Cécile Vidal (dir.), Une histoire sociale du Nouveau Monde

Texte intégral
1Rassemblant un ensemble d’historiens aux bagages académiques différents, l’ouvrage dirigé par Cécile Vidal, spécialiste de l’histoire sociale des empires coloniaux, de la traite et de l’esclavage dans les mondes atlantiques du XVIIe au XIXe siècle, nous propose une histoire des sociétés nouvelles formées dans les Amériques. Cette histoire sociale a plusieurs spécificités, la plus importante étant qu’elle se fait par une approche comparatiste. Les chercheurs mettent en rapprochement les similitudes et différences de ces sociétés nouvelles formées à la suite de l’arrivée européenne en Amérique, en les comparant entre elles et en étendant la comparaison avec les sociétés dont elles proviennent (occidentales, américaines pré-colonisation et africaines). Ce faisant, le travail dépasse les confins traditionnels d’une multiplicité d’histoires nationales isolées, concentrées sur ce qui distingue la société étudiée des autres sociétés américaines, pour offrir une image plus générale de ce qui fait une société du Nouveau Monde. Ceci est rendu possible par la collaboration des chercheurs dès le début du projet, qui l’ont défini et l’ont mené à bien ensemble – c’est pourquoi je ne parlerai que de chapitres, et non pas de contributions, mot offrant un sens différent au travail des chercheurs que celui que donne à lire l’ouvrage.
2L’ avant-propos de Cécile Vidal retrace l’histoire de l’ouvrage et sa mise en forme. En explicitant la volonté des chercheurs de donner à lire une histoire sociale à la fois comparatiste, mais aussi hémisphérique du Nouveau Monde, elle pose clairement la complexité initiale du regroupement d’informations et la définition du cadre de recherche. L’introduction, rédigée de même par Cécile Vidal, situe l’ouvrage dans son cadre historiographique en relevant les forces et faiblesses de l’approche comparée qui s’y rapporte. Elle explicite la relecture des sociétés du Nouveau Monde proposée dans l’ouvrage . Les huit chapitres thématiques traitent, dans l’ordre, des migrations et mobilités (1), du travail (2), des marchés (3), du territoire et de la propriété (4), des (les formes en sont multiples) familles (5), puis des religions (6), du droit et de la justice (7) et enfin de l’ordre social (8), chapitre placé logiquement à la fin. Le travail se concentrant sur l’interaction de ces thèmes et leur participation à la construction des sociétés nouvelles d’Amérique, les bornes chronologiques sont mises de côté au profit d’une approche spatial, plus riche dans son apport comparatif. La conclusion de Pedro Cardim vient synthétiser les conclusions des chapitres pour les mettre en opposition avec les conceptions de formation de ces sociétés nouvelles comme émanant d’un effort militaire européen soutenu et régulier, ou encore « des vues diffusionnistes, qui enferment la colonisation de l’Amérique dans les seuls processus de propagation de la version européenne de la modernité » (p. 312). Une bibliographie sélective comportant 16 thèmes (dont les huit énoncés plus tôt) vient offrir de nombreuses ouvertures pour qui veut approfondir la recherche.
3L’ouvrage souligne bien l’importance des influences mutuelles entre les sociétés qui se sont rencontrées en Amérique dans le cadre colonial, et c’est une de ses forces. Indubitablement, les sociétés européennes, dans leur multiplicité, ont pu imposer des conceptions religieuses (chapitre 6) et juridiques (chapitre 7) à partir desquelles elles ont justifié la conquête. Néanmoins, que ce soit dans les formes que prennent la famille ou la religion, dans l’appropriation du territoire, ou plus généralement dans l’ordre social, les influences africaines, amérindiennes et européennes forment toute la substance des sociétés nouvelles d’Amérique.
4L’ouvrage est très riche, chaque chapitre mériterait une recension, les chercheurs ne fuient pas la complexité des thèmes, puisent dans une littérature secondaire très vaste, et offrent donc un tout cohérent, dans un langage accessible qui contribue à la qualité pédagogique du livre. On remarque aussi que l’osmose des sujets mène à de nombreuses répétitions, nécessaires en raison du format thématique choisi par les auteurs.
5Un chapitre particulièrement intéressant est celui qui traite des marchés (chapitre 3). Il retrace l’évolution du commerce des colonies, à la fois local et atlantique, et pointe du doigt la diversité des formes de marchés coloniaux. Sachant que « la plupart des colonies étaient précisément conçues par les Européens comme de vastes marchés captifs au profit exclusif de leurs métropoles » (p. 106), une compréhension des marchés dans le cadre des nouvelles sociétés américaines est cruciale. Le chapitre se concentre sur l’idée de monopole, représenté par les compagnies de commerce, ainsi que sur le rôle des marchés comme fondement social de certaines sociétés (comme « la communauté polynationale établie à Terre-Neuve au XVIIe siècle », p. 118), ainsi que le rôle double des marchés coloniaux, à la fois continuateurs de la domination et de l’oppression coloniale et de la même manière, porteurs d’opportunités d’élévation sociale pour certains groupes socioraciaux.
6Si une critique devait être portée à l’ouvrage, on peut regretter l’éloignement des sources primaires, dans cet effort pédagogique qui offre aux étudiants comme aux chercheurs une référence générale en ce qui concerne l’histoire sociale du Nouveau Monde. Que ce soit dans la bibliographie sélective ou dans les chapitres de l’ouvrage, les auteurs peinent à faire directement référence aux sources. Cela reste compréhensible. D’une part, l’ouvrage est déjà très riche, et chaque chapitre aurait considérablement augmenté en taille s’il avait fait référence à la méthodologie historique ayant permis de tirer les conclusions offertes. D’une autre part, l’abondante littérature secondaire offerte permettra d’approfondir et d’accéder aux références archivistiques sansproblème. Au final, l’ouvrage reste une référence dans la compréhension de l’histoire sociale des sociétés du Nouveau Monde.
Pour citer cet article
Référence électronique
Bouba Latyr Seck, « Cécile Vidal (dir.), Une histoire sociale du Nouveau Monde », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 13 décembre 2021, consulté le 16 mai 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/53129 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.53129
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page