Stéphane Van Damme et Héloïse Chochois, Dans l’absolu. De Louis XIII à Louis XIV
Texte intégral
- 1 Bruno Dumézil et Hugues Micol faisaient ainsi notamment dialoguer Augustin Thierry, Gustaf Kossina (...)
1« [Ernest Lavisse] – Rah, on ne peut pas discuter avec vous. / [Pierre Goubert] – Ce n’est pas de ma faute si vous dites des âneries ». C’est sur ces propos peu amènes que s’ouvre Dans l’absolu, onzième volume de L’histoire dessinée de la France, consacré cette fois au XVIIe siècle. L’historien Stéphane Van Damme et la dessinatrice Héloïse Chochois font ainsi le choix de mettre en scène, au pied de la statue équestre de Louis XIII, place des Vosges, une querelle plaçant aux prises deux historiens spécialistes de la période moderne, Ernest Lavisse (1842-1922) et Pierre Goubert (1915-2012), bientôt rejoints dans leur discussion par le romancier Alexandre Dumas (1802-1870). Tous trois confrontent alors leur vision du XVIIe siècle : « Grand siècle » pour Lavisse, davantage « siècle de fer » pour Goubert tandis que chez Dumas la période se confond, comme dans ses romans, avec la pratique de la guerre et le panache qui s’y rattache. Stéphane Van Damme et Héloïse Chochois reprennent ainsi un procédé narratif déjà éprouvé dans la collection, à savoir la représentation directe d’une querelle historiographique servant de point de départ à l’exploration d’une période et au voyage dans le temps1.
2Après ce débat initial, chacun des trois protagonistes se voit confier deux aspects du siècle à aborder et dont il doit, à la suite de son enquête, rendre compte dans la taverne qui est devenue leur quartier général : la fin des guerres de religion et l’absolutisme pour Lavisse, la politique culturelle et la misère du peuple pour Goubert et enfin la guerre et la question coloniale pour Dumas. Ces six questions correspondent au plan général de l’ouvrage, couvrant ainsi sur un mode thématique les principaux enjeux politiques, économiques et sociaux de la période. Au cours de leur exploration, Lavisse et Dumas sont amenés à réviser leur vision initiale, au point que les auteurs s’amusent à représenter un Lavisse déconfit confessant avoir « besoin de réfléchir un instant » (p. 38). Pierre Goubert quant à lui se trouve conforté dans l’idée que le XVIIe siècle est avant tout, pour les vingt millions de Français qui peuplent le royaume, un siècle de crises frumentaires, d’accroissement de la pression fiscale, d’épidémies et d’évènements climatiques extrêmes liés au « petit âge glaciaire » de la fin du Moyen-Âge. Les passages d’un thème à l’autre, outre le changement de protagoniste, sont marqués par un changement de couleur dominante, ce qui rend particulièrement claire la progression de l’ouvrage et confère à chaque chapitre une identité visuelle qui lui est propre : vert pour les guerres de religion, violet pour l’absolutisme (qui rappelle celui de la couverture), rouge pour la politique culturelle, un mélange d’ocre et de bleu pour la guerre, jaune pour les « vies fragiles du siècle de fer » et enfin bleu pour les questions coloniales. Chacun de ces chapitres est clos par une frise chronologique reprenant, en forme de conclusion, les principaux éléments abordés. Le récit est enfin complété, comme pour la plupart des volumes de la collection, par six dossiers thématiques entièrement rédigés qui approfondissent des points parfois seulement abordés au détour d’une bulle dans la partie dessinée de l’ouvrage : « sous les pavés la Fronde », « le Saint siècle », « l’économie à tout prix », « bienvenue en ville », « la France étrangère » et « si Versailles m’était conté ». Ces courtes synthèses fournissent ainsi au lecteur curieux des clefs de lectures et des pistes de réflexion pour aller plus loin et orienter ses lectures futures.
- 2 Arlette Jouanna, Le devoir de Révolte. La noblesse française et la gestation de l'État moderne, Par (...)
- 3 Yves-Marie Bercé, Croquants et Nu-pieds : les soulèvements paysans en France du XVIIe au XIXe siècl (...)
3Les auteurs choisissent de proposer une histoire du XVIIe siècle qui intègre les principaux acquis historiographiques contemporains et font ainsi un sort à l’interprétation datée d’un Grand siècle dominé par la figure d’un souverain absolu et tout puissant, organisant depuis Versailles, et selon un véritable esprit de système, la paix dans le royaume, l’économie, l’armée, ainsi que les arts et les lettres. Stéphane Van Damme et Héloïse Chochois montrent comment, loin d’être un modèle de rationalité, l’État moderne est au contraire caractérisé par le régime de l’exceptionnel et la concurrence, en son sein, d’intérêts privés que le monarque arbitre. Les guerres permanentes menées par Louis XIII puis par Louis XIV apparaissent comme le moteur de ce régime de l’exceptionnel et la principale cause de l’accroissement de la pression fiscale tout au long du siècle. Les auteurs insistent également sur le fait que ce développement de l’État royal n’est pas exempt de tensions, comme en attestent les oppositions nobiliaires étudiées par Arlette Jouanna2 ou les révoltes populaires analysées par Yves-Marie Bercé3. Le propos est de plus renforcé par la mise en scène d’Héloïse Chochois puisque la notion d’absolutisme est explicitement présentée comme une fable qu’un renard malicieux, échappé de l’œuvre de Jean de La Fontaine, s’amuse à déconstruire devant un Lavisse médusé.
- 4 Né en 1590 et mort en 1626, Théophile de Viau est un poète et dramaturge français accusé de liberti (...)
4Si les grands personnages ne sont pas tout à fait absents de l’ouvrage (Colbert, Descartes ou encore Vauban font ainsi l’objet d’une rapide biographie), c’est davantage une histoire « par le bas » qui nous est proposée par Stéphane Van Damme et Héloïse Chochois. En effet ces derniers mettent l’accent sur des acteurs moins connus du grand public, comme le libertin Théophile de Viau4, voire des anonymes ou des populations traditionnellement invisbilisées par les historiens. Ainsi, les lecteurs sont invités à partager l’expérience militaire d’un jeune mousquetaire gascon (dont les amateurs avertis apprécieront le cheval jaune) mais aussi à écouter le témoignage d’une femme accusée de sorcellerie, d’un paysan pauvre ou d’un Français noir originaire des Antilles. Les récits portés par ces figures permettent de saisir la complexité des phénomènes historiques à l’œuvre (la difficile pacification religieuse, les conséquences de la révolution militaire du XVIIe siècle, la lente unification linguistique du royaume, la remise en cause des droits d’usage des communautés villageoises sur les forêts, le commerce triangulaire, etc.) mais également leur dimension quotidienne et globale. En effet, les auteurs consacrent un chapitre entier à l’expérience coloniale française au XVIIe siècle et interrogent plus largement la place de la France dans le monde. Ce faisant ils intégrent pleinement les acquis de l’histoire atlantique mais également ceux de l’histoire globale et des circulations à l’époque moderne.
- 5 Voir : https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/gilets-jaunes-javais-limpression-d (...)
5Les amateurs de bande-dessinée regretteront peut-être l’aspect parfois trop didactique de l’ouvrage et l’absence d’un véritable récit, mais il s’agit là d’un reproche qui peut être adressé à l’ensemble de la collection. Invité de l’émission Arrêt sur images en mars 2019 pour discuter des rapports entre histoire et bande-dessinée et confronté à une remarque du même ordre, Sylvain Venayre, directeur de la collection aux éditions La Découverte, faisait à ce titre remarquer que la dimension pédagogique et la volonté de faire passer le récit au second plan était au cœur du projet de L’histoire dessinée de la France5. Les différents volumes qui composent cette collection choisissent dès lors de se placer aux antipodes du roman et de la BD historiques dans lesquels fiction et acquis de la recherche sont indiscernables et revendiquent leur caractère didactique.
6Poursuivant l’entreprise démarrée en 2017 avec la parution de la Balade nationale d’Étienne Davodeau et Sylvain Venayre, Stéphane Van Damme et Héloïse Chochois s’inscrivent donc parfaitement dans la lignée des volumes antérieurs de L’histoire dessinée de la France. La déconstruction progressive des prénotions sur le XVIIe siècle est servie par une mise en scène soignée et un humour qui ne parasite jamais le fond du propos. Davantage centré sur les vingt millions de Français que sur la figure du Roi Soleil, l’ouvrage apparaît comme un bel hommage l’œuvre de Pierre Goubert. Ce volume réussit donc le tour de force d’être une synthèse informée, accessible et plaisante qui donne envie de se plonger dans la bibliographie indicative présente en fin d’ouvrage. Un album à lire absolument.
Notes
1 Bruno Dumézil et Hugues Micol faisaient ainsi notamment dialoguer Augustin Thierry, Gustaf Kossina et Henri Pirenne dans le quatrième volume de la collection, Les temps barbares, de la chute de Rome à Pépin le Bref. Le voyage dans le temps et l’interrogation directe des témoins du passé sont quant à eux des procédés que l’on retrouve dans presque tous les volumes de la collection.
2 Arlette Jouanna, Le devoir de Révolte. La noblesse française et la gestation de l'État moderne, Paris, Fayard, 1989.
3 Yves-Marie Bercé, Croquants et Nu-pieds : les soulèvements paysans en France du XVIIe au XIXe siècle, Paris, Gallimard, 1974.
4 Né en 1590 et mort en 1626, Théophile de Viau est un poète et dramaturge français accusé de libertinage. Sur dénonciation des Jésuites, il est emprisonné deux années à la Conciergerie entre 1523 et 1525 avant d’être libéré et de passer les derniers mois de sa vie en exil.
5 Voir : https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/gilets-jaunes-javais-limpression-de-voir-les-gens-de-1789-quon-a-dessines.
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Référence électronique
Paul Mayens, « Stéphane Van Damme et Héloïse Chochois, Dans l’absolu. De Louis XIII à Louis XIV », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 novembre 2021, consulté le 06 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/52063 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.52063
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