Benjamin Stora, Nicolas Le Scanff, Histoire dessinée des Juifs d’Algérie. De l’Antiquité à nos jours

Texte intégral
1Dans la lignée de ses travaux sur l’Algérie, et notamment sur les mémoires de l’histoire algérienne, Benjamin Stora propose, dans cette bande dessinée illustrée par Nicolas Le Scanff, une vulgarisation de l’histoire de la communauté juive en Algérie, depuis les premières implantations durant l’Antiquité jusqu’à l’exode qu’elle a connu dans les années qui ont suivi l’indépendance algérienne en 1962. Le récit est construit de façon à s’adresser à un public très large : le lecteur est conduit, pas à pas, sur la route de cette histoire par le jeune David, issu d’une famille de juifs séfarades et qui se met en quête de la grande histoire pour comprendre sa situation personnelle, inscrite dans le temps présent. Pour cela, il sollicite autant des savoirs de type universitaire, avec des conversations avec un professeur d’université – qui n’est pas sans rappeler Benjamin Stora –, que des savoirs qu’il élabore lui-même en retraçant l’histoire de sa famille grâce à des échanges avec membres de sa famille ou de celle de sa petite amie. L’ouvrage est ponctué de mini-biographies, qui ajoutent à la fresque familiale, une fresque historique.
2La présence juive en Afrique du Nord et plus particulièrement en Algérie remonte à l’Antiquité. Les historiens émettent l’hypothèse que certaines familles juives accompagnent les Phéniciens dans la fondation de colonies, dont Carthage. Plus certainement, la destruction du Temple de Jérusalem, au Ier siècle de notre ère, entraîne une migration des populations juives dont une partie s’installe en Kabylie. Là, les Juifs conservent un mode de vie nomade dans les montagnes ou dans le Mzab et cohabitent alors avec les populations berbères.
3La conquête musulmane du Nord de l’Afrique au VIIe siècle, définitive après la fin de la révolte menée par la reine berbère Kahina, modifie le statut des Juifs qui deviennent des dhimmis. S’ils peuvent continuer leurs activités et leurs négoces, ils doivent payer un tribut au pouvoir et se voient imposer certaines obligations vestimentaires et certaines interdictions. La période allant du XVe au XVIe siècle représente un tournant de deux points de vue. Premièrement, la Reconquista catholique et la chute des derniers lambeaux de pouvoirs musulmans en Espagne entraîne l’expulsion des Juifs de la péninsule ibérique qui émigrent en masse vers l’Afrique du Nord. Deuxièmement, la région est conquise par les Ottomans. Cette période se trouve être une période de relative prospérité grâce à l’importance du commerce méditerranéen, auquel les Juifs participent pleinement. Ils s’imposent notamment dans le commerce de céréales et l’artisanat du tissu.
4Le troisième grand tournant de cette histoire est la conquête et la colonisation de l’Algérie par la France au XIXe siècle. C’est d’ailleurs une évocation de ce moment qui ouvre le récit. La conquête française entraîne un mouvement d’européanisation des communautés juives, lesquelles perdent progressivement leurs institutions communautaires comme le tribunal rabbinique ou le statut de « Chef de la Nation juive ». Elle conduit également à leur intégration dans le cadre national français, via l’octroi de la nationalité française aux Juifs d’Algérie par le décret Crémieux de 1870. Dès lors, la communauté juive se trouve dans une situation d’entre-deux : d’un côté l’européanisation d’une partie importante de la communauté et l’acquisition de la citoyenneté française créent une coupure avec les musulmans, mais, de l’autre, l’intégration politique et sociale des Juifs est mise à mal par l’importance de l’antisémitisme à la fin du XIXe siècle, tant du côté musulman que du côté français (Edouard Drumont est député d’Alger lorsqu’il participe à la fondation de la Ligue nationale antisémitique de France en 1889). L’ouvrage de Benjamin Stora illustre le fait que l’antisémitisme était un des points sur lequel se retrouvait une partie des musulmans d’Algérie et une partie des Européens.
5La situation des Juifs en Algérie se complexifie au fur et à mesure de la structuration et de la montée en puissance du mouvement indépendantiste algérien. En effet, le Front de Libération Nationale promeut, dans sa stratégie d’indépendance nationale, le caractère musulman de la nation algérienne. Dès lors, la communauté juive est partagée entre l’attachement à un territoire sur lequel elle est installée depuis des siècles, une insertion difficile dans l’Algérie qui se dessine et un certain attachement à la France qui s’était d’ailleurs manifesté par la participation active à la Résistance pendant la Seconde guerre mondiale. À cela s’ajoute la naissance d’Israël qui pose la question de l’alya (le retour sur la Terre promise). L’augmentation du nombre d’attentats organisés par le FLN et la hausse des violences visant spécifiquement la communauté juive de la part des musulmans incitent les Juifs d’Algérie à quitter progressivement l’Algérie. Le mouvement s’accélère avec l’indépendance algérienne en 1962 qui entraîne un dernier exode vers la France et une dispersion de la communauté séfarade à travers l’ensemble du territoire.
6L’ouvrage ne prétend pas être un travail universitaire et s’apparente à une œuvre de vulgarisation qui survole une histoire millénaire en un nombre très réduite de pages (138 pages). Cependant, à moins de ne pas connaître du tout le sujet, on peut trouver le livre un peu avare en informations, malgré l’adjonction d’une importante bibliographie. Le choix du medium de la bande dessinée limite par ailleurs les possibilités de développer le récit. Il faut cependant noter que le recours au dessin permet aux auteurs de donner à voir des éléments concrets de la culture juive d’Afrique du Nord, via la reproduction des traditions vestimentaires, illustration des plats ou des bijoux. Par ailleurs le choix du personnage de David comme matrice du récit rappelle combien l’histoire de la communauté juive d’Algérie – comme celle des relations franco-algérienne – est politique et comporte des enjeux mémoriels importants, à la croisée entre des histoires individuelles et familiales et l’Histoire. C’est finalement parce que les questions sont intéressantes et que le récit est bien mené qu’on regrette que le livre soit aussi bref.
Pour citer cet article
Référence électronique
Jean-David Richaud-Mammeri, « Benjamin Stora, Nicolas Le Scanff, Histoire dessinée des Juifs d’Algérie. De l’Antiquité à nos jours », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 22 novembre 2021, consulté le 23 avril 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/52649 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.52649
Haut de pageDroits d’auteur
Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Haut de page