Doris Bonnet, Fabrice Cahen, Virginie Rozée (dir.), Procréation et imaginaires collectifs. Fictions, mythes et représentations de la PMA
Texte intégral
1La parution de cet ouvrage collectif s’inscrit dans le contexte de l’adoption de la loi relative à la bioéthique le 29 juin 2021, définissant notamment les modalités d’accès à la procréation médicalement assistée (PMA) en France. Il est désormais possible pour toutes les femmes d’accéder à la PMA, quelle que soit leur situation conjugale, et de congeler leurs ovocytes, y compris pour des raisons « sociales », c'est-à-dire non justifiées d’un point de vue médical. Les enfants issus d’un don de gamètes peuvent aussi désormais avoir accès à leurs origines. Enfin, les conditions de recherches scientifiques sur l’embryon et les cellules-souches sont assouplies. Le débat parlementaire a opposé les défenseurs de la loi qui y voyaient un symbole du modernisme humaniste, source d’espoir, à ceux qui craignaient qu’elle ouvre la voie à l’eugénisme, au clonage ainsi qu’à la disparition de la famille naturelle et de la figure paternelle.
2Les débats relatifs à la PMA suscitent de nombreuses réactions opposées, nourries par des imaginaires multiples que ce livre propose de présenter à travers différentes études de cas. Parmi les références littéraires et cinématographiques souvent citées, on trouve plusieurs œuvres de science-fiction traitant de la technicisation de la reproduction humaine : La servante écarlate de Margaret Atwood (1985), Bienvenue à Gattaca (1997), Frankenstein, de Mary Shelley (1818), Herland, de Charlotte Perkins Gilman (1915), traitant de la parthénogenèse humaine qui permet aux femmes de s’émanciper de la domination masculine. La référence la plus fréquente est Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley (1932), décrivant une société futuriste dans laquelle les masses sont domestiquées par le contrôle biologique et la sédation sociale. Les êtres humains y sont créés en laboratoire. Bien souvent, le livre est cité comme le pire horizon possible vers lequel pourraient tendre les recherches sur la PMA. Si la première partie de l’ouvrage s’intéresse à ces imaginaires technoscientifiques, la seconde se focalise davantage sur des référents plus anciens, de nature mythologique et religieuse, qui jouent un rôle important dans l’adoption ou le rejet de cette technique de reproduction en Occident, en Afrique, ou en Asie.
3La contribution de Simone Bateman rappelle que l’origine de la procréation médicalement assistée remonte à la fin du XVIIIe siècle, avec les recherches de l’abbé et biologiste italien Lazzaro Spallanzani (1729-1799). Il estimait que la conception d’un être vivant pouvait se produire sans rapport sexuel, par l’utilisation d’instruments qui imitent la nature. Une des premières inséminations artificielles connues fut réalisée par le chirurgien et anatomiste écossais John Hunter (1728-1793) en 1790 à Londres. Toutefois, cette pratique suscita une forte réprobation morale du milieu médical pendant une longue période.
4L’externalisation du processus de fécondation date du début du vingtième siècle et la première enfant née d’une fécondation in vitro date de 1978. La troisième étape est la conservation hors du corps des cellules reproductrices et des embryons. Simone Bateman estime que « si ce morcellement de nos pratiques procréatrices est le produit d’un imaginaire scientifique et technique ayant eu pour objectif d’étudier la reproduction en dehors de ses conditions “naturelles” de réalisation, il va également nourrir l’imaginaire social sur ce qui serait possible à l’avenir en matière de procréation, en premier lieu celui des scientifiques eux-mêmes » (p. 35). En 1924, le chercheur John B.S. Haldane publia Daedalus or Science and the Future, une œuvre de prospective science-fictionnelle, dans laquelle il pensait qu’à la fin du vingtième siècle, les progrès de l’ectogenèse seraient tels que seulement 30% des enfants seraient naitraient encore d’une femme. Il n’est pas clair si Haldane reflétait dans cet ouvrage les idées eugénistes de la société, sous une forme parodique, ou s’il partageait ces réflexions.
5Puis, Erika Dyck et Patrick Farrell étudient plus spécifiquement Le meilleur des mondes, d’Huxley. Ils montrent sous une forme dystopique en quoi la volonté d’organiser rationnellement la société pourrait dévier vers une forme de totalitarisme. Dans cette société, tous les individus ont droit à la liberté sexuelle, homosexualité comprise, mais les actes charnels ne doivent pas être procréatifs. Les auteurs estiment d’ailleurs que « plusieurs des technologies imaginées par Huxley sont devenues des réalités au cours du XXe siècle » (p. 44). La famille de l’écrivain était constituée de scientifiques et de biologistes notoires, dont Julian, son frère ainé, qui présida la British Eugenics Society de 1959 à 1962. Il était donc bien informé des plus récentes recherches et découvertes dans ce champ scientifique. Selon cet article, l’œuvre d’Huxley est considérée comme une influence profonde du débat public sur la génétique, à l’instar de Frankenstein. En conclusion, les auteurs observent que « le spectre du contrôle – des individus ou des populations – rend difficile de célébrer la maitrise de la procréation sans reconnaitre en même temps que les outils qui améliorent notoirement la vie de l’humanité pourraient aussi être utilisés contre l’humanité » (p. 50).
6Marika Moisseeff prolonge cette analyse de la mythologie science-fictionnelle en estimant que l’idée que la reproduction ne se fera plus qu’en laboratoire, in vitro, est très largement répandue. Elle considère qu’Huxley s’appuie sur les travaux de Freud pour établir sa vision, dans la mesure où « ce dernier a clairement lié le progrès de l’humanité […] à l’acquisition de la capacité à séparer activités érotiques et activités reproductives afin de permettre l’accession à un plaisir sexuel sans entrave, diminuant d’autant bon nombre de névroses » (p. 54). Elle étudie plus précisément le roman Mutation de Robin Cook (1989), mettant en scène un enfant conçu par fécondation in vitro. Le père médecin obstétricien a introduit un facteur de croissance neurologique dans l’ovule fécondé, ce qui a donné à l’enfant des capacités intellectuelles extraordinaires, mais un manque de sens moral qui en fait un criminel. Les enfants sans mère, les enfants surdoués et les enfants cruels sont les représentations les plus communes des enfants ayant subi une mutation d’ADN. « Ce renversement généalogique conduit à une fin de l’espèce, probablement à une nouvelle catégorie humaine libérée de la servitude de l’engendrement » (p. 59).
7Puis, Jean-Marc Rohrbasser et Jacques Véron s’attardent sur deux romans traitant du clonage, Reproduction interdite, de Jean-Michel Truong (1989) et Auprès de moi toujours de Kazuo Ishiguro (2005). Ces deux auteurs imaginent que le clonage n’est pas le mode de reproduction dominant, mais qu’il est utilisé pour la santé de la personne au cours de sa vie. La question du clonage a généré un vaste imaginaire à l’influence notoire sur la société. Truong affirmait par ailleurs dans une interview de 2015 qu’il avait rédigé une œuvre davantage d’anticipation que de science-fiction : « Mes histoires débouchent sur des réalités très proches » (p. 70). Les auteurs de l’article précisent toutefois que les recherches sur le clonage rencontrent de nombreux obstacles éthiques, même si les clones pourraient servir à réparer les humains.
8Emmanuel Betta étudie un roman du médecin, anthropologue et naturaliste italien Paolo Mantegazza L’anno 3000. Une sogno, traitant des liens entre reproduction, science et génération artificielle. Mantegazza fut accusé par l’Église catholique de diffuser auprès du grand public des informations qui auraient dû rester circonscrites à la communauté scientifique. L’auteur de l’article affirme que « les allusions fréquentes à Frankenstein et au Meilleur des mondes entretenaient un mélange de fascination et de répulsion à l’égard de cette technique […]. De toute évidence, l’impact de l’imaginaire littéraire dans l’espace public a contribué à se focaliser, en matière d’insémination artificielle, sur les aspects les plus spectaculaires, controversés et discutables du sujet, au détriment de la réalité concrète et quotidienne de cette pratique scientifique et médicale » (p. 80).
9La deuxième partie de l’ouvrage s’intéresse à l’influence des imaginaires mythologiques ou religieux sur les pratiques de PMA. Doris Bonnet se focalise sur le Cameroun, où la tradition animiste joue encore un rôle important dans les représentations de la reproduction, notamment lorsqu’il existe un sentiment d’incertitude sur les origines d’un enfant issu d’une technologie de reproduction. Isabelle Konuma étudie le cas de la PMA au Japon, posant la question de la dimension adultérine de l’IAD (insémination artificielle avec donneur). Séverine Mathieu présente différents arguments utilisés par les catholiques pour contester le bien fondé des lois de bioéthique. L’Église s’oppose en effet à la contraception depuis l’encyclique Humanae Vitae de 1968, mais aussi à la PMA, au nom du respect de la loi naturelle qui interdit de dissocier l’union de la procréation. Un autre chapitre étudie le démantèlement d’un trafic de nouveau-nés au Niger en 2014, et le dernier chapitre expose la réalité de la PMA en France. L’auteure rappelle que, malgré les nombreuses technologies de PMA, « on parle souvent de “naissance miraculeuse”, car il semble incompréhensible que la “nature” ait pu réussir là où la technologie avait échoué. Finalement, la réalité dépasse parfois l’imaginaire de la toute-puissance technologique » (p. 157).
10Cet ouvrage éclaire particulièrement l’influence de l’imaginaire, notamment science-fictionnel, sur l’évolution des mentalités concernant les innovations dans le registre de la procréation artificielle. Il n’en demeure pas moins que des imaginaires plus traditionnels maintiennent une résistance face à la diffusion de ces technologies dans un grand nombre de sociétés. Reste à savoir si les œuvres de science-fiction constituent une critique ou une apologie de la PMA.
Pour citer cet article
Référence électronique
Thomas Michaud, « Doris Bonnet, Fabrice Cahen, Virginie Rozée (dir.), Procréation et imaginaires collectifs. Fictions, mythes et représentations de la PMA », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 09 novembre 2021, consulté le 20 janvier 2025. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/52049 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.52049
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