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« Les GAFAM : une histoire américaine », Questions internationales, n° 109, 2021

Marc Humbert
Les GAFAM : une histoire américaine
« Les GAFAM : une histoire américaine », Questions internationales, n° 109, sept.-oct. 2021, 128 p., Paris, La Documentation française, EAN : 3303331601098.
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Texte intégral

1Le dossier offert par ce numéro de Questions internationales comporte en 90 pages tout ou presque de ce qu’il faut savoir à propos des GAFAM. Ce sigle désigne cinq entreprises américaines, nées petites – pour certaines il n’y a pas très longtemps – et qui ont pris un tel essor qu’elles exercent en ce début de XXIe siècle une hégémonie planétaire sur une bonne partie de l’économie et de la société numériques. Ces entreprises dominent les réseaux sociaux (Facebook créée en 2004), qui fonctionnent principalement via les téléphones portables (Apple fondée en 1976), mais aussi l’usage de logiciels et de systèmes d’exploitation (Microsoft, la plus vieille, sortie d’un garage en 1975) et l’internet, dont on ne peut plus se passer (et où le roi s’appelle Google, apparu en 1998) et qui, de plus en plus, sert aussi à un commerce livré à domicile (notamment par Amazon depuis 1994).

2Elles sont devenues des firmes géantes, multinationales, mais cependant très nationales car elles sont « les habits neufs de l’hégémonie américaine », écrit Serge Sur (p. 5). En tête du classement des principales capitalisations boursières mondiales (un seul intrus dans les six premiers), elles cherchent à maximiser leurs profits par tous les moyens, en ne ménageant pas leurs concurrents présents ou potentiels ; elles en imposent même aux États, qui jusqu’ici ne sont pas parvenus à taxer la majeure partie de leurs gains. Le dossier recadre leur puissance dans l’histoire des grands monopoles et de l’arsenal juridique qui a été constitué pour y faire face (article de Olivier Feiertag). Elles sont controversées également par l’atteinte « aux libertés publiques à l’heure du capitalisme de surveillance » (Julien Nocetti, p. 25), dont elles semblent coupables via les réseaux sociaux pilotés par des « super-plateformes numériques » (article de Henri Isaac). Avec quelques chinoises – chaque GAFAM en ayant parfois plus d’une –, ce sont douze superplateformes qui comptent chacune plus d’un milliard d’utilisateurs et qui, ensemble, connectent environ 5 milliards d’individus sur les 7,5 milliards qui peuplent la planète. Elles tissent ainsi une toile gigantesque, nous prenant dans leurs fils.

3Le dossier s’interroge ensuite sur les effets socio-politiques induits par cette situation inouïe. Car jamais une poignée de firmes n’a atteint non seulement une telle puissance technologique économique et financière mais aussi un telle « capacité d’influence et de remodelage des rapports politiques, culturels et sociétaux – et ce à toutes échelles territoriales » (Laurent Carroué, p. 38). Elles utilisent cette capacité selon un niveau jamais égalé de concurrence entre elles et de pratiques – en particulier de l’extraterritorialité puisqu’elles font des profits via le net sur des territoires où elles n’ont pas d’implantation. Elles combinent alors leurs intérêts propres et ceux des États-Unis dans une sorte de guerre économique globale qui passe par l’utilisation du droit et qui est interprétée à l’aide d’un néologisme les « lawfare » (contraction de law, le droit, et de warfare, l’art de faire la guerre) qui « relève plus du percept que du concept » (Louis Perez, p. 48). Il y a donc une sorte de lutte juridique de pouvoir dans certains domaines entre ces GAFAM et les États autres que les États-Unis. Le dossier examine deux cas particuliers de cette lutte, celui de la Chine où le Parti communiste, écrit-il, commande aux applications internet (article de Patrick Allard), et celui de la Russie où les GAFAM sont sous surveillance (article de Céline Marangé et Nicolas Mazzuchi).

4Deux articles terminent le dossier en posant chacun une question à certains égards existentielle concernant les GAFAM. Le premier rappelle que ces firmes sont nées de la dynamique concurrentielle du capitalisme, fondée sur l’innovation ou plutôt sur un flux continu d’innovations, supposées apporter toujours plus de satisfactions aux consommateurs. Mais cette belle dynamique de l’innovation permanente ne s’est-elle pas « progressivement enrayée » (Benjamin Pajot, p. 77) pour céder la place à une répartition des marchés entre compétiteurs qui sont des mastodontes moins agiles mais aux ambitions sans bornes ? En outre, il n’est pas certain que ces innovations répondent bien aux attentes sociales. Le dernier article montre en effet que le cas de ces firmes tentaculaires conduit à envisager l’introduction d’une « dose de régulation ex ante, au-delà du droit de la concurrence » (article d’Anne Perrot). Cela semble indispensable pour sauvegarder les bienfaits que l’on peut attendre d’une économie de marché, et c’est ce à quoi tendent les propositions 2020 du « Digital Markets Act » (loi des marchés numériques) de l’Union européenne.

5Cet ensemble de dix articles offre ainsi non seulement une description des GAFAM par le menu mais également une présentation des différentes clés d’interprétation qui sont aujourd’hui discutées dans la littérature spécialisée. L’ensemble est complété par une demi-douzaine d’encadrés (parfois longs de quatre pages) et une bibliographie qui touchent aux différents sujets abordés. Dans le même numéro de la revue, un intéressant article (de Marie Robin) nous fait découvrir le « Darknet » – internet clandestin – et un autre ( de Jean-Baptiste Féline) analyse et commente des films récents consacrés à ces entrepreneurs stars du numérique comme Bill Gates (Microsoft), Steve Jobs (Apple) et Mark Zuckerberg (Facebook) ainsi qu’à leurs pratiques d’une concurrence féroce aux accents libertaires.

  • 1 Voir Guillaume Pitron, « Quand le numérique détruit la planète », Le Monde Diplomatique, octobre 20 (...)

6Un dossier bel et bon, agrémenté de cartes, de graphiques, de tableaux éclairants et bien commentés. Il nous apporte un panorama et des interprétations de ce secteur « globalisé » qui façonne le monde et son futur d’une manière peu contrôlée par les États et encore moins par les utilisateurs citoyens, donc peu démocratique. Cependant, on regrettera l’absence d’un article consacré à l’impact écologique des GAFAM car l’extension du numérique, qui prétend souvent être favorable à l’environnement, semble bien participer à la destruction de la planète1.

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Notes

1 Voir Guillaume Pitron, « Quand le numérique détruit la planète », Le Monde Diplomatique, octobre 2021, p. 18-19.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Marc Humbert, « « Les GAFAM : une histoire américaine », Questions internationales, n° 109, 2021 », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, mis en ligne le 28 octobre 2021, consulté le 14 octobre 2024. URL : http://0-journals-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/lectures/52023 ; DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.4000/lectures.52023

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Rédacteur

Marc Humbert

Professeur émérite d’économie politique de l’université de Rennes, concepteur en 1980 du concept de système industriel mondial, co-fondateur en 2002 du réseau-projet PEKEA (a Political and Ethical Knowledge on Economic Actvities, une approche politique et éthique des activités économiques), initiateur et co-animateur depuis 2010 du mouvement « convivialiste » inspiré par le concept de convivialité d’Ivan Illich et co-fondateur de l’internationale convivialiste en 2021.

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