L'état de la mondialisation 2008
Texte intégral
1Dans la « grande famille » des sciences humaines et sociales, les relations internationales constituent peut-être la discipline la moins lisible, du moins du grand public. A la croisée entre science politique, sociologie, économie, voire du journalisme, les spécialistes de ce champ ont ainsi souvent du mal à faire reconnaître la spécificité de leurs objets et de leurs méthodes, alors même que les « chaînes d'interdépendance » ne cessent de s'allonger, pour reprendre l'image de Norbert Elias. A cet égard, les revues qui s'efforcent de diffuser -sans les déformer- les travaux de ces spécialistes dans notre pays sont aussi rares que nécessaires. Trimestrielle, Alternatives Internationales, co-édition de la SCOP « Alternatives économiques » et, depuis peu, du quotidien Libération, est de celles-ci, et, pour la cinquième année consécutive, vient récemment de publier son numéro « hors-série » en partenariat avec le CERI (Centre d'études et de recherches internationales), laboratoire de référence en la matière, appartenant à l'Institut d'études politiques de Paris.
2Plusieurs chercheurs de cette institution ont ainsi collaboré aux différents articles qui composent cette publication, organisés autour de trois « fils rouges » qu'indique en introduction Christophe Jaffrelot, directeur du CERI et spécialiste de l'Inde contemporaine. Il s'agit tout d'abord de l'affirmation des pays émergents sur la scène internationale, elle-même indissociable de l'irruption de nouveaux enjeux, tels que la crise environementale ou (le retour) de la question nucléaire. Le dernier est logiquement constitué par les efforts de régulation mis en oeuvre pour encadrer ces derniers.
3Ce hors-série s'organise autour de cinq dossiers, chacun introduit par un ensemble documentaire de synthèse (cartes, tableaux, graphiques, statistiques,...) assez complet, élaboré par Gérard Vindt, enseignant en classes préparatoires et collaborateur régulier d'Alternatives Economiques.
- 1 http://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/A/15301
4Le premier d'entre eux porte ainsi sur le commerce mondial. Marie-Anne Frison-Roche, professeur de droit officiant désormais à Sciences-po Paris, commence par dresser une présentation assez flatteuse de l'Organe de règlement des différents (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui a permis selon elle un basculement de la régulation de la mondialisation du politique (où priment les rapports de force) vers le droit, permettant une « protection efficace des habitants des pays en développement ». Une contribution quelque peu étonnante qui n'est pas sans rappeler l'article récent de Monique Chemillier-Gendreau sur l'OMC dans le numéro de novembre dernier du pourtant critique Monde diplomatique 1. Samira Guennif, maître de conférences en sciences économiques à Paris 13, revient sur sa part sur la manière dont l'industrie pharmaceutique indienne se lance aujourd'hui à l'assault des marchés du Nord de médicaments génériques, profitant d'une législation nationale longtemps favorable en la matière, tandis que dans un entretien, Jean-Marc Siroën, professeur à Paris-Dauphine, explique que l'on n'assiste pas à un retour du protectionnisme dans la mesure où il n'a jamais réellement disparu...
- 2 qu'il conseille d'ailleurs sur ce dossier
5Le deuxième dossier est consacré quant à lui aux nouveaux conflits, avec un article malheureusement particulièrement d'actualité de Chris Smith sur les Tigres tamouls au Sri Lanka et la manière dont ils s'appuient non sans intelligence sur la population locale et surtout la diaspora. Le chercheur brésilien Ricardo Seitenfus décrit pour sa part l'intervention en Haïti de son gouvernement 2, qui a pris la tête de la mission de l'ONU dans ce pays, non sans expliquer en quoi cela vient rompre avec deux siècles de tradition non-interventionniste des pays latino-américains. Enfin, François Heisbourg revient sur les menaces qu'encourt aujourd'hui le traité de non-prolifération atomique (TNP), du fait notamment de la diplomatie de certains de ses signataires, Etats-Unis en tête, plus que de l'existence de pays non-signataires, Inde, Pakistan ou Israël notamment. Le troisième dossier est consacré ensuite aux « mutations sociales ». En la matière, la mondialisation, en se comportant comme un « accélérateur de particules » a introduit un « choc des repères ». La première touchée est sans conteste la société chinoise, dont Jean-Louis Rocca nous dépeint un portrait édifiant, soulignant l'importance des solidarités traditionnelles dans un contexte de « fragmentation sociale » accélérée. Mais les pays les plus riches sont loin d'être épargnés, ainsi que l'illustre Catherine Sauviat à partir de la peur des délocalisations qui touche désormais les activités de services aux Etats-Unis. Dans l'entretien qui clôt, comme les autres, ce chapitre, Didier Bigo, chercheur au Ceri et rédacteur en chef de la très bonne revue Cultures et Conflits, dresse enfin un plaidoyer argumenté pour la facilitation de la circulation des migrants, les pratiques policières actuelles ne faisant qu'accroître l'insécurité...pour les candidats au voyage.
6La prise en compte récente (et tardive) des questions environnementales constitue la trame du quatrième dossier. Maawa Daoudi, enseignante à Genève, explique ainsi comment la question du partage des eaux du Tigre et de l'Euphrate est source de vives tensions entre la Turquie et ses voisins, sans avoir cependant déclenché de conflits armés (pour l'instant ?), tandis que l'économiste Laurence Tubiana explique, dans un entretien, combien l'Union Européenne a un rôle majeur à jouer dans l'« après-Kyoto », malgré les râtés rencontrés jusqu'à présent dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre programmée par ledit sommet. Un article au ton résolumment optimiste quant aux possibilités d'une « gouvernance mondiale » efficace, sujet qui constitue le thème du cinquième et dernier dossier. Patrice Hagerty y revient sur le flou qui encadre la définition des groupes devant bénéficier de la protection de la diversité culturelle, qui fait elle consensus dans les traités internationaux, tandis que, dans un article à l'actualité troublante, l'économiste Olivier Pastré décrypte les enjeux sous-jacents du « grand mercato » - cette vague de rachats- actuellement à l'oeuvre dans l'industrie bancaire, lui-même étroitement guidé par les modifications en cours dans les normes comptables internationales. L'entretien que donne Bertrand Badie clôture quant à lui opportunément ce numéro. Le professeur de Sciences-po y invite en effet à déplacer le regard des Etats vers les sociétés, enjoignant chercheurs et décideurs à déplacer le regard des Etats vers les sociétés, où le creusement des inégalités « crée non seulement une humiliation sociale, mais une contestation sociale de la domination ». Bref, il s'agit d'orienter les relations internationales vers un « multilatéralisme ouvert », c'est-à-dire accordant une vraie place aux acteurs sociaux, associatifs par exemple, dans les organisations internationales, soit de promouvoir les relations « intersociétales » à côté de l'international. Soit, dans tous les cas, se détourner du bilatéralisme croissant qui caractérise les relations internationales actuelles. Ce ne sont pas les enjeux soulevés par les différents contributeurs de ce numéro qui contrediront cette "plaidoirie"...
Notes
1 http://www.monde-diplomatique.fr/2007/11/A/15301
2 qu'il conseille d'ailleurs sur ce dossier
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Référence électronique
Igor Martinache, « L'état de la mondialisation 2008 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 06 février 2008, consulté le 09 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/524 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.524
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