consacré à la métropole parisienne est le pendant en français de ceux ayant pris pour étude Londres1, São Paolo2, Mexico3, ou encore Milan4. Il réunit treize auteurs pour onze contributions.
2Dans l’introduction générale, Patrick Le Galès réussit le tour de force de restituer, en moins d’une trentaine de pages, toute la complexité qui caractérise la région Île-de-France. « Historiquement, [écrit-il,] la métropole parisienne est gouvernée comme la capitale de l’État français centralisé » (p. 29). À ces relations centre/périphérie génératrices d’asymétries, s’ajoutent pêle-mêle des considérations de divers ordres : politiques et sociales bien sûr, mais aussi économiques, culturelles et institutionnelles. L’Île-de-France est à la fois le principal pôle d’attractivité touristique français, un cœur universitaire, et un berceau intellectuel de l’Europe occidentale. La région se caractérise par la densité de ses réseaux et l’importance de ses flux de transit. Elle concentre les sièges des grands entreprises – dont certaines n’en éludent pas moins l’impôt en domiciliant leurs actifs à l’étranger (p. 27). Aux inégalités territoriales répondent des logiques de gentrification et de ghettoïsation. Entre le clandestin esclavisé à un bout de l’échelle et le rentier des beaux quartiers à l’autre, les situations socio-professionnelles révèlent une diversité phénoménale en Île-de-France. D’où la multiplicité des enjeux et leur enchevêtrement, qui renvoient à la question centrale de cette réflexion collective : la métropole parisienne est-elle gouvernable ?
3Pour Le Galès, « il ne fait aucun doute qu’[elle] est gouvernée depuis longtemps… mais plus ou moins selon les périodes » (p. 26), et selon les espaces géographiques et les problèmes publics dont il est question. Par exemple, comme l’étaye Thomas Aguilera dans le chapitre 9, l’épineuse gestion des bidonvilles, réapparus dans les années 1990, est longtemps restée un problème orphelin ou sans solution pour les pouvoirs publics, jusqu’à ce que les associations s’en saisissent et fassent pression sur les élus. De manière générale, ces derniers se montrent souvent très attentifs aux conséquences électorales de leurs prises de position, ce qui génère tantôt une frileuse réserve, tantôt un enthousiasme excessif autour de telle ou telle initiative. Irréductible, cette variable politique constitue une donnée cardinale à prendre en compte dans les analyses sociologiques de l’action publique, ce que soulignent plusieurs chapitres de l’ouvrage. Dans le chapitre 6 par exemple, Patrick Le Lidec analyse la mise à l’agenda contrariée d’un « gouvernement métropolitain » au début des années 2000, et la modalité hybride qui a finalement été choisie, une quinzaine d’années plus tard. L’enjeu était de ménager non seulement ceux qui défendent une vision confédérée, mais aussi les partisans d’une plus forte intégration. Le résultat en est que ce modèle sui generis, tiraillé entre la métropole des départements, la métropole régionale et la métropole des maires, a du mal à se trouver un pilote. De surcroît, cette fragmentation institutionnelle recoupe une fragmentation socio-spatiale qui rend difficile la mise en cohérence des politiques d’aménagement du territoire, comme le démontre Renaud Epstein (chapitre 8). Dans sa contribution, il dresse en effet un bilan relativement critique des grands projets de rénovation urbaine, lesquels ne sont toujours pas parvenus « à infléchir les processus de polarisation socio-spatiale à l’œuvre dans la métropole francilienne » (p. 246).
4Au-delà des considérations politico-partisanes, la plupart des contributeurs soulignent également la force des compromis passés et, plus largement, le poids des logiques historiques. Comme en témoigne notamment le premier chapitre, qu’Emmanuel Bellanger consacre à l’histoire politique du Grand Paris, cet ouvrage collectif s’inscrit clairement dans une approche néo-institutionnaliste historique. En guise d’illustration, dans le chapitre 7 consacré à la politique foncière, Sebastien Pradella démontre que les ressorts de cette économie mixte entre État (ville, région) et marché (promoteurs immobiliers) remonte aux collusions politico-financières du Second Empire. À ce titre, il écrit : « dans le mode de gouvernance du foncier parisien, l’intervention des banques, des sociétés immobilières et des promoteurs dans l’allocation du sol en ville n’est pas le résultat d’un processus automatique. Au contraire, elle a été déterminée par les prémices de la politique foncière commencée au cours de cette conjoncture critique du XIXe siècle avec Napoléon III et le préfet Haussmann » (p. 125). De même, dans une contribution co-écrite avec Francesca Artioli (chapitre 5), la chercheure Pauline Prat illustre, à travers l’exemple des politiques d’aménagement et de restructuration de la carte militaire, les difficultés d’arbitrage et les fortes inerties institutionnelle et politique qui caractérisent la région francilienne depuis la fin des années 1950.
5Du reste, Pauline Prat a aussi rédigé deux chapitres en propre, lesquels restituent les deux variables saillantes de l’ouvrage : historique d’une part, politique d’autre part. Le premier porte en effet sur l’institutionnalisation de la figure du préfet de région au cours de la seconde moitié du XXe siècle (chapitre 3). Le second traite de la marginalisation que tendent à subir les préfets départementaux d’Île-de-France, pris en tenaille entre d’un côté leurs autorités de tutelle (gouvernement et ministères), de l’autre des élus locaux prompts à les court-circuiter (chapitre 4). Moins médiateur de compromis que pompier de l’action publique, moins ordonnateur vétilleux que gestionnaire de l’urgence, le préfet n’a, selon l’aphorisme teinté d’ironie de l’un d’entre eux, « jamais autant de pouvoir que dans les domaines où il n’est pas compétent » (p. 116). Aux yeux des acteurs, la légitimité de l’échelon régional résulte in fine de « la volonté d’éviter le blâme et d’attribuer la responsabilité de l’arbitrage à l’échelon supérieur. L’objectivation de “problèmes régionaux” est résolument corrélée à l’évitement de certaines décisions », assure la chercheure (p. 109).
6Très riche, l’ouvrage compte également trois textes supplémentaires. Dans leur contribution, Jacques de Maillard et Mathieu Zagrodzki se penchent sur les efforts entrepris pour une mutualisation et un déploiement plus cohérent des forces de police à l’échelle du Grand Paris (chapitre 7). Puis, Christine Barwick et Vlad Gross mettent pour leur part en évidence les réseaux d’interdépendance qui existent au sein de la fonction publique parisienne et entre les différents niveaux de gouvernement (chapitre 10). Enfin, Charlotte Halpern et Patrick Le Galès consacrent le dernier chapitre de l’ouvrage à la politique des transports (chapitre 11).
- 5 Subra Philippe, « Comptes rendus », Revue française de science politique, vol. 71, n° 2, 2021, p. 3 (...)
7Dans la critique de l’ouvrage qu’il a rédigée pour la Revue française de science politique, le géographe Philippe Subra en souligne les qualités intrinsèques, mais il pointe aussi ce qui pourrait en constituer une limite : l’absence de « mise en perspective socio-économique et géopolitique de la question métropolitaine »5. Il entend par là désigner certains points-aveugles qui ont trait aux processus de gentrification, à la désindustrialisation, ou encore à la disparition des « banlieues rouges ». Nous adhérons à cette critique. Il aurait été en particulier intéressant d’élargir la réflexion aux logiques de désalignement et de recomposition des clivages politico-partisans, en regardant notamment s’ils sont corrélés ou non aux inégalités socio-économiques, aux asymétries infrastructurelles et à la polarisation socio-territoriale. Ceci étant, si l’ouvrage avait glissé de la sorte d’une sociologie de l’action publique vers une sociologie électorale, il aurait dévié de son ambition, et même de sa finalité. Aussi convient-il de souligner surtout la rigueur scientifique de ce travail collectif, qui ravira en particulier celles et ceux qui s’intéressent à l’étude des politiques urbaines. Par ailleurs, le livre fourmille d’exemples précis pour quiconque voudrait illustrer, dans ses travaux académiques, les difficultés de gestion, les doublons administratifs, et bien d’autres télescopages institutionnels qui ne manquent jamais de perturber la mise en œuvre des politiques publiques.
Notes
1 Raco Mike et Frances Brill, London: The Privatised City, Newcastle upon Tyne, Agenda Publishing, 2022.
2 Marques Eduardo (dir.), The Politics of Incremental Progressivism. Governments, Governances and Urban Policies in São Paolo, Oxford, Wiley, 2020.
3 Le Galès Patrick et Ugalde Vicente (dir.), Gobernando la Ciudad de México. Lo que se gobierna y lo que no se gobierna en una gran metrópoli, México, El Colegio de México, 2018.
4 Andreotti Alberta (dir.), Governare Milano nel nuovo millennio, Bologne, Il Mulino, 2019.
5 Subra Philippe, « Comptes rendus », Revue française de science politique, vol. 71, n° 2, 2021, p. 309.
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Electronic reference
Damien Larrouqué, « Patrick Le Galès (dir.), Gouverner la métropole parisienne », Lectures [Online], Reviews, Online since 01 March 2022, connection on 01 December 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/54570 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.54570
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